Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-08-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 août 1929 01 août 1929
Description : 1929/08/01-1929/08/31. 1929/08/01-1929/08/31.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9743131f
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Page 2
Les Annales Coloniales
M. Piscatory, qui parle après lui et dans
le même sens, déclare à son tour :
a ... Il me reste à déclarer que ma convic-
tion sincère est qu'il serait heureux pour la
France de n'avoir jamais conquis Alger... »
Et voici M. Dupin qui dans un discours
plein de fougue et de verve, déclare avec
toute sa haute autorité d'économiste et de
jurisconsulte :
« En résumé, je dis que l'état de choses
est calamiteux. La colonisation est une chose
absurde ; point de colons, point de terres
à leur concéder, pas de garanties surtout à
leur promettre.
« ... Il faut... hâter le moment de libérer
la France d'un fardeau qu'elle ne pourra
et qu'elle ne voudra pas porter longtemps
(marques nombreuses et prolongées d'adhé-
sion). »
Le ier mai, un certain M. Escanyé « re-
pousse toute entreprise de colonisation à
Alger » pour onze raisons, toutes frappées
dans des formules lapidaires, dont les deux
premières suffisent à dire le ton :
« 1 0 Parce que les rapports d'une mé-
tropole et d'une colonie sont en général
contraires à tout principe de saine économie
politique et même à tout principe d'équité;
2° Parce que jamais colonie ne fut pré-
sentée sous de plus fâcheux auspices et
avec moins de chances de succès. »
Les partisans, timides, quasi-honteux de
l'occupation, comme M. de la Pinsonnière,
membre de la Commission d'enquête, qui
déclare « l'occupation d'Alger est une me-
sure fâcheuse, mais elle est pour nous une
nécessité absolue qu'il faut subir », comme
MM. de Laborde, Manguin, parlent sous le
feu des sarcasmes et des ricanements des
adversaires.
Et le rapporteur, M. Hippolyte Passy,
qui parle le dernier, se montre plus violent
encore que dans son rapport.
Il craint « qu'Alger soit une détestable
possession, un boulet que la France traî-
nera après elle et qui embarrassera long-
temps sa marche en Europe... »
Et il conclut :
« ... J'affirme que si l'un d'entre vous
consentait à aventurer son avenir, sa for-
tune, ses ressources sur des chances de suc-
cès aussi incertaines, aussi fragiles que cel-
les que présente la colonisation du terrain
algérien, je ne balancerais pas à le taxer
d'imprévoyance et de folie... »
Et c'est seulement alors que dans un dis-
cours sobre, ramassé, Lamartine intervient
pour défendre, non pas seulement l'occupa-
tion d'Alger, mais la colonisation en géné-
ral, dont il dit :
« Dites ce que vous voudrez, messieurs,
voilà la colonisation. Elle ne crée pas im-
médiatement les richesses, mais elle crée le
mobile du travail; elle multiplie la vie, le
mouvement social ; elle préserve le corps
politique ou de cette langueur qui l'énerve,
ou de cette surabondance de forces sans
emploi qui éclate tôt ou tard en révolutions
et en catastrophes... »
Et il termine en s'ccriant :
« Devons-nous abandonner Alger? Les
conclusions au moins tacites des orateurs
que nous avons entendus me font craindre
qu'ils n'aient fait germer cette pensée dans
l'esprit de la Chambre et du pays. Pensée
funeste, messieurs, pensée antinationale, an
tisociale, antihumaine que nous devons re-
pousser, comme nous repousserions la pen-
sée d'une honte ou d'un crime... »
Après ce grand débat, le crédit de
400.000 francs pour la colonisation qui était
demandé par le gouvernement fut réduit
par la Chambre à 250.000 francs sur la de-
mande de la Commission.
Et cela continua.
En 1837, après la prise de Constantine,
M. de Gasparin, à la Chambre des Pairs,
propose d'abandonner la place après l'avoir
démantelée ; à la Chambre des Députés,
M. Duvergier de Hauranne qualifie de fu-
neste et d'impolitique l'expédition de Cons-
tantine et MM. Jobert et Desjobert deman-
dent avec obstination l'évacuation de l'Algé-
rie.
