Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-09-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 septembre 1929 01 septembre 1929
Description : 1929/09/01-1929/09/30. 1929/09/01-1929/09/30.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k97431301
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Page 2
Les Annales Coloniales
mornes tout vibrants de forêts inviolées recé-
laient des lacs solitaires où la méditation
de l'infini se poursuivait comme dans un mi-
roir renversé sous les larges constellations
du ciel austral.
Alors, comme aujourd'hui, les nuits épan-
chaient chaque soir, sur les hauteurs de l'île,
dès la chute brusque du soleil derrière les
caps, ces extraordinaires concerts où des
millions et des millions d'insectes détaillent
pour des millions et des millions d'étoiles,
la symphonie ininterrompue de l'éphémère
à l'éternel.
Une voyageuse d'Europe, une Française, a
naguère traduit cette beauté neuve des nuits
guadeloupéennes en une page que je ne
résiste pas au plaisir de reproduire :
Ce qui frappe le plus l'Européen que sa
bonne étoile conduit à la Guadeloupe, ce
n'est pas tant le grand soleil éblouissant et
les feuillages vernissés et les lianes sauvages
qui pendent en grappes harmonieuses des
grands arbres, et les précieuses petites cases
couvertes de chaume piquées dans la cam-
pagne abritant ces chères familles antillaises
oit les bébés de bronze — vrais petits dieux
par la silhouette et la grâce — s'épanouis-
sent dans la nature même, portant déjà dans
leurs grands yeux noirs mobiles et luisants
le mystère d'une vie intense.
Ce qui nous étonne, ce qui nous enchante,
c'est la vie nocturne.
Cette vie commence au crépuscule pour
s'épanouir à mesure que les heures avancent
sous lil montée des constellations.
Les hommes ont refermé sur eux les portes
de leurs demeures : le sommeil les tient au
repos. Le coup de baguette magique est
donné. Les elfes et les sylphes de la savane
se frottent les yeux, ajustent sur leurs têtes
leur chaperon de fleurs, secouent leurs ailes
diaphanes, - et la fête commence, la grande
fête quotidienne de la nature nocturne, de
cette nature qui se rend justice à elle-même,
et qui s'admire, conviant à ses célébrations
les vagues de l'océan qui viennent caresser
amoureusement ses grèves et aussi les ;nsec-
tes qui fourmillent sous les innombrables
feuillages des forêts, petits marteaux d'ar-
gent des rainettes, cris plus aigus des sta-
phylins, strideur de fer des machoquets, clo-
chettes de cristal des callirhipis, archets
d'or des sauterelles roses, sons de cornemuse
des lézards sans nombre, sérénade intarissa-
ble de la vie dans l'obscur! Les mouches à
jeu bondissant vers le ciel comme pour riva-
liser avec leurs sœurs les étoiles, se sltspen-
dent de branche en branche, apparaissant et
disparaissant, toutes pareilles à l'illusion
qu'elles laissent après elles... Et les sen-
teurs vohiptueuses naissent du sol, les da-
turas ouvrent leur large cœur blanc, les
ibiscus leur profond cœur rose, les orangers
leur petit cœur concentré, le vétyver, la can-
nelle et le giroflier élèvent leurs encens par-
mi les caféières et les vanillières, ajoutant
tous à la symphonie de la nature ce complé-
ment de la musique : le parfum.
La voyageuse qui a écrit ces lignes comme
sous la dictée des nuits antillaises, était ce
jour-là une poétesse.
Poète! Il faudrait l'être aujourd'hui, pour
faire passer ici quelque chose de ce frisson
d'éternel que dégagent invinciblement les
mystères de l'océan, du ciel et des forêts
parmi nos îles des tropiques...
Digne héritier de Parny et de Léonard,
de Leconte de Lisle et de José-Maria de
Hérédia, M. Daniel Thaly, fils authentique
de bonne race antillaise, brillant auteur de ce
remarquable recueil de poèmes qui s'appelle
le jardin des Tropiques, a été le troubadour
moderne de la terre antillaise.
