Titre : Le Monde colonial illustré : revue mensuelle, commerciale, économique, financière et de défense des intérêts coloniaux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-10-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34459430v
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 octobre 1929 01 octobre 1929
Description : 1929/10/01 (A7,N74)-1929/10/31. 1929/10/01 (A7,N74)-1929/10/31.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9745726t
Source : CIRAD, 2016-192274
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/09/2016
No 74. — OCTOBRE 1929 LE MONDE COLONIAL ILLUSTRÉ 255
Alger en 1852. — Vue des mosquées.
bornée à deux jours !... On rit. Les colonies? La sen-
tence est dédaigneuse et prononcée en une harmo-
nieuse période : « Incapables d'offrir à notre marine
un point de relâche, une rade assurée ; peu suscep-
tibles de défense en temps de guerre et coûteuses en
temps de paix, elles sont, pour nos ennemis, une oc-
casion de rapines toujours renaissantes et un sujet de
triomphes faciles qui me blessent. »
Ce qui intéresse Benjamin Constant dans nos pro-
vinces d'outre-mer, ce ne sont pas les colons, mais les
esclaves. La traite sévit plus que jamais. Les noirs
ne connaissent, de la justice française, qu'une ridicule
parodie. Les hommes de couleur se voient repoussés
des professions libérales, sous prétexte que la probité
n'est pas compatible avec leur naissance vile. Les
colons sont cruels et rapaces. Et de rappeler les me-
sures prises contre les mulâtres par M. de Clermont-
Tonnerre. La droite murmure. « Il a parlé en maître,
. M. Clermont-Tonnerre », interrompt un député. « En
maître de nègres, oui, réplique Constant, et vous
l'admirez ! »
La Chambre est lasse. Ces longues discussions à
propos d'un budget secondaire l'excèdent. Un député
monte à la tribune, encore ! On crie « Aux voix ! »
On réclame la clôture. L'orateur insiste pour qu'on
l'écoute. Il adjure le président de lui donner la parole.
Il l'obtient. Il parle. C'est M. de Formon. Le brave
homme !
Ils sont plus de vingt, et des plus grands, à avoir
attaqué les colonies. Lui les connaît, ces pays décriés.
Il y a vécu, travaillé. On n'a pas le droit de ne pas
écouter leur défense.
Et, brutalement, il dissipe l'équivoque hypocrite.
Personne n'a osé dire que la France ne voulait plus
de colonies. Chacun, par contre, s'est ingénié à leur
refuser les moyens d'exister. Ce n'est ni franc, ni adroit.
On a dit qu'elles étaient pour l'Angleterre une proie
offerte. Il est persuadé, lui, qu'elle ne s'en emparerait
ni sans peines, ni sans dépenses. C'est dans ces postes
avancés que se ferait la guerre la plus active. On ne
sait pas combien le commerce anglais a souffert du
fait des bâtiments de guerre et des corsaires armés et
sortis de l'île de France et de la Guadeloupe.
Et puis, quelle diversion puissante ! Quand la Gua-
L 'Algérie en 1929, — Une grande ferme dans la Mitidja.
deloupe et la Martinique étaient françaises, elles ont
arrêté devant elles 20 000 soldats anglais et 100 bâti
ments, dont l'entretien a coûté à Londres plus de
30 millions.
Les esclaves? Un prétexte à déclamations injustes.
Plût au ciel que les paysans de France fussent aussi
heureux que les noirs employés aux plantations ! Sait-on
que, lors du blocus de la Guadeloupe les maîtres, se
• sont endettés vis-à-vis de ces soi-disant misérables, qui
leur prêtèrent des sommes allant jusqu'à 20 000 francs ?
Un tel fait en dit plus que tous les raisonnements.
La Chambre, plutôt par lassitude que par convic-
tion, renonce à répondre au député colon. On se répand
dans les couloirs, et c'est devant les banquettes que
M. Viennet va parler des arsenaux et de l'armement.
M. Viennet, académicien, est le député excentrique,
vif de corps et d'esprit. Il ne peut se tenir à sa place.
Il va, vient, gesticule, décoche des saillies parfois
vulgaires, parfois comiques. Il s'est affilié, on ne sait
pourquoi, aux béotiens dorés du centre.
