Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-06-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 juin 1929 01 juin 1929
Description : 1929/06/01-1929/06/30. 1929/06/01-1929/06/30.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k97431338
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Page 8
Les Annales Coloniales -
au village indigène de Médina, situé à un kilo-
mètre environ de la ville, sur un emplacement
soigneusement aménagé, aux larges Avenues
tracées au cordeau.
L'industrialisation
et les vieilles méthodes
Je visite, enfin, l'huilerie de M. Turbé.
Elle est équipée, en ce moment, pour une pro-
duction relativement restreinte, permettant de
répondre aux besoins de la consommation in-
digène. Mais un nouveau matériel permettra
bientôt d'envisager une production beaucoup
plus large.
Ici, je retrouve un problème — déjà plu-
sieurs fois rencontré au cours de mes conver-
sations avec des commerçants de Dakar — :
celui de l'industrialisation, qui est encore, pour
une large part, celui de l'avenir, mais qui se
pose déjà. On me dit : la construction, sur
place, d'une huilerie pour le traitement de
l'arachide, c'est une erreur économique. La
production de l'huile, sur place, en A.O.F.
comporte la création de toute une série d in-
dustries annexes, peur lesquelles on ne trouvera
ni les capitaux, ni la main-d'oeuvre. Par
exemple, il est nécessaire de loger l'huile, qui
fabriquera cette vaisselle ? Par ailleurs, l'hui.
lerie exigera une grande immobilisation de ca.
pitaux que ne connaissent pas les huileries mé-
tropolitaines qui peuvent s'alimenter de matière
première sur un marché la recevant de tous les
lieux de production régulièrement. On ne
pourra jamais produire, à Dakar, qu'une huile
inférieure, commercialement invendable.
Mais M. Turbé riposte ; il conçoit fort bien
la fabrication, sur place, d'estagnons. L'im-
mobilisation de capitaux n'est pas plus
grande pour l'industriel que pour le commer-
çant actuel qui doit se couvrir au moment de
la traite pour toute l'année, afin de répondre
à la demande de l'industriel métropolitain.
Enfin, la qualité inférieure actuelle de l'huile
répond aux goûts de la clientèle indigène à
laquelle on s'adresse. Mais il est très facile
d'améliorer cette qualité. Quant aux débou-
chés, ils demeurent encore considérables sur
le marché intérieur de l'A.O.F. et sans son-
ger au marché français, fermé par le droit de
douane, on peut regarder vers le Maroc et
même l'Amérique du Sud. Et M. Turbé,
conclut, en haussant les épaules : « Que vou-
lez-vcus, il y a des gens qui ne veulent pas
admettre que l'on touche aux vieilles méthodes
traditionnelles ; les agents de la « traite » se
liguent avec les vieux fonctionnaires pour ré-
clamer le maintien énergique du « statu quo »
0'1 une population maniable de « bon nègre n
vient, docilement, payer son impôt à l'admi-
nistrateur et son tribut à la factorerie. Mais
tout évolue... »
Et après un bon dîner chez un ami Corse
— eh oui, Péchin — et une soirée où, une
fois encore, nous brassons toute cette moisson
d'impressions, je fais mes malles pour le dé-
part du lendemain matin, en m'efforçant de
tirer de ces trois jcurs passés à Dakar une
idée d'ensemble et je n'aboutis qu'à une va-
gue sensation que je me formule timidement à
moi-même :
Dakar, ce n'est pas l'A.O.F. C'est un
port, admirablement situé entre la région des
arachides, l'Europe et l'Amérique du Sud, un
port d'escale internationale et le port des ara-
chides au Sénégal. Dans dix ans, Dakar sera
une grande ville de 50 à 60.000 habitants, qui
exportera 250.000 tonnes d'arachides et qui
recevra 10.000 navires (entrées àt sorties).
Mais ce ne sera bas, comme le rêvent certains,
le port uniçue, le grand marché de l'A .C.F.
Samedi 9 février.