Nul n'a chanté nos lIes-Caraïbes avec
plus d'inspiration filiale ni plus d'art raffi-
né que M. Daniel Thaly. Nul, mieux que
cet Antillais, élevé à Toulouse et retourné
de Paris à la Dominique, n'a su faire entrer
la musique et la couleur de nos tropiques
dans le grand courant de notre poésie natio-
nale. Un jour viendra, qui aurait déjà dû
venir, où nos critiques littéraires devront
rendre justice à ce pur artiste solitaire qui
ciselle son rêve de diamant à deux mille
lieues de nos bureaux de rédaction et de nos
académies. En attendant ce jour, que j'es-
père prochain, de la justice littéraire pour
M. Daniel Thaly, que pourrais-je faire de
mieux que de céder à nouveau la parole à
notre voyageuse de tout à l'heure, à la
Française d'Europe que surent émouvoir si
heureusement nos petites Frances d'outre-
mer ?
M. Daniel Thaly est si intimement identi-
fié avec son sol qu'il semble participer à la
vie même de la nature. Les grands mornes,
les savanes, les bois, l'océan, il les chanta
comme un pâtre et les dessine comme un
peintre. Il y a dans son Jardin des Tropi-
ques de la musique et de la couleur. Musique
créole: mélopée sur trois notes, un peu
triste, un peu monotone, très troublante et
très langoureuse. Couleur ardente, embrasée
de soleil, glorieuse, qui rutile dans une per-
pétuelle apothéose.
0 Dominique bleue, île aux mille rivières,
Jardin aux mille fleurs, verger aux mille
[fruits,
La mer phosphorescente illumine tes nuits,
Et sous tes vieux volcans fument les sou-
frières.
Merveilleux paradis des pays de couleur,
Creuset où s'est fondu le beau sang de trois
[races,
Bonne terre où j'aurai quelque jour une
[place,
Je t'aime, Dominique, île toujours en fleur!
Ainsi que M. Daniel Thaly les a si pré-
cieusement nommées :
Etoiles de la mer sur le saphir des eaux,
les petites Iles-Caraïbes, filles du Soleil et
de l'Océan, passent sous nos yeux ravis,
comme des caravelles chargées des présents
des tropiques. Pleines de splendeurs secrètes
qui réveillent les enthousiasmes, leur char-
me de sirène retient au rivage les vaisseaux
qui ont accosté leurs rives On ne peut se fi-
gurer l'attirance émanée d'elles, lorsqu'on
les aperçoit surgissant, lumineuses et parées,
du grand désert éblouissant de l'Atlantique...
Cette fusion entre le céleste. le maritime et
le terrestre, cet échange d'éléments du grand
mystère de la lumière est le Plus profond
charme, la Plus originale séduction des An-
tilles... M. Thaly l'a splendidement tra-
duite... Comme autrefois les purs lyriques de
l'archipel grec, il a immortalisé son archi-
pel antillais. Il a illustré des paradis igno-
rés, il a fait passer dans nos vieilles civilisa-
tions européennes une cadence nouvelle de
poésie et de beauté.
Sur un autre plan, je me dois de citer
ici un écrivain de race qui, dans les co-
lonnes mêmes des Annales Coloniales, a cé-
lébré la Guadeloupe. Je veux parler de
Mlle Marie-Louise Sicard. Dans une série
d'articles qui m'ont rappelé la profondeur
de pensée, les dons d'analyse et la forte
sensibilité des Esquisses martiniquaises du
plus grand écrivain créole de langue an-
glaise, Lafcadio Hearn, elle a pris sur
le vif la douceur nonchalante de l'île
d'Emeraude, la grâce de ses paysages
et aussi le dur labeur de ceux qui,
par leur travail, ajoutent une richesse nou-
velle à tous les dons que le ciel a généreu-
sement répartis sur ce paradis terrestre. On
retrouve dans ses pages sur la Guadeloupe,
dans une écriture très personnelle, les qua-
lités maîtresses de l'auteur de la lumière
vient de l'Orient et de Kotto.