Il n'est pas jusqu'à ceux mêmes qui étaient
chargés de la « création n de l'Algérie qui
n'aient eu sur elle les plus singulières opi-
nions.
N'est-ce pas Bugeaud lui-même, alors
gouverneur général, qui écrivait en février
1846, à scn retour de l'horrible campagne
de Kabylie : « Nous avons beaucoup in-
cendié, beaucoup détruit. Peut-être on me
traitera de barbare, mais je me place au-
Dans l'Aurès. — La palmeraie de Rouffi (Chemins de fer Algériens de l'Etat).
dessus des reproches de la presse quand j'ai
la conviction d'avoir accompli une œuvre
utile à mon pays. L'armée n'est pas faite
pour protéger les intérêts dcs colons, mais
pour marcher à la conquête de l'Algérie et
s'illustrer par des victoires... »
Et ce sont les rêveurs, les « vieilles bar-
bes » de 1848 qui reprennent avec la loi du
19 septembre 1848 l'idée de la colonisation
systématique.
Et c'est Constantin Pecqueur, l'utopiste
qui, à la fin de son gros livre de « La
Théorie nouvelle d'Economie politique et so-
ciale D, voudrait que l'on prit l'Algérie
comme champ d'expérience pour ses idées :
« L'Algérie offre une bien belle occasion
d'appliquer cette combinaison sur grande
échelle, ex-abrupto, et dans toute sa pureté.
La France a pris possession légitime du sol
algérien, que va-t-elle en faire ? Malheur à
elle si elle le morcelle, si elle le déchire
en lambeaux et s'en sert pour multiplier des
propriétaires oisifs. Cette propriété natio-
nale doit rester indivise, inaliénable, dans la
possession directe de l'Etat; les cultivateurs
ne doivent en être que les possesseurs à bail,
les fermiers moyennant fermage. Il fau-
drait plus encore; il faudrait y organiser
une économie analogue à celle que nous
avons esquissée dans notre plan-modèle et
qui ressort de tout notre travail : socialiser
complètement le sol algérien et n'y recon-
naître que des fonctionnaires.
« Mais cet état est trop parfait sans doute
pour nos générations : ce serait déjà un
progrès immense que d'aboutir à restituer,
partout, l'Etat comme propriétaire direct du
sol, et à propager le mode d'association et
de solidarité, en parsemant le territoire de
centres de travail avec capital inaliénable,
et exploitation simultanée de l'agriculture et
de la manufacture. J)
Et enfin c'est Prévost-Paradol et sa tra-
gique prédiction :
« ...Nous avons encore cette chance su-
prême et cette chance s'appelle d'un nom
qui devrait être plus populaire en France,
l'Algérie...
« ...Puisse-t-il venir bientôt ce jour où nos
concitoyens à l'étroit dans notre France
Africaine, déborderont sur le Maroc et sur
la Tunisie et fonderont enfin cet empire
méditerranéen qui ne sera pas seulement une
satisfaction pour notre orgueil, mais qui
sera certainement, dans l'état futur du
monde, la dernière ressource de notre-gran-
deur...
« ... Quatre-vingt à cent millions de Fran-
çais, fortement établis sur les deux rives de
la Méditerranée, au cœur de l'ancien conti-
nent, maintenant, à travers les temps, la
langue et la légitime considération de la
F rance... D
C'était un rêve, un grand rêve.
Mais je le demande à nos hommes sa-
ges, réalistes, aux Hippolyte Passy, Dupin
et autres Desjobert de 1834, ne sommes-
nous pas plus près, aujourd'hui, de ces rê-
ves que de celui de leur méfiance, de leur
pessimisme, de leur mesquine parcimonie
financière ?
La colonisation est un acte de foi... dans
le travail, la volonté des hommes et l'élan
même de la civilisation.
