Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-05-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 mai 1929 01 mai 1929
Description : 1929/05/01-1929/05/31. 1929/05/01-1929/05/31.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9743134p
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Page 4
Les Annales Coloniales
Voiliers et chalutiers
En 1914, la flotte française de voiliers qui
se rendait sur le Grand-Banc et sur les bancs
environnants, c'est-à-dire le Bonnet Fla-
mand, le Banc à Vert, le Banc de Saint-
Pierre, les banquereaux du Cap Breton, le
golfe du Saint-Laurent et le voisinage des
îles de la Madeleine, se composait de 226
voiliers : grands trois-mâts armés à Fé-
camp, Granville, Cancale, Saint-Malo, Paim
pol, Binic et Dahouet. Les goëlettes Saint-
Pierraises étaient au nombre de 24.
Actuellement, le nombre des voiliers a di-
minué. Celui des chalutiers augmente chaque
année.
Les voiliers portent des doris, embarca.
tions à fond plat, très légères, montées pai
deux hommes, un patron qui pose les lignes,
et un « avant » qui manie les avirons. Le
doris, muni d'un compas de route, d'un avi-
ron de rechange et au moins de 4 kilos 500
de biscuit et de 6 litres d'eau, s'éloigne, et
des lignes de fond sont tendues sur une lon-
gueur d'un kilomètre, perpendiculairement
au navire.- Lors de la relève, le poisson est
chargé sur le doris.
La brume, lorsqu'elle couvre les bancs, est
extrêmement dangereuse. C'est une « enne-
mie mortelle » dont l'audace de nos marins
ne se soucie pas, mais qui parfois, hélas, les
égare, et cause leur perte !
Les départs du port français ont lieu dans
la deuxième quinzaine de mars et la campa-
gne dure de six à sept mois.
Les chalutiers font par an plusieurs expé-
ditions. Les premiers chalutiers à vapeur
français ont été envoyés en Islande en Iqo3.
C'étaient de petits bâtiments portant vingt
hommes. Ceux qui vont maintenant à Terre-
Neuve sont de grands bâtiments, et leur ton-
nage s'accroîtra encore
Nos pêcheurs rencontrent sur les bancs les
goëlettes canadiennes, les goëlettes terre-neu-
viennes, celles de New-Foundland. et les bâ-
timents portugais.
Nous avons plus de dix mille hommes cha-
que année sur les bancs.
La pêche et les industries qui s'y ratta-
chent prennent 'à Fécamp un développement
de plus en plus considérable. Le nombre des
unités augmente. Il est prévu actuellement
en chantier un chalutier à vapeur, et trois
autres à moteur à huile lourde.
Il existe quatre usines de séchage, à va-
peur, et dix ateliers de séchage sans moyens
mécaniques, avec préparation des morues en
tonnes et caisses, et des filets de morues.
Une grande partie des cargaisons de Saint
Malo est expédiée aux usines et ateliers de
Fécamp, par voie ferrée, au tarif de port à
port.
Fécamp a profité du désarmement à peu
près. complet des goëlettes de Dunkerque,
Gravelines et Paimpol, qui mettaient chaque
année des quantités importantes de morues
d'Islande en tonnes.
Enfin, la consommation croissante du
« filet de morue » dans la région parisienne
et dans toute la moitié nord de la France a
contribué au succès de l'industrie fécampoise,
géographiquement fort bien placée pour li-
vrer à la clientèle.
Les départs
pour la Grande Pêche
Les départs des trois-mâts fécampois of-
frent un spectacle grandiose et touchant. Les
quais et les jetées sont couverts de parents,
d'amis, de curieux même venus de loin, pour
souhaiter bou voyage et bon succès aux équi-
pages. Hélas, c'est parfois un éternel adieu
que les uns, sans le prévoir, donnent aux au-
tres qui s'en vont si loin, exposés pendant
six longs mois à tous les dangers qu'offrent
la mer et surtout les parages brumeux du
Grand Banc ! Là-bas un navire reposant pai-
siblement sur ses ancres, risque d'être coupé
et coulé avec ses trente hommes de bord,
avant même que l'abordeur se soit aperçu de
sa présence.
Dans la foule, on échange des impressions.
On rappelle les sinistres survenus, et bien
des yeux se mouillent en voyant arriver les
héros de la mer, un à un, escortés de leurs
femmes et de leurs enfants, allant se réunir
près du bord, en attendant d'embarquer.