II
1,'HI
Si l'île d'Emeraude reste encore aujour-
d'hui l'un des plus purs sanctuaires de la
nature, elle est aussi le microcosme brillant
d'une civilisation très animée qui a ses ori-
gines complexes dans une histoire des races
très émouvante et très tumultueuse.
C'est le 4 novembre 1493, lors du se-
cond voyage de Christophe Colomb, que la
Guadeloupe entra dans le grand courant
de nos civilisations d'Europe.
Les vieillards, les invalides, les femmes
et les enfants qui occupaient les villages
fuyaient à l'approche des Espagnols. Les
hommes étaient ou réfugiés dans les bois
ou partis en expédition guerrière.
Avant cette entrée de la Guadeloupe
dans l'histoire de la civilisation moderne,
notre île d'Emeraude, comme la plupart des
autres Antilles, était habitée par la belle
race des Caraïbes, peuples guerriers venus
de l'Amérique du Sud, et qui avaient chassé
ou détruit les populations primitives dont
les traces ne nous sont que très sommaire-
ment connues.
Les Caraïbes furent à leur tour détruits
en masse par les conquistadores et leurs
successeurs. Bartolomé de Las Casas. le
célèbre défenseur des Indiens des « Indes-
Occidentales », ainsi qu'on a nommé les
Antilles jusqu'au siècle dernier, évalue à
près de 15 millions d'âmes les massacres
opérés par les peuples d'Europe sur la
race caraïbe. Ce fut l'anéantissement systé-
matique. A peine aujourd'hui retrouve-t-on
à la Dominique et à Saint-Vincent quel-
ques rares descendants caraïbes. On doit
d'autant plus le regretter que, d'après les
témoignages des premiers voyageurs histo-
riens de nos Antilles, les Caraïbes étaient
beaux, braves et de sentiments nobles. S'il
est vrai que le paradis de chaque race soit
une sorte de miroir agrandi de sa person-
nalité historique, celui des Caraïbes mérite
d'être rappelé. Ils l'avaient, en effet, placé
dans des îles fortunées où tout venait à
souhait pour la récompense de ceux qui
avaient été sur la terre des hommes braves.
De larges et grands fleuves donnaient pour
la natation des eaux fraîches, cristallines et
paisibles ; la mer sans tempêtes enveloppait
ces lieux de délices de son immense nappe
bleue où se jouaient des quantités innom-
brables de poissons ; la terre produisait en
abondance et sans culture des fruits excel-
lents. « Les Caraïbes y avaient des épouses
merveilleusement jolies et des captives de la
plus grande beauté. Danses, jeux, festins
se succédaient sans interruption et, suprême
bonheur, des guerres permettaient de temps
en temps de briser la tête d'un ennemi
arroüague avec une massue pesante. Rien
ne manquait donc à la félicité de ces bien-
heureux ; tandis que ceux qui avaient été
des lâches dans leur vie terrestre voyaient
leurs âmes transportées sur le continent dans
une contrée stérile où, esclaves d'un Arroüa-
gue, ils menaient une existence affreuse,
accablés sous le poids du travail pénible de
la terre (i). »
C'est à ce travail de la terre, en effet très
pénible, sous les tropiques, lorsqu'il est in-
tensif. que les conquérants européens entre-
prirent à leur tour de contraindre d'abord
les Caraïbes, puis, cette race une fois épui-
sée, d'asservir les malheureux nègres que
des boucaniers sans scrupule s'étaient mis
à exporter en grandes masses d'Afrique-
Occidentale jusqu'aux Antilles, à la Loui-
siane, à la Floride et en Géorgie.