Aujourd'hui, il commence : « Il n'y a personne... »
Les députés restés en séance, rari nantes, éclatent de
rire. « Il n'y a personne en France, continue, imper-
turbable, M. Viennet, qui doute... » etc.
A l'occasion du matériel d'artillerie, il raconte une
histoire qui lui vaut un de ces succès que son collègue
Constant vient de nommer faciles. A la rentrée d'un
brick, on s'est aperçu que les caronades étaient
hors d'état de faire feu. Les boulons-tourillons, autre-
ment dit le pivot horizontal sur lesquels les canons
font leur mouvement de bascule, étaient tellement liés
à la pièce par la rouille qu'il a fallu les débarquer toutes
sur leurs affûts et qu'un ouvrier a employé vingt-
quatre journées de travail pour en dégager une seule.
Et l'orateur d'ajouter : « C'est là un inconvénient que
la rencontre d'un corsaire algérien pouvait rendre très
grave. » On s'en serait douté !
Et maintenant, fermons le Moniteur et ouvrons la
correspondance diplomatique. « Pourquoi ne m'a-t-il
pas répondu directement (il s'agit du ministre qui a
fait porter sa réponse au Dey, par Deval, notre consul) ?
Suis-je un manant, un homme de boue, un va-nu-pieds ?
C'est vous qui lui avez insinué de ne pas m'écrire !
Vous êtes un méchant, un infidèle, un idolâtre (1)! »
Et le fameux chasse-mouches d'entrer en danse.
Voilà en vérité de fortes paroles. C'est ainsi que l'on at-
tire chez soi les étrangers, malgré eux, qu'on les oblige
à se tailler dans votre Régence une splendide colonie.
Nous espérons l'avoir prouvé ! Ce n'est point
parmi les doctrinaires engoncés dans les grands cols
à pointes menaçantes qu'il faut, en ces temps de cen-
tenaire, chercher les fondateurs de notre empire
colonial, c'est à la Kasbah. Le manche du chasse-
mouches d'Hussein — car Hussein frappa avec le
manche — doit figurer, entre les épées de Bourmont
et de Bugeaud, au centre de la panoplie historique,
s'il y en a une au Gouvernement général.
Roser VERCEL.
(1) Rapport de Deval au ministre pour rendre compte
de son entrevue avec le Dey.
Alger en 1852. — Vue des mosquées.
bornée à deux jours !... On rit. Les colonies? La sen-
tence est dédaigneuse et prononcée en une harmo-
nieuse période : « Incapables d'offrir à notre marine
un point de relâche, une rade assurée ; peu suscep-
tibles de défense en temps de guerre et coûteuses en
temps de paix, elles sont, pour nos ennemis, une oc-
casion de rapines toujours renaissantes et un sujet de
triomphes faciles qui me blessent. »
Ce qui intéresse Benjamin Constant dans nos pro-
vinces d'outre-mer, ce ne sont pas les colons, mais les
esclaves. La traite sévit plus que jamais. Les noirs
ne connaissent, de la justice française, qu'une ridicule
parodie. Les hommes de couleur se voient repoussés
des professions libérales, sous prétexte que la probité
n'est pas compatible avec leur naissance vile. Les
colons sont cruels et rapaces. Et de rappeler les me-
sures prises contre les mulâtres par M. de Clermont-
Tonnerre. La droite murmure. « Il a parlé en maître,
. M. Clermont-Tonnerre », interrompt un député. « En
maître de nègres, oui, réplique Constant, et vous
l'admirez ! »
La Chambre est lasse. Ces longues discussions à
propos d'un budget secondaire l'excèdent. Un député
monte à la tribune, encore ! On crie « Aux voix ! »
On réclame la clôture. L'orateur insiste pour qu'on
l'écoute. Il adjure le président de lui donner la parole.
Il l'obtient. Il parle. C'est M. de Formon. Le brave
homme !
Ils sont plus de vingt, et des plus grands, à avoir
attaqué les colonies. Lui les connaît, ces pays décriés.
Il y a vécu, travaillé. On n'a pas le droit de ne pas
écouter leur défense.
Et, brutalement, il dissipe l'équivoque hypocrite.