Ces fiers amis, qui ont cependant vingt
fois exposé leur vie sans .peur comme sans
regret, et que l'on imagine généralement
endurcis par les dangers courus, ne pensent
pas à eux. Ils pensent à ceux qu'ils laissent,
et ils se détournent pour ne .pas laisser voir
leur intense émotion.
Mais l'heure du flot arrive. L'instant est
solennel. Ces hommes maintenant sont
condamnés à vivre pendant six mois com-
plètement séparés des leurs et du reste du
monde, sur leur petit bâtiment, qui n'appa-
raît bientôt plus que comme un point imper-
ceptible perdu au milieu de l'immensité de
l'océan, reflétant l'immensité du ciel. Les
goëlettes disparaissent, happées par l'ho-
rizon.
Une étroite communion de sympathies,
faite des mêmes craintes, unit toutes ces fa-
milles de pêcheurs qui savent les dangers
que vont affronter les êtres qui leurs sont
clier.s, sur ces quelques planches fragiles lan-
cées au-devant des terribles colères de
l'Océan.
Ils sont partis 50, 100 ou 200 à la même
marée, reviendront-ils tous ? C'est dans cette
angoisse que se passe, longue, longue, la du-
rée de l'absence...
La mauvaise nouvelle arrive si vite, hélas 1
Celui-ci a été enlevé par une lame, un jour
de gros temps. Celui-là a été transporté sur
le bateau-hôpital de la Société des Œuvres
de Mer, qui croise sur les lieux de pêche...
Terrible est la nouvelle qui parvient, bru-
tale, laconique Tel voilier ou tel cha-
lutier est <( perdu corps et biens! » Et r(.-
sont, d'un seul coup, vingt, trente familles
endeuillées ; un nombre double ou tiiple
d'orphelins !...
Le drame
du chalutier il Pacifique "
Nous sommes encore sous le coup de l'émo-
tion causée par le drame récent du naufrage:
du Pacifique, perdu, lui aussi (c corps et
biens », dans la nuit du 14 décembre dernier,
faisant 42 victimes, laissant 12 veuves, 50 or-
phelins et 30 pères et mères endeuillés.
Il s'appelait : Le Pacifique... C'était un
beau chalutier à vapeur de 450 tonneaux. Sa
campagne avait été fructueuse. Elle était ter-
minée. Ses flancs étaient gonflés du produit
de la pêche, et il rentrait en France. Par un
travail acharné de nuit et de jour, les coura-
geux pêcheurs, ne prenant que quelques heu-
res de sommeil indispensables à leur repos,
avaient cherché à abréger autant que possi-
ble la durée de leur séjour sur les bancs.
Joyeux et confiants, ils appareillaient à
onze heures du matin, de Saint-Pierre, et
mettaient le cap sur Fécamp.
Le soir même, vers 21 heures, un autre
chalutier de Fécamp, Le Commandant-
Entaille percevait le sinistre appel S.O.S.
lancé par le Pacifique disant : « sommes
échoués ». Malgré tous ses efforts, il ne put
entrer en conversation avec lui et connaître
sa position. Le grand silence de la mer pla-
nait seul sur la tombe mouvante des marins
du Pacifique !...
Le poste de T.S.F. de Saint-Pierre, avait
dû entendre certainement les appels des nau-
fragés. Le nécessaire devait avoir été fait.
La nuit, les jours suivants passèrent...
Qu'était-il advenu du drame pressenti ? Six
jours après seulement, M. Juvanon, gou-
verneur de Saint-Pierre, était avisé pai
l'agent consulaire de France à Saint-Jean de
Terre-Neuve que, dans la baie de Plaisance
de Terre-Neuve, était venue s'échouer une
embarcation portant le nom Pacifique, et
qu'elle contenait un cadavre Des con-
jectures qui furent établies, il semble ré-
sulter que le chalutier avait dû périr au
large du Cap Sainte-Marie, l'une des pointes
fermant la baie de Plaisance, après avoir
heurté une des roches bordant la côte sud et
que le navire, perdu dans le brouillard qui
pesait lourdement sur la mer, avait coulé à
pic après son premier signal de détresse, sans
avoir eu le temps d'indiquer sa position.
Plus rien n'est venu, depuis, confirmer ou
infirmer cette hypothèse. La mer a conservé
jalousement sou secret! Il ne restait, une
fois encore, que Fécamp en deuil...