Nous quittons Dakar à 10 h. 30 et prenons
à la gare du D.S.L. (Dakar Saint-Louis) un
luxueux train spécial, où grâce aux ventila-
teurs, aux boissons glacées du wagon-restau-
rant, aux plateformes, nous pourrons gagner
Bamako sans avoir trop souffert de la chaleur.
Arrêt à Rufisque, Thiès, M'Bambey, où
nous ne pouvons malheureument visiter la
ferme-école, Diourbel, Guinguineo, où l'admi-
nistrateur du cercle de Kaolak (qui est à
22 kil. sur un embranchement) nous accueille.
Birkelane, Kaffrine, où le train, par une
attention délicate de nos guides, arrête une
heure pour nous permettre de dîner.
Partout les chefs indigènes ont rangé, des
deux côtés de la voie, leurs cavaliers, armés
de lances aux banderolles multicolores. Les
plus beaux sont ceux d'Ely Manel Fall, chef
de la province à Diourbel. Fiers, pieds nus
dans les étriers, ils sont groupés par cantons,
se distinguent à la couleur de l'ample tunique
de toile rouge, jaune, blanche...
Et à chaque station, même à celles où le
seul représentant de l'autorité est l'agent de
police européen, nous trouvons, à côté des
agents commerciaux des grandes maisons bor-
delaises, des jeunes femmes, des jeunes filles,
des enfants, tout un petit monde joyeux, riant
sous le fard des lèvres — l'élégance ne perd
jamais ses droits, même en plein Saloum —
splendide de santé et de bonne humeur.
Au pays de l'Arachide
Mais en dehors de ces haltes souriantes, le
voyage reste fort monotone. Toute la journée,
nous traversons un payu qui, à cette époque,
paraît désertique, à la végétation misérable et
grillée, et où seuls de temps en temps, quel-
ques baobabs énormes, dressent leurs branches
sans feuilles, comme des bras tordus vers le
ciel. C'est le pays des arachides.
L'arachide, qui n'est que le vulgaire ca-
cahuete, délice de notre enfance, est ense-
mencée dès les premières pluies, fin juin ou
commencement juillet. La graine mûrit au dé-
but de la saison sèche et est bonne à cueillir
au mois de novembre. Alors, les opérations
commerciales de la « traite » commencent.
Auparavant, elles duraient peu, commen-
çant en novembre pour finir en décembre. Mais
dans ces deux mois, quelle agitation ! Sur
toutes les pistes conduisant aux escales, on ne
voyait que chameaux et ânes croulant sous le
poids des sacs. En route, on rencontrait « le
maître de langue » qui vous renseignait sur les
prix et vous dirigeait vers l'escale et vers le
commerçant -— à la solde duquel travaillait le
maître de langue. — Mais plus généralement,
on allait chez le commerçant qui avait avancé
les graines, au moment de l'ensemencement,
ou pr3té sur gages, aux moments de gêne.
La pesée faite, les sacs vidés dans le secco,
on passait à la boutique où on faisait ses
achats, on dégageait des bracelets engagés et
on touchait parfois quelques « gourdes » (pièce
de 5 francs, seule monnaie) pour le reliquat.
Ainsi, au comptoir, c'était pendant la
<( traite » un grand mouvement de troc, sous
toutes ses formes, où parfois des traitants in-
délicats ne se faisaient pas faute de tricher un
peu le bon indigène sur le poids, sur le prix
des arachides achetées et de toutes les choses
vendues.
Aujourd'hui, la traite est plus compliquée.
D'abord, les indigènes ont appris à connaître
les « cours » et ils ne vendent pas sans ré-
flexion et aux moments inopportuns, puis le
commis du comptoir a trouvé un concurrent
redoutable dans le « syrien w qui vit plus près
de l'indigène, apprend rapidement sa langue
et le vole avec moins de scrupule, mais plus
de roublardise.
Tout ce commerce était et est encore entre
te? mains des grandes maisons « bordelaises n
qui ont des comptoirs dans teus les escales,
qui se plaignent de la concurrence et des sy-
riens, mais refusent de modifier leurs méthodes
commerciales, qui commencent cependant à ne
plus être parfaitement adaptées à la mentalité
indigène. D'où mauvaise humeur, crise com-
merciale, récriminations.