Etienne ANTONELLI,
Député de la Haute-Savoie,
Rapporteur du budget de l'Algérie.
Les Annales Coloniales
M. Piscatory, qui parle après lui et dans
le même sens, déclare à son tour :
a ... Il me reste à déclarer que ma convic-
tion sincère est qu'il serait heureux pour la
France de n'avoir jamais conquis Alger... »
Et voici M. Dupin qui dans un discours
plein de fougue et de verve, déclare avec
toute sa haute autorité d'économiste et de
jurisconsulte :
« En résumé, je dis que l'état de choses
est calamiteux. La colonisation est une chose
absurde ; point de colons, point de terres
à leur concéder, pas de garanties surtout à
leur promettre.
« ... Il faut... hâter le moment de libérer
la France d'un fardeau qu'elle ne pourra
et qu'elle ne voudra pas porter longtemps
(marques nombreuses et prolongées d'adhé-
sion). »
Le ier mai, un certain M. Escanyé « re-
pousse toute entreprise de colonisation à
Alger » pour onze raisons, toutes frappées
dans des formules lapidaires, dont les deux
premières suffisent à dire le ton :
« 1 0 Parce que les rapports d'une mé-
tropole et d'une colonie sont en général
contraires à tout principe de saine économie
politique et même à tout principe d'équité;
2° Parce que jamais colonie ne fut pré-
sentée sous de plus fâcheux auspices et
avec moins de chances de succès. »
Les partisans, timides, quasi-honteux de
l'occupation, comme M. de la Pinsonnière,
membre de la Commission d'enquête, qui
déclare « l'occupation d'Alger est une me-
sure fâcheuse, mais elle est pour nous une
nécessité absolue qu'il faut subir », comme
MM. de Laborde, Manguin, parlent sous le
feu des sarcasmes et des ricanements des
adversaires.
Et le rapporteur, M. Hippolyte Passy,
qui parle le dernier, se montre plus violent
encore que dans son rapport.
Il craint « qu'Alger soit une détestable
possession, un boulet que la France traî-
nera après elle et qui embarrassera long-
temps sa marche en Europe... »
Et il conclut :
« ... J'affirme que si l'un d'entre vous
consentait à aventurer son avenir, sa for-
tune, ses ressources sur des chances de suc-
cès aussi incertaines, aussi fragiles que cel-
les que présente la colonisation du terrain
algérien, je ne balancerais pas à le taxer
d'imprévoyance et de folie... »
Et c'est seulement alors que dans un dis-
cours sobre, ramassé, Lamartine intervient
pour défendre, non pas seulement l'occupa-
tion d'Alger, mais la colonisation en géné-
ral, dont il dit :
« Dites ce que vous voudrez, messieurs,
voilà la colonisation. Elle ne crée pas im-
médiatement les richesses, mais elle crée le
mobile du travail; elle multiplie la vie, le
mouvement social ; elle préserve le corps
politique ou de cette langueur qui l'énerve,
ou de cette surabondance de forces sans
emploi qui éclate tôt ou tard en révolutions
et en catastrophes... »
Et il termine en s'ccriant :
« Devons-nous abandonner Alger? Les
conclusions au moins tacites des orateurs
que nous avons entendus me font craindre
qu'ils n'aient fait germer cette pensée dans
l'esprit de la Chambre et du pays. Pensée
funeste, messieurs, pensée antinationale, an
tisociale, antihumaine que nous devons re-
pousser, comme nous repousserions la pen-
sée d'une honte ou d'un crime... »
Après ce grand débat, le crédit de
400.000 francs pour la colonisation qui était
demandé par le gouvernement fut réduit
par la Chambre à 250.000 francs sur la de-
mande de la Commission.
Et cela continua.
En 1837, après la prise de Constantine,
M. de Gasparin, à la Chambre des Pairs,
propose d'abandonner la place après l'avoir
démantelée ; à la Chambre des Députés,
M. Duvergier de Hauranne qualifie de fu-
neste et d'impolitique l'expédition de Cons-
tantine et MM. Jobert et Desjobert deman-
dent avec obstination l'évacuation de l'Algé-
rie.