Mais pleurer les morts n'est pas suffisant.
Comment le poste de T.S. F. de Saint-Pierre
n'avait-il point reçu les appels du Pacifique?
Comment se faisait-il que nul secours n'ait
été porté aux naufragés? Telles étaient les
questions qui ont aussitôt attiré et retenu no-
tre attention. Nous sommes, personnelle-
ment, intervenu à la tribune de la Chambre,
le 7 mars dernier, pour poser ces questions,
en compagnie de notre collègue M. Fernand
Rimbert. L'enquête officielle, menée sur no-
tre demande par le Gouvernement, avait éta-
bli que le poste de Saint-Pierre n'avait tien
entendu, malgré qu'un télégraphiste fût à
l'écoute au moment du sinistre. Question de
longueur d'ondes... Nous avons obtenu du
ministre l'assurance que toutes les mesures
voulues seraient prises pour que le poste de
Saint-Pierre puisse entendre nos navires, et
pour que des moyens de secours soient orga-
nisés. Nous n'avions qu'à prendre acte de
ces engagements et à faire confiance aux pro-
messes qui nous étaient données avec cœur.
A la suite de nos démarches, nous avons
reçu, par lettre du 23 mars dernier, la ré-
ponse suivante qui, si elle apporte '.ne amé-
lioration à la situation, n'est pas encore suf-
fisante, car les intérêts de la France, autant
que la sécurité de nos pêcheurs, exigeraient
la permanence d'un stationnaire dans les
eaux terre-neuviennes.
« ... La Ville-d'Ys séjournera effectivement
« en Islande environ un mois (du 19 avril
(f deux campagnes d'Islande et de Terre-
« Neuve aura lieu vers le 31 mai, soit une
(t quinzaine de jours plus tôt que d'habitude.
CI Ce navire sera ainsi, ver.s le 15 juin, dans
CI les parages de Terre-Neuve, où il séjour-
« nera jusqu'à la fin août (environ 50 jours
« de présence effective sur les bancs), dont
» un court séjour sur le Treaty Shore. En
« outre, M. le Ministre de la Marine compte
« envoyer à Terre-Neuve, dès le 15 mai, un
(t navire de la station des Antilles, l' Al(léba-
« ran, pour y assurer la surveillance de la
« pêche en attendant l'arrivée de la Ville-
(( d'Ys sur les Bancs. De cette façon, un avi-
« so serait affecté, d'une manière continue, à
« cette surveillance, du ï 5 mai au début de
« septembre.
« La requête que vous m'aviez présentée
« reçoit ainsi satisfaction aussi large que
« possible. »
Tels sont les résultats des derniers efforts
que nous avons poursuivis pour assurer à
nos hardis marins la sécurité.
Au moment où nous terminons cet article,
parvient la nouvelle que le trois-mâts Es-
kualdana, de Fécamp, vient lui aussi de
couler sur les bancs de Terre-Neuve. L'équi-
page, dit-on, a été heureusement recueilli
par le chalutier fécampois Caucasique.
Nous en avons , croyons-nous; assez dit
pour faire ressortir l'indomptable énergie de
nos admirables pêcheurs français qui, malgré
toutes les déceptions qu'ils ont éprouvées,
toutes les embûches qui leur ont été tendues,
tous les obstacles qu'ils ont eu à surmonter
et tous les dangers auxquels ils se sont déli-
bérément exposés, ont continué, par la seule
force de leur volonté, à faire flotter toujours
les couleurs de la France sur la mer libre.
C'est au prix des plus grands sacrifices et
parfois des plus pénibles privations, qu'ils
ont pu maintenir notre drapeau national
dans ces régions lointaines où tout avait été
mis en œuvre pour l'en écarter. Rien ne les
a rebutés. Jamais ils n'ont désespéré.
C'est bien l'esprit français, dans sa plus
noble conception, qu'ils ont su incarner. Ele-
vés dès leur première jeunesse au rude con-
tact de la mer, pliés de bonne heure à la dis-
cipline du commandement, forgés aux durs
caprices de l'adversité, trempés à toutes les
épreuves du péril et parés d'une belle crâne-
rie, faite de courage et d'insouciance, ils ont
poursuivi vaillamment la voie qu'ils avaient
choisie, se montrant toujours parmi les meil-
leurs ouvriers de l'expansion de la France
dans le monde.
Honneur à eux !