La traite des arachides est le prototype des
opérations commerciales avec l'indigène, mais
celles-ci se pratiquent de la même façon dans
toute l'A.O.F. souvent par l'intermédiaire de
puissantes sociétés, comme la Compagnie du
Niger Français, qui possède 116 comptoirs
en A.O.F., qui vend du pétrole, des automo-
biles, des machines à écrire, de la bière,
du petit outillage, des faïences, de la farine,
des cotonnades, des verroteries et tout ce qui
peut tenter un indigène, ou comme la « So-
ciété Commerciale de l'Ouest Africain », au
capital de 105 millions de francs, qui a 71
établissements en A.O.F. seulement, et 148
dans tout l'Ouest africain.
C'est à cette situation commerciale que fai-
sait allusion M. le Gouverneur Général
Carde, dans son dernier discours au Conseil
de gouvernement, en novembre dernier, quand
il disait : « Il n'est au pouvoir de quiconque
de maintenir une sorte de régime suranné de
troc, même quelque peu perfectionné... il faut-
évoluer avec son temps et le moment est pro-
che où, à la formule (r petit volume d'affaires
et gros bénéfices », il faudra substituer celle de
gros volume d'affaires et petits bénéfices ».
Voilà ce que j'ai appris, compris ou deviné
en causant sur les quais des gares du Thies-
Kayes avec les représentants des « bordelais »
et les administrateurs, aujourd'hui.
Dimanche 10 février.
Au pays du Sisal
Entre Diakandapé et Kayes, sur 25 kilo-
mètres, nous traversons les plantations de Si-
sal de la (( Société Anonyme des cultures de
Diakandapé ». Comment traduire le sentiment
qu'on éprouve après toute une journée et toute
une nuit de chemin de fer à travers un pays
grillé, vide, quasi désertique, quand on décou-
vre à perte de vue, ces champs de sisals ver-
doyants, alignés au cordeau, formant une sorte
de merveilleux jardin.
Nouvel et impressionnant aspect de la vie
économique de l'A.O.F. Exemple de ce
qu'on peut faire avec de la bonne volonté, de
la ténacité et de l'argent.
La Maison Devès, Chaumet et Cie (au ca-
pital de 30 millions de francs) est une des
plus anciennes firmes commerciales de l'Afri-
que occidentale, le prototype de la maison
bordelaise. Mais dès 1915, ses directeurs, pres-
sentant des temps nouveaux pour l'A. O. F-,
songent à l'établissement et l'exploitation de
la culture du sisal sur diverses concessions si-
tuées près de Kayes, sur le bord du fleuve
Sénégal. Actuellement cinq concessions de
100, 785, 996, 1.306 et 100 hectares sont
en, exploitation et 8.700 hectares nouveaux
sont demandés en concession. La Société, créée
au capital de 900.000 francs est aujourd'hui
au capital de 3.900.000 francs et a donné,
en 1917, un résultat brut, avant amortissement,
de 1.102.987 francs. Elle a transformé le
plateau de Kayes et mis au point une culture
qui peut devenir, pour toute la vallée du Sé-
négal, une admirable source de richesse.
Nous arrivons à Kayes à 11 heures. Un ar-
rêt de trois quarts d'heure nous permet de
faire une visite hâtive de la ville. Aux abords
de la gare, deux importantes bâtisses massives,
construites par le génie, à l'époque des pre-
miers travaux du chemin de fer, cédées depuis
au Thies-Kayes qui y loge son personnel ;
c'est énorme et très laid. La ville aux larges
avenues s'étend sur la rive gauche du fleuve.
Une digue-chaussée submersible, découverte à
la période où nous sommes, permet de passer
sur la rive droite, où 1 administration a créé,
sur un plateau, un nouveau quartier commer-
Les Annales Coloniales -
au village indigène de Médina, situé à un kilo-
mètre environ de la ville, sur un emplacement
soigneusement aménagé, aux larges Avenues
tracées au cordeau.