Il n'est pas jusqu'à ceux mêmes qui étaient
chargés de la « création n de l'Algérie qui
n'aient eu sur elle les plus singulières opi-
nions.
N'est-ce pas Bugeaud lui-même, alors
gouverneur général, qui écrivait en février
1846, à scn retour de l'horrible campagne
de Kabylie : « Nous avons beaucoup in-
cendié, beaucoup détruit. Peut-être on me
traitera de barbare, mais je me place au-
Dans l'Aurès. — La palmeraie de Rouffi (Chemins de fer Algériens de l'Etat).
dessus des reproches de la presse quand j'ai
la conviction d'avoir accompli une œuvre
utile à mon pays. L'armée n'est pas faite
pour protéger les intérêts dcs colons, mais
pour marcher à la conquête de l'Algérie et
s'illustrer par des victoires... »
Et ce sont les rêveurs, les « vieilles bar-
bes » de 1848 qui reprennent avec la loi du
19 septembre 1848 l'idée de la colonisation
systématique.
Et c'est Constantin Pecqueur, l'utopiste
qui, à la fin de son gros livre de « La
Théorie nouvelle d'Economie politique et so-
ciale D, voudrait que l'on prit l'Algérie
comme champ d'expérience pour ses idées :
« L'Algérie offre une bien belle occasion
d'appliquer cette combinaison sur grande
échelle, ex-abrupto, et dans toute sa pureté.
La France a pris possession légitime du sol
algérien, que va-t-elle en faire ? Malheur à
elle si elle le morcelle, si elle le déchire
en lambeaux et s'en sert pour multiplier des
propriétaires oisifs. Cette propriété natio-
nale doit rester indivise, inaliénable, dans la
possession directe de l'Etat; les cultivateurs
ne doivent en être que les possesseurs à bail,
les fermiers moyennant fermage. Il fau-
drait plus encore; il faudrait y organiser
une économie analogue à celle que nous
avons esquissée dans notre plan-modèle et
qui ressort de tout notre travail : socialiser
complètement le sol algérien et n'y recon-
naître que des fonctionnaires.
« Mais cet état est trop parfait sans doute
pour nos générations : ce serait déjà un
progrès immense que d'aboutir à restituer,
partout, l'Etat comme propriétaire direct du
sol, et à propager le mode d'association et
de solidarité, en parsemant le territoire de
centres de travail avec capital inaliénable,
et exploitation simultanée de l'agriculture et
de la manufacture. J)
Et enfin c'est Prévost-Paradol et sa tra-
gique prédiction :
« ...Nous avons encore cette chance su-
prême et cette chance s'appelle d'un nom
qui devrait être plus populaire en France,
l'Algérie...
« ...Puisse-t-il venir bientôt ce jour où nos
concitoyens à l'étroit dans notre France
Africaine, déborderont sur le Maroc et sur
la Tunisie et fonderont enfin cet empire
méditerranéen qui ne sera pas seulement une
satisfaction pour notre orgueil, mais qui
sera certainement, dans l'état futur du
monde, la dernière ressource de notre-gran-
deur...
« ... Quatre-vingt à cent millions de Fran-
çais, fortement établis sur les deux rives de
la Méditerranée, au cœur de l'ancien conti-
nent, maintenant, à travers les temps, la
langue et la légitime considération de la
F rance... D
C'était un rêve, un grand rêve.
Mais je le demande à nos hommes sa-
ges, réalistes, aux Hippolyte Passy, Dupin
et autres Desjobert de 1834, ne sommes-
nous pas plus près, aujourd'hui, de ces rê-
ves que de celui de leur méfiance, de leur
pessimisme, de leur mesquine parcimonie
financière ?
La colonisation est un acte de foi... dans
le travail, la volonté des hommes et l'élan
même de la civilisation.
Etienne ANTONELLI,
Député de la Haute-Savoie,
Rapporteur du budget de l'Algérie.
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