Georges BUREAU,
Député de la Seine-Inférieure,
Ancien sous-secrétaire d'Etat
à la Marine Marchande.
Les Annales Coloniales
Voiliers et chalutiers
En 1914, la flotte française de voiliers qui
se rendait sur le Grand-Banc et sur les bancs
environnants, c'est-à-dire le Bonnet Fla-
mand, le Banc à Vert, le Banc de Saint-
Pierre, les banquereaux du Cap Breton, le
golfe du Saint-Laurent et le voisinage des
îles de la Madeleine, se composait de 226
voiliers : grands trois-mâts armés à Fé-
camp, Granville, Cancale, Saint-Malo, Paim
pol, Binic et Dahouet. Les goëlettes Saint-
Pierraises étaient au nombre de 24.
Actuellement, le nombre des voiliers a di-
minué. Celui des chalutiers augmente chaque
année.
Les voiliers portent des doris, embarca.
tions à fond plat, très légères, montées pai
deux hommes, un patron qui pose les lignes,
et un « avant » qui manie les avirons. Le
doris, muni d'un compas de route, d'un avi-
ron de rechange et au moins de 4 kilos 500
de biscuit et de 6 litres d'eau, s'éloigne, et
des lignes de fond sont tendues sur une lon-
gueur d'un kilomètre, perpendiculairement
au navire.- Lors de la relève, le poisson est
chargé sur le doris.
La brume, lorsqu'elle couvre les bancs, est
extrêmement dangereuse. C'est une « enne-
mie mortelle » dont l'audace de nos marins
ne se soucie pas, mais qui parfois, hélas, les
égare, et cause leur perte !
Les départs du port français ont lieu dans
la deuxième quinzaine de mars et la campa-
gne dure de six à sept mois.
Les chalutiers font par an plusieurs expé-
ditions. Les premiers chalutiers à vapeur
français ont été envoyés en Islande en Iqo3.
C'étaient de petits bâtiments portant vingt
hommes. Ceux qui vont maintenant à Terre-
Neuve sont de grands bâtiments, et leur ton-
nage s'accroîtra encore
Nos pêcheurs rencontrent sur les bancs les
goëlettes canadiennes, les goëlettes terre-neu-
viennes, celles de New-Foundland. et les bâ-
timents portugais.
Nous avons plus de dix mille hommes cha-
que année sur les bancs.
La pêche et les industries qui s'y ratta-
chent prennent 'à Fécamp un développement
de plus en plus considérable. Le nombre des
unités augmente. Il est prévu actuellement
en chantier un chalutier à vapeur, et trois
autres à moteur à huile lourde.
Il existe quatre usines de séchage, à va-
peur, et dix ateliers de séchage sans moyens
mécaniques, avec préparation des morues en
tonnes et caisses, et des filets de morues.
Une grande partie des cargaisons de Saint
Malo est expédiée aux usines et ateliers de
Fécamp, par voie ferrée, au tarif de port à
port.
Fécamp a profité du désarmement à peu
près. complet des goëlettes de Dunkerque,
Gravelines et Paimpol, qui mettaient chaque
année des quantités importantes de morues
d'Islande en tonnes.
Enfin, la consommation croissante du
« filet de morue » dans la région parisienne
et dans toute la moitié nord de la France a
contribué au succès de l'industrie fécampoise,
géographiquement fort bien placée pour li-
vrer à la clientèle.
Les départs
pour la Grande Pêche
Les départs des trois-mâts fécampois of-
frent un spectacle grandiose et touchant. Les
quais et les jetées sont couverts de parents,
d'amis, de curieux même venus de loin, pour
souhaiter bou voyage et bon succès aux équi-
pages. Hélas, c'est parfois un éternel adieu
que les uns, sans le prévoir, donnent aux au-
tres qui s'en vont si loin, exposés pendant
six longs mois à tous les dangers qu'offrent
la mer et surtout les parages brumeux du
Grand Banc ! Là-bas un navire reposant pai-
siblement sur ses ancres, risque d'être coupé
et coulé avec ses trente hommes de bord,
avant même que l'abordeur se soit aperçu de
sa présence.
Dans la foule, on échange des impressions.
On rappelle les sinistres survenus, et bien
des yeux se mouillent en voyant arriver les
héros de la mer, un à un, escortés de leurs
femmes et de leurs enfants, allant se réunir
près du bord, en attendant d'embarquer.