L'industrialisation
et les vieilles méthodes
Je visite, enfin, l'huilerie de M. Turbé.
Elle est équipée, en ce moment, pour une pro-
duction relativement restreinte, permettant de
répondre aux besoins de la consommation in-
digène. Mais un nouveau matériel permettra
bientôt d'envisager une production beaucoup
plus large.
Ici, je retrouve un problème — déjà plu-
sieurs fois rencontré au cours de mes conver-
sations avec des commerçants de Dakar — :
celui de l'industrialisation, qui est encore, pour
une large part, celui de l'avenir, mais qui se
pose déjà. On me dit : la construction, sur
place, d'une huilerie pour le traitement de
l'arachide, c'est une erreur économique. La
production de l'huile, sur place, en A.O.F.
comporte la création de toute une série d in-
dustries annexes, peur lesquelles on ne trouvera
ni les capitaux, ni la main-d'oeuvre. Par
exemple, il est nécessaire de loger l'huile, qui
fabriquera cette vaisselle ? Par ailleurs, l'hui.
lerie exigera une grande immobilisation de ca.
pitaux que ne connaissent pas les huileries mé-
tropolitaines qui peuvent s'alimenter de matière
première sur un marché la recevant de tous les
lieux de production régulièrement. On ne
pourra jamais produire, à Dakar, qu'une huile
inférieure, commercialement invendable.
Mais M. Turbé riposte ; il conçoit fort bien
la fabrication, sur place, d'estagnons. L'im-
mobilisation de capitaux n'est pas plus
grande pour l'industriel que pour le commer-
çant actuel qui doit se couvrir au moment de
la traite pour toute l'année, afin de répondre
à la demande de l'industriel métropolitain.
Enfin, la qualité inférieure actuelle de l'huile
répond aux goûts de la clientèle indigène à
laquelle on s'adresse. Mais il est très facile
d'améliorer cette qualité. Quant aux débou-
chés, ils demeurent encore considérables sur
le marché intérieur de l'A.O.F. et sans son-
ger au marché français, fermé par le droit de
douane, on peut regarder vers le Maroc et
même l'Amérique du Sud. Et M. Turbé,
conclut, en haussant les épaules : « Que vou-
lez-vcus, il y a des gens qui ne veulent pas
admettre que l'on touche aux vieilles méthodes
traditionnelles ; les agents de la « traite » se
liguent avec les vieux fonctionnaires pour ré-
clamer le maintien énergique du « statu quo »
0'1 une population maniable de « bon nègre n
vient, docilement, payer son impôt à l'admi-
nistrateur et son tribut à la factorerie. Mais
tout évolue... »
Et après un bon dîner chez un ami Corse
— eh oui, Péchin — et une soirée où, une
fois encore, nous brassons toute cette moisson
d'impressions, je fais mes malles pour le dé-
part du lendemain matin, en m'efforçant de
tirer de ces trois jcurs passés à Dakar une
idée d'ensemble et je n'aboutis qu'à une va-
gue sensation que je me formule timidement à
moi-même :
Dakar, ce n'est pas l'A.O.F. C'est un
port, admirablement situé entre la région des
arachides, l'Europe et l'Amérique du Sud, un
port d'escale internationale et le port des ara-
chides au Sénégal. Dans dix ans, Dakar sera
une grande ville de 50 à 60.000 habitants, qui
exportera 250.000 tonnes d'arachides et qui
recevra 10.000 navires (entrées àt sorties).
Mais ce ne sera bas, comme le rêvent certains,
le port uniçue, le grand marché de l'A .C.F.
Samedi 9 février.
Nous quittons Dakar à 10 h. 30 et prenons
à la gare du D.S.L. (Dakar Saint-Louis) un
luxueux train spécial, où grâce aux ventila-
teurs, aux boissons glacées du wagon-restau-
rant, aux plateformes, nous pourrons gagner
Bamako sans avoir trop souffert de la chaleur.