Pendant trois siècles, le continent afri-
(1) Ballet, Notes sur la Guadeloupe.
Les Annales Coloniales
mornes tout vibrants de forêts inviolées recé-
laient des lacs solitaires où la méditation
de l'infini se poursuivait comme dans un mi-
roir renversé sous les larges constellations
du ciel austral.
Alors, comme aujourd'hui, les nuits épan-
chaient chaque soir, sur les hauteurs de l'île,
dès la chute brusque du soleil derrière les
caps, ces extraordinaires concerts où des
millions et des millions d'insectes détaillent
pour des millions et des millions d'étoiles,
la symphonie ininterrompue de l'éphémère
à l'éternel.
Une voyageuse d'Europe, une Française, a
naguère traduit cette beauté neuve des nuits
guadeloupéennes en une page que je ne
résiste pas au plaisir de reproduire :
Ce qui frappe le plus l'Européen que sa
bonne étoile conduit à la Guadeloupe, ce
n'est pas tant le grand soleil éblouissant et
les feuillages vernissés et les lianes sauvages
qui pendent en grappes harmonieuses des
grands arbres, et les précieuses petites cases
couvertes de chaume piquées dans la cam-
pagne abritant ces chères familles antillaises
oit les bébés de bronze — vrais petits dieux
par la silhouette et la grâce — s'épanouis-
sent dans la nature même, portant déjà dans
leurs grands yeux noirs mobiles et luisants
le mystère d'une vie intense.
Ce qui nous étonne, ce qui nous enchante,
c'est la vie nocturne.
Cette vie commence au crépuscule pour
s'épanouir à mesure que les heures avancent
sous lil montée des constellations.
Les hommes ont refermé sur eux les portes
de leurs demeures : le sommeil les tient au
repos. Le coup de baguette magique est
donné. Les elfes et les sylphes de la savane
se frottent les yeux, ajustent sur leurs têtes
leur chaperon de fleurs, secouent leurs ailes
diaphanes, - et la fête commence, la grande
fête quotidienne de la nature nocturne, de
cette nature qui se rend justice à elle-même,
et qui s'admire, conviant à ses célébrations
les vagues de l'océan qui viennent caresser
amoureusement ses grèves et aussi les ;nsec-
tes qui fourmillent sous les innombrables
feuillages des forêts, petits marteaux d'ar-
gent des rainettes, cris plus aigus des sta-
phylins, strideur de fer des machoquets, clo-
chettes de cristal des callirhipis, archets
d'or des sauterelles roses, sons de cornemuse
des lézards sans nombre, sérénade intarissa-
ble de la vie dans l'obscur! Les mouches à
jeu bondissant vers le ciel comme pour riva-
liser avec leurs sœurs les étoiles, se sltspen-
dent de branche en branche, apparaissant et
disparaissant, toutes pareilles à l'illusion
qu'elles laissent après elles... Et les sen-
teurs vohiptueuses naissent du sol, les da-
turas ouvrent leur large cœur blanc, les
ibiscus leur profond cœur rose, les orangers
leur petit cœur concentré, le vétyver, la can-
nelle et le giroflier élèvent leurs encens par-
mi les caféières et les vanillières, ajoutant
tous à la symphonie de la nature ce complé-
ment de la musique : le parfum.
La voyageuse qui a écrit ces lignes comme
sous la dictée des nuits antillaises, était ce
jour-là une poétesse.
Poète! Il faudrait l'être aujourd'hui, pour
faire passer ici quelque chose de ce frisson
d'éternel que dégagent invinciblement les
mystères de l'océan, du ciel et des forêts
parmi nos îles des tropiques...
Digne héritier de Parny et de Léonard,
de Leconte de Lisle et de José-Maria de
Hérédia, M. Daniel Thaly, fils authentique
de bonne race antillaise, brillant auteur de ce
remarquable recueil de poèmes qui s'appelle
le jardin des Tropiques, a été le troubadour
moderne de la terre antillaise.