Ces fiers amis, qui ont cependant vingt
fois exposé leur vie sans .peur comme sans
regret, et que l'on imagine généralement
endurcis par les dangers courus, ne pensent
pas à eux. Ils pensent à ceux qu'ils laissent,
et ils se détournent pour ne .pas laisser voir
leur intense émotion.
Mais l'heure du flot arrive. L'instant est
solennel. Ces hommes maintenant sont
condamnés à vivre pendant six mois com-
plètement séparés des leurs et du reste du
monde, sur leur petit bâtiment, qui n'appa-
raît bientôt plus que comme un point imper-
ceptible perdu au milieu de l'immensité de
l'océan, reflétant l'immensité du ciel. Les
goëlettes disparaissent, happées par l'ho-
rizon.
Une étroite communion de sympathies,
faite des mêmes craintes, unit toutes ces fa-
milles de pêcheurs qui savent les dangers
que vont affronter les êtres qui leurs sont
clier.s, sur ces quelques planches fragiles lan-
cées au-devant des terribles colères de
l'Océan.
Ils sont partis 50, 100 ou 200 à la même
marée, reviendront-ils tous ? C'est dans cette
angoisse que se passe, longue, longue, la du-
rée de l'absence...
La mauvaise nouvelle arrive si vite, hélas 1
Celui-ci a été enlevé par une lame, un jour
de gros temps. Celui-là a été transporté sur
le bateau-hôpital de la Société des Œuvres
de Mer, qui croise sur les lieux de pêche...
Terrible est la nouvelle qui parvient, bru-
tale, laconique Tel voilier ou tel cha-
lutier est <( perdu corps et biens! » Et r(.-
sont, d'un seul coup, vingt, trente familles
endeuillées ; un nombre double ou tiiple
d'orphelins !...
Le drame
du chalutier il Pacifique "
Nous sommes encore sous le coup de l'émo-
tion causée par le drame récent du naufrage:
du Pacifique, perdu, lui aussi (c corps et
biens », dans la nuit du 14 décembre dernier,
faisant 42 victimes, laissant 12 veuves, 50 or-
phelins et 30 pères et mères endeuillés.
Il s'appelait : Le Pacifique... C'était un
beau chalutier à vapeur de 450 tonneaux. Sa
campagne avait été fructueuse. Elle était ter-
minée. Ses flancs étaient gonflés du produit
de la pêche, et il rentrait en France. Par un
travail acharné de nuit et de jour, les coura-
geux pêcheurs, ne prenant que quelques heu-
res de sommeil indispensables à leur repos,
avaient cherché à abréger autant que possi-
ble la durée de leur séjour sur les bancs.
Joyeux et confiants, ils appareillaient à
onze heures du matin, de Saint-Pierre, et
mettaient le cap sur Fécamp.
Le soir même, vers 21 heures, un autre
chalutier de Fécamp, Le Commandant-
Entaille percevait le sinistre appel S.O.S.
lancé par le Pacifique disant : « sommes
échoués ». Malgré tous ses efforts, il ne put
entrer en conversation avec lui et connaître
sa position. Le grand silence de la mer pla-
nait seul sur la tombe mouvante des marins
du Pacifique !...
Le poste de T.S.F. de Saint-Pierre, avait
dû entendre certainement les appels des nau-
fragés. Le nécessaire devait avoir été fait.
La nuit, les jours suivants passèrent...
Qu'était-il advenu du drame pressenti ? Six
jours après seulement, M. Juvanon, gou-
verneur de Saint-Pierre, était avisé pai
l'agent consulaire de France à Saint-Jean de
Terre-Neuve que, dans la baie de Plaisance
de Terre-Neuve, était venue s'échouer une
embarcation portant le nom Pacifique, et
qu'elle contenait un cadavre Des con-
jectures qui furent établies, il semble ré-
sulter que le chalutier avait dû périr au
large du Cap Sainte-Marie, l'une des pointes
fermant la baie de Plaisance, après avoir
heurté une des roches bordant la côte sud et
que le navire, perdu dans le brouillard qui
pesait lourdement sur la mer, avait coulé à
pic après son premier signal de détresse, sans
avoir eu le temps d'indiquer sa position.
Plus rien n'est venu, depuis, confirmer ou
infirmer cette hypothèse. La mer a conservé
jalousement sou secret! Il ne restait, une
fois encore, que Fécamp en deuil...
Mais pleurer les morts n'est pas suffisant.