Personne n'a osé dire que la France ne voulait plus
de colonies. Chacun, par contre, s'est ingénié à leur
refuser les moyens d'exister. Ce n'est ni franc, ni adroit.
On a dit qu'elles étaient pour l'Angleterre une proie
offerte. Il est persuadé, lui, qu'elle ne s'en emparerait
ni sans peines, ni sans dépenses. C'est dans ces postes
avancés que se ferait la guerre la plus active. On ne
sait pas combien le commerce anglais a souffert du
fait des bâtiments de guerre et des corsaires armés et
sortis de l'île de France et de la Guadeloupe.
Et puis, quelle diversion puissante ! Quand la Gua-
L 'Algérie en 1929, — Une grande ferme dans la Mitidja.
deloupe et la Martinique étaient françaises, elles ont
arrêté devant elles 20 000 soldats anglais et 100 bâti
ments, dont l'entretien a coûté à Londres plus de
30 millions.
Les esclaves? Un prétexte à déclamations injustes.
Plût au ciel que les paysans de France fussent aussi
heureux que les noirs employés aux plantations ! Sait-on
que, lors du blocus de la Guadeloupe les maîtres, se
• sont endettés vis-à-vis de ces soi-disant misérables, qui
leur prêtèrent des sommes allant jusqu'à 20 000 francs ?
Un tel fait en dit plus que tous les raisonnements.
La Chambre, plutôt par lassitude que par convic-
tion, renonce à répondre au député colon. On se répand
dans les couloirs, et c'est devant les banquettes que
M. Viennet va parler des arsenaux et de l'armement.
M. Viennet, académicien, est le député excentrique,
vif de corps et d'esprit. Il ne peut se tenir à sa place.
Il va, vient, gesticule, décoche des saillies parfois
vulgaires, parfois comiques. Il s'est affilié, on ne sait
pourquoi, aux béotiens dorés du centre.
Aujourd'hui, il commence : « Il n'y a personne... »
Les députés restés en séance, rari nantes, éclatent de
rire. « Il n'y a personne en France, continue, imper-
turbable, M. Viennet, qui doute... » etc.
A l'occasion du matériel d'artillerie, il raconte une
histoire qui lui vaut un de ces succès que son collègue
Constant vient de nommer faciles. A la rentrée d'un
brick, on s'est aperçu que les caronades étaient
hors d'état de faire feu. Les boulons-tourillons, autre-
ment dit le pivot horizontal sur lesquels les canons
font leur mouvement de bascule, étaient tellement liés
à la pièce par la rouille qu'il a fallu les débarquer toutes
sur leurs affûts et qu'un ouvrier a employé vingt-
quatre journées de travail pour en dégager une seule.
Et l'orateur d'ajouter : « C'est là un inconvénient que
la rencontre d'un corsaire algérien pouvait rendre très
grave. » On s'en serait douté !
Et maintenant, fermons le Moniteur et ouvrons la
correspondance diplomatique. « Pourquoi ne m'a-t-il
pas répondu directement (il s'agit du ministre qui a
fait porter sa réponse au Dey, par Deval, notre consul) ?
Suis-je un manant, un homme de boue, un va-nu-pieds ?
C'est vous qui lui avez insinué de ne pas m'écrire !
Vous êtes un méchant, un infidèle, un idolâtre (1)! »
Et le fameux chasse-mouches d'entrer en danse.
Voilà en vérité de fortes paroles. C'est ainsi que l'on at-
tire chez soi les étrangers, malgré eux, qu'on les oblige
à se tailler dans votre Régence une splendide colonie.
Nous espérons l'avoir prouvé ! Ce n'est point
parmi les doctrinaires engoncés dans les grands cols
à pointes menaçantes qu'il faut, en ces temps de cen-
tenaire, chercher les fondateurs de notre empire
colonial, c'est à la Kasbah. Le manche du chasse-
mouches d'Hussein — car Hussein frappa avec le
manche — doit figurer, entre les épées de Bourmont
et de Bugeaud, au centre de la panoplie historique,
s'il y en a une au Gouvernement général.
Roser VERCEL.
(1) Rapport de Deval au ministre pour rendre compte
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