Arrêt à Rufisque, Thiès, M'Bambey, où
nous ne pouvons malheureument visiter la
ferme-école, Diourbel, Guinguineo, où l'admi-
nistrateur du cercle de Kaolak (qui est à
22 kil. sur un embranchement) nous accueille.
Birkelane, Kaffrine, où le train, par une
attention délicate de nos guides, arrête une
heure pour nous permettre de dîner.
Partout les chefs indigènes ont rangé, des
deux côtés de la voie, leurs cavaliers, armés
de lances aux banderolles multicolores. Les
plus beaux sont ceux d'Ely Manel Fall, chef
de la province à Diourbel. Fiers, pieds nus
dans les étriers, ils sont groupés par cantons,
se distinguent à la couleur de l'ample tunique
de toile rouge, jaune, blanche...
Et à chaque station, même à celles où le
seul représentant de l'autorité est l'agent de
police européen, nous trouvons, à côté des
agents commerciaux des grandes maisons bor-
delaises, des jeunes femmes, des jeunes filles,
des enfants, tout un petit monde joyeux, riant
sous le fard des lèvres — l'élégance ne perd
jamais ses droits, même en plein Saloum —
splendide de santé et de bonne humeur.
Au pays de l'Arachide
Mais en dehors de ces haltes souriantes, le
voyage reste fort monotone. Toute la journée,
nous traversons un payu qui, à cette époque,
paraît désertique, à la végétation misérable et
grillée, et où seuls de temps en temps, quel-
ques baobabs énormes, dressent leurs branches
sans feuilles, comme des bras tordus vers le
ciel. C'est le pays des arachides.
L'arachide, qui n'est que le vulgaire ca-
cahuete, délice de notre enfance, est ense-
mencée dès les premières pluies, fin juin ou
commencement juillet. La graine mûrit au dé-
but de la saison sèche et est bonne à cueillir
au mois de novembre. Alors, les opérations
commerciales de la « traite » commencent.
Auparavant, elles duraient peu, commen-
çant en novembre pour finir en décembre. Mais
dans ces deux mois, quelle agitation ! Sur
toutes les pistes conduisant aux escales, on ne
voyait que chameaux et ânes croulant sous le
poids des sacs. En route, on rencontrait « le
maître de langue » qui vous renseignait sur les
prix et vous dirigeait vers l'escale et vers le
commerçant -— à la solde duquel travaillait le
maître de langue. — Mais plus généralement,
on allait chez le commerçant qui avait avancé
les graines, au moment de l'ensemencement,
ou pr3té sur gages, aux moments de gêne.
La pesée faite, les sacs vidés dans le secco,
on passait à la boutique où on faisait ses
achats, on dégageait des bracelets engagés et
on touchait parfois quelques « gourdes » (pièce
de 5 francs, seule monnaie) pour le reliquat.
Ainsi, au comptoir, c'était pendant la
<( traite » un grand mouvement de troc, sous
toutes ses formes, où parfois des traitants in-
délicats ne se faisaient pas faute de tricher un
peu le bon indigène sur le poids, sur le prix
des arachides achetées et de toutes les choses
vendues.
Aujourd'hui, la traite est plus compliquée.
D'abord, les indigènes ont appris à connaître
les « cours » et ils ne vendent pas sans ré-
flexion et aux moments inopportuns, puis le
commis du comptoir a trouvé un concurrent
redoutable dans le « syrien w qui vit plus près
de l'indigène, apprend rapidement sa langue
et le vole avec moins de scrupule, mais plus
de roublardise.
Tout ce commerce était et est encore entre
te? mains des grandes maisons « bordelaises n
qui ont des comptoirs dans teus les escales,
qui se plaignent de la concurrence et des sy-
riens, mais refusent de modifier leurs méthodes
commerciales, qui commencent cependant à ne
plus être parfaitement adaptées à la mentalité
indigène. D'où mauvaise humeur, crise com-
merciale, récriminations.