Comment le poste de T.S. F. de Saint-Pierre
n'avait-il point reçu les appels du Pacifique?
Comment se faisait-il que nul secours n'ait
été porté aux naufragés? Telles étaient les
questions qui ont aussitôt attiré et retenu no-
tre attention. Nous sommes, personnelle-
ment, intervenu à la tribune de la Chambre,
le 7 mars dernier, pour poser ces questions,
en compagnie de notre collègue M. Fernand
Rimbert. L'enquête officielle, menée sur no-
tre demande par le Gouvernement, avait éta-
bli que le poste de Saint-Pierre n'avait tien
entendu, malgré qu'un télégraphiste fût à
l'écoute au moment du sinistre. Question de
longueur d'ondes... Nous avons obtenu du
ministre l'assurance que toutes les mesures
voulues seraient prises pour que le poste de
Saint-Pierre puisse entendre nos navires, et
pour que des moyens de secours soient orga-
nisés. Nous n'avions qu'à prendre acte de
ces engagements et à faire confiance aux pro-
messes qui nous étaient données avec cœur.
A la suite de nos démarches, nous avons
reçu, par lettre du 23 mars dernier, la ré-
ponse suivante qui, si elle apporte '.ne amé-
lioration à la situation, n'est pas encore suf-
fisante, car les intérêts de la France, autant
que la sécurité de nos pêcheurs, exigeraient
la permanence d'un stationnaire dans les
eaux terre-neuviennes.
« ... La Ville-d'Ys séjournera effectivement
« en Islande environ un mois (du 19 avril
« Neuve aura lieu vers le 31 mai, soit une
(t quinzaine de jours plus tôt que d'habitude.
CI Ce navire sera ainsi, ver.s le 15 juin, dans
CI les parages de Terre-Neuve, où il séjour-
« nera jusqu'à la fin août (environ 50 jours
« de présence effective sur les bancs), dont
» un court séjour sur le Treaty Shore. En
« outre, M. le Ministre de la Marine compte
« envoyer à Terre-Neuve, dès le 15 mai, un
(t navire de la station des Antilles, l' Al(léba-
« ran, pour y assurer la surveillance de la
« pêche en attendant l'arrivée de la Ville-
(( d'Ys sur les Bancs. De cette façon, un avi-
« so serait affecté, d'une manière continue, à
« cette surveillance, du ï 5 mai au début de
« septembre.
« La requête que vous m'aviez présentée
« reçoit ainsi satisfaction aussi large que
« possible. »
Tels sont les résultats des derniers efforts
que nous avons poursuivis pour assurer à
nos hardis marins la sécurité.
Au moment où nous terminons cet article,
parvient la nouvelle que le trois-mâts Es-
kualdana, de Fécamp, vient lui aussi de
couler sur les bancs de Terre-Neuve. L'équi-
page, dit-on, a été heureusement recueilli
par le chalutier fécampois Caucasique.
Nous en avons , croyons-nous; assez dit
pour faire ressortir l'indomptable énergie de
nos admirables pêcheurs français qui, malgré
toutes les déceptions qu'ils ont éprouvées,
toutes les embûches qui leur ont été tendues,
tous les obstacles qu'ils ont eu à surmonter
et tous les dangers auxquels ils se sont déli-
bérément exposés, ont continué, par la seule
force de leur volonté, à faire flotter toujours
les couleurs de la France sur la mer libre.
C'est au prix des plus grands sacrifices et
parfois des plus pénibles privations, qu'ils
ont pu maintenir notre drapeau national
dans ces régions lointaines où tout avait été
mis en œuvre pour l'en écarter. Rien ne les
a rebutés. Jamais ils n'ont désespéré.
C'est bien l'esprit français, dans sa plus
noble conception, qu'ils ont su incarner. Ele-
vés dès leur première jeunesse au rude con-
tact de la mer, pliés de bonne heure à la dis-
cipline du commandement, forgés aux durs
caprices de l'adversité, trempés à toutes les
épreuves du péril et parés d'une belle crâne-
rie, faite de courage et d'insouciance, ils ont
poursuivi vaillamment la voie qu'ils avaient
choisie, se montrant toujours parmi les meil-
leurs ouvriers de l'expansion de la France
dans le monde.
Honneur à eux !
Georges BUREAU,
Député de la Seine-Inférieure,
Ancien sous-secrétaire d'Etat
à la Marine Marchande.
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