Nul n'a chanté nos lIes-Caraïbes avec
plus d'inspiration filiale ni plus d'art raffi-
né que M. Daniel Thaly. Nul, mieux que
cet Antillais, élevé à Toulouse et retourné
de Paris à la Dominique, n'a su faire entrer
la musique et la couleur de nos tropiques
dans le grand courant de notre poésie natio-
nale. Un jour viendra, qui aurait déjà dû
venir, où nos critiques littéraires devront
rendre justice à ce pur artiste solitaire qui
ciselle son rêve de diamant à deux mille
lieues de nos bureaux de rédaction et de nos
académies. En attendant ce jour, que j'es-
père prochain, de la justice littéraire pour
M. Daniel Thaly, que pourrais-je faire de
mieux que de céder à nouveau la parole à
notre voyageuse de tout à l'heure, à la
Française d'Europe que surent émouvoir si
heureusement nos petites Frances d'outre-
mer ?
M. Daniel Thaly est si intimement identi-
fié avec son sol qu'il semble participer à la
vie même de la nature. Les grands mornes,
les savanes, les bois, l'océan, il les chanta
comme un pâtre et les dessine comme un
peintre. Il y a dans son Jardin des Tropi-
ques de la musique et de la couleur. Musique
créole: mélopée sur trois notes, un peu
triste, un peu monotone, très troublante et
très langoureuse. Couleur ardente, embrasée
de soleil, glorieuse, qui rutile dans une per-
pétuelle apothéose.
0 Dominique bleue, île aux mille rivières,
Jardin aux mille fleurs, verger aux mille
[fruits,
La mer phosphorescente illumine tes nuits,
Et sous tes vieux volcans fument les sou-
frières.
Merveilleux paradis des pays de couleur,
Creuset où s'est fondu le beau sang de trois
[races,
Bonne terre où j'aurai quelque jour une
[place,
Je t'aime, Dominique, île toujours en fleur!
Ainsi que M. Daniel Thaly les a si pré-
cieusement nommées :
Etoiles de la mer sur le saphir des eaux,
les petites Iles-Caraïbes, filles du Soleil et
de l'Océan, passent sous nos yeux ravis,
comme des caravelles chargées des présents
des tropiques. Pleines de splendeurs secrètes
qui réveillent les enthousiasmes, leur char-
me de sirène retient au rivage les vaisseaux
qui ont accosté leurs rives On ne peut se fi-
gurer l'attirance émanée d'elles, lorsqu'on
les aperçoit surgissant, lumineuses et parées,
du grand désert éblouissant de l'Atlantique...
Cette fusion entre le céleste. le maritime et
le terrestre, cet échange d'éléments du grand
mystère de la lumière est le Plus profond
charme, la Plus originale séduction des An-
tilles... M. Thaly l'a splendidement tra-
duite... Comme autrefois les purs lyriques de
l'archipel grec, il a immortalisé son archi-
pel antillais. Il a illustré des paradis igno-
rés, il a fait passer dans nos vieilles civilisa-
tions européennes une cadence nouvelle de
poésie et de beauté.
Sur un autre plan, je me dois de citer
ici un écrivain de race qui, dans les co-
lonnes mêmes des Annales Coloniales, a cé-
lébré la Guadeloupe. Je veux parler de
Mlle Marie-Louise Sicard. Dans une série
d'articles qui m'ont rappelé la profondeur
de pensée, les dons d'analyse et la forte
sensibilité des Esquisses martiniquaises du
plus grand écrivain créole de langue an-
glaise, Lafcadio Hearn, elle a pris sur
le vif la douceur nonchalante de l'île
d'Emeraude, la grâce de ses paysages
et aussi le dur labeur de ceux qui,
par leur travail, ajoutent une richesse nou-
velle à tous les dons que le ciel a généreu-
sement répartis sur ce paradis terrestre. On
retrouve dans ses pages sur la Guadeloupe,
dans une écriture très personnelle, les qua-
lités maîtresses de l'auteur de la lumière
vient de l'Orient et de Kotto.