La traite des arachides est le prototype des
opérations commerciales avec l'indigène, mais
celles-ci se pratiquent de la même façon dans
toute l'A.O.F. souvent par l'intermédiaire de
puissantes sociétés, comme la Compagnie du
Niger Français, qui possède 116 comptoirs
en A.O.F., qui vend du pétrole, des automo-
biles, des machines à écrire, de la bière,
du petit outillage, des faïences, de la farine,
des cotonnades, des verroteries et tout ce qui
peut tenter un indigène, ou comme la « So-
ciété Commerciale de l'Ouest Africain », au
capital de 105 millions de francs, qui a 71
établissements en A.O.F. seulement, et 148
dans tout l'Ouest africain.
C'est à cette situation commerciale que fai-
sait allusion M. le Gouverneur Général
Carde, dans son dernier discours au Conseil
de gouvernement, en novembre dernier, quand
il disait : « Il n'est au pouvoir de quiconque
de maintenir une sorte de régime suranné de
troc, même quelque peu perfectionné... il faut-
évoluer avec son temps et le moment est pro-
che où, à la formule (r petit volume d'affaires
et gros bénéfices », il faudra substituer celle de
gros volume d'affaires et petits bénéfices ».
Voilà ce que j'ai appris, compris ou deviné
en causant sur les quais des gares du Thies-
Kayes avec les représentants des « bordelais »
et les administrateurs, aujourd'hui.
Dimanche 10 février.
Au pays du Sisal
Entre Diakandapé et Kayes, sur 25 kilo-
mètres, nous traversons les plantations de Si-
sal de la (( Société Anonyme des cultures de
Diakandapé ». Comment traduire le sentiment
qu'on éprouve après toute une journée et toute
une nuit de chemin de fer à travers un pays
grillé, vide, quasi désertique, quand on décou-
vre à perte de vue, ces champs de sisals ver-
doyants, alignés au cordeau, formant une sorte
de merveilleux jardin.
Nouvel et impressionnant aspect de la vie
économique de l'A.O.F. Exemple de ce
qu'on peut faire avec de la bonne volonté, de
la ténacité et de l'argent.
La Maison Devès, Chaumet et Cie (au ca-
pital de 30 millions de francs) est une des
plus anciennes firmes commerciales de l'Afri-
que occidentale, le prototype de la maison
bordelaise. Mais dès 1915, ses directeurs, pres-
sentant des temps nouveaux pour l'A. O. F-,
songent à l'établissement et l'exploitation de
la culture du sisal sur diverses concessions si-
tuées près de Kayes, sur le bord du fleuve
Sénégal. Actuellement cinq concessions de
100, 785, 996, 1.306 et 100 hectares sont
en, exploitation et 8.700 hectares nouveaux
sont demandés en concession. La Société, créée
au capital de 900.000 francs est aujourd'hui
au capital de 3.900.000 francs et a donné,
en 1917, un résultat brut, avant amortissement,
de 1.102.987 francs. Elle a transformé le
plateau de Kayes et mis au point une culture
qui peut devenir, pour toute la vallée du Sé-
négal, une admirable source de richesse.
Nous arrivons à Kayes à 11 heures. Un ar-
rêt de trois quarts d'heure nous permet de
faire une visite hâtive de la ville. Aux abords
de la gare, deux importantes bâtisses massives,
construites par le génie, à l'époque des pre-
miers travaux du chemin de fer, cédées depuis
au Thies-Kayes qui y loge son personnel ;
c'est énorme et très laid. La ville aux larges
avenues s'étend sur la rive gauche du fleuve.
Une digue-chaussée submersible, découverte à
la période où nous sommes, permet de passer
sur la rive droite, où 1 administration a créé,
sur un plateau, un nouveau quartier commer-
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.22%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.22%.
- Auteurs similaires Ruedel Marcel Ruedel Marcel /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Ruedel Marcel" or dc.contributor adj "Ruedel Marcel")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 10/36
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://numba.cirad.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k97431338/f10.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://numba.cirad.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k97431338/f10.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://numba.cirad.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k97431338/f10.image
- Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://numba.cirad.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k97431338
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://numba.cirad.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k97431338
Facebook
Twitter