II
1,'HI
Si l'île d'Emeraude reste encore aujour-
d'hui l'un des plus purs sanctuaires de la
nature, elle est aussi le microcosme brillant
d'une civilisation très animée qui a ses ori-
gines complexes dans une histoire des races
très émouvante et très tumultueuse.
C'est le 4 novembre 1493, lors du se-
cond voyage de Christophe Colomb, que la
Guadeloupe entra dans le grand courant
de nos civilisations d'Europe.
Les vieillards, les invalides, les femmes
et les enfants qui occupaient les villages
fuyaient à l'approche des Espagnols. Les
hommes étaient ou réfugiés dans les bois
ou partis en expédition guerrière.
Avant cette entrée de la Guadeloupe
dans l'histoire de la civilisation moderne,
notre île d'Emeraude, comme la plupart des
autres Antilles, était habitée par la belle
race des Caraïbes, peuples guerriers venus
de l'Amérique du Sud, et qui avaient chassé
ou détruit les populations primitives dont
les traces ne nous sont que très sommaire-
ment connues.
Les Caraïbes furent à leur tour détruits
en masse par les conquistadores et leurs
successeurs. Bartolomé de Las Casas. le
célèbre défenseur des Indiens des « Indes-
Occidentales », ainsi qu'on a nommé les
Antilles jusqu'au siècle dernier, évalue à
près de 15 millions d'âmes les massacres
opérés par les peuples d'Europe sur la
race caraïbe. Ce fut l'anéantissement systé-
matique. A peine aujourd'hui retrouve-t-on
à la Dominique et à Saint-Vincent quel-
ques rares descendants caraïbes. On doit
d'autant plus le regretter que, d'après les
témoignages des premiers voyageurs histo-
riens de nos Antilles, les Caraïbes étaient
beaux, braves et de sentiments nobles. S'il
est vrai que le paradis de chaque race soit
une sorte de miroir agrandi de sa person-
nalité historique, celui des Caraïbes mérite
d'être rappelé. Ils l'avaient, en effet, placé
dans des îles fortunées où tout venait à
souhait pour la récompense de ceux qui
avaient été sur la terre des hommes braves.
De larges et grands fleuves donnaient pour
la natation des eaux fraîches, cristallines et
paisibles ; la mer sans tempêtes enveloppait
ces lieux de délices de son immense nappe
bleue où se jouaient des quantités innom-
brables de poissons ; la terre produisait en
abondance et sans culture des fruits excel-
lents. « Les Caraïbes y avaient des épouses
merveilleusement jolies et des captives de la
plus grande beauté. Danses, jeux, festins
se succédaient sans interruption et, suprême
bonheur, des guerres permettaient de temps
en temps de briser la tête d'un ennemi
arroüague avec une massue pesante. Rien
ne manquait donc à la félicité de ces bien-
heureux ; tandis que ceux qui avaient été
des lâches dans leur vie terrestre voyaient
leurs âmes transportées sur le continent dans
une contrée stérile où, esclaves d'un Arroüa-
gue, ils menaient une existence affreuse,
accablés sous le poids du travail pénible de
la terre (i). »
C'est à ce travail de la terre, en effet très
pénible, sous les tropiques, lorsqu'il est in-
tensif. que les conquérants européens entre-
prirent à leur tour de contraindre d'abord
les Caraïbes, puis, cette race une fois épui-
sée, d'asservir les malheureux nègres que
des boucaniers sans scrupule s'étaient mis
à exporter en grandes masses d'Afrique-
Occidentale jusqu'aux Antilles, à la Loui-
siane, à la Floride et en Géorgie.
Pendant trois siècles, le continent afri-
(1) Ballet, Notes sur la Guadeloupe.
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