Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-01-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 janvier 1929 01 janvier 1929
Description : 1929/01/01-1929/01/31. 1929/01/01-1929/01/31.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9743138b
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Les Annales Coloniales
Paye 5
•
avons traversé les cours successives, les portes
étroites, les escaliers en colimaçon, jusqu'à la
haute salle garnie de riches tapis, où nous ser-
vaient les esclaves noirs aux pendants d'oreille
d'argent, c'est le moyen âge ; un moyen âge
fastueux d'Islam : tout à l'heure, au fond d'une
cour sombre, derrière les étroites ouvertures gril-
lagées qui perçaient une haute muraille rébar-
bative, combien avons-nous vu briller de noirs
regards qui brusquement s'effaçaient 7 le ha-
rem. Au fond des vallées, au bord de 1 oued
bordé d'oasis, ces groupes de femmes aux longs
voiles blancs sur lesquels se projette l'ombre
grêle des oliviers, ou bien, sur l'infini de la
plaine aux teintes fauves, ces nomades, ces
ânes, ces chameaux, dont le profil se détache
si net à la lumière dorée du couchant, c'est la
Bible ; plus loin encore dans le passé, autour
des tentes blanches sobrement décorées d'am-
phores peintes en noir, la théorie solen-
nelle des serviteurs portant sur leur tête les
plateaux d'argent préparés pour la Diffa,
n'avez-vous pas vu ce tableau sur quelque
vase de l'antique Egypte ?
Hélas, un peu de ce passé s effacera. à
mesure qu'arriveront autocars et che-
mins de fer. Mais ce qu'on a fait avec
tant de goût à Rabat, ce qu'on fait à Fez
et à Marrakech nous fait espérer au'on
saura sauver, pour la joie des yeux et de
l'esprit, tout ce qui peut l'être.
Rabat, ville française aux larges rues
brillamment éclairées, avec ses grands ma-
gasins, les terrasses de ses riches cafés ; à
quelques pas, la medina nous montre le
pittoresque de ses ruelles aux étroites bou-
tiques d'artisans, cuivres, tapis, broderies ;
et derrière les farouches murailles qui do-
minent l'estuaire du Bou Regreg, ce sont
les blanches terrasses et les jardins des
Oudaia. On protégera, à Marrakech, la
perspective des longs murs qui font à ses
palmeraies, à ses magnifiques plantations d'oli-
viers et d'orangers une ceinture d'une si mélan-
colique beauté. Fez, religieuse et savante, com-
merçante et artiste, dans le dédale de ses hautes
ruelles, autour des mosquées et des médersas,
garde jalousement ce charme sévère et profond
que l'Europe devra respecter. La France y
veillera. C'était l'orgueil des anciens conqué-
rants de faire place nette du passé là où ils vou-
Danseuses au Tizi N'Tichka
Photo Flandrin (Casablanca).
laient édifier les monuments de leur puissance.
Nous avons admiré, à Meknès, les chapiteaux
de marbre, finement travaillés, dont Abdel
Mansour « le Doré » avait orné à Marrakech
son merveilleux palais d 'F-J Bédi. El Bédi de-
vait disparaître pour la plus grande gloire de
Meknès, capitale de Moulai-Ismaïl. La Fran-
ce, en apportant sa civilisation, veut conserver,
faire revivre, pour en enrichir sa propre culture,
ce qu'ont créé d'inappréciable les civilisations
d'autrefois. Cette tâche est sienne.
Parlerai-je maintenant du commerce, de l'a-
griculture, des richesses du sol et du sous-sol ?
Mais ce sont choses sur lesquelles les statisti-
ques renseignent mieux que les récits d'un
voyageur. Je dirai seulement que ces statisti-
ques permettent les plus beaux espoirs. Seuls
les phosphates suffiraient à assurer l'équilibre
budgétaire du protectorat et l'avenir du port de
Casablanca. Et le sous-sol marocain est loin
d'avoir révélé tous ses secrets. Ne parle-t-on
pas de richesses nouvelles qui bientôt, vers Bou-
Arfa, viendraient animer d'une vie intense les
mornes régions des confins algériens. Quant à
1 'agriculture, ses progrès sont rapides. En
Chaouia, autour de Rabat, de Meknès et de
Fez, les céréales donnent d'abondantes mois-
sons. Là où l'indigène grattait le sol, aux pre-
mières pluies, avec sa pauvre charrue de bois,
des machines puissantes apparaissent ; l'engrais
Femmes indigènes à la casbah de Tinmel
Photo Flandrin (Casablanca).
féconde la terre autour des fermes modèles dont
les murs blancs se détachent, de plus en plus
nombreux, à travers le bled. Autour de Marra-
kech les oliviers, les dattiers, les orangers, les
amandiers s'étendent en vastes plantations.
Ce qui frappera surtout le visiteur, dans cet
essor de l'agriculture et de l'industrie maro-
caine, c'est la hardiesse intelligente des con-
ceptions, le désir manifeste de mettre l'outil-
lage en harmonie avec les derniers progrès de
la science et de la technique. L'administration
a donné l'exemple. Elle a tracé largement le
plan des villes neuves, des ports, des routes,
des chemins de fer. Elle n'a pas craint de voir
grand ; elle s'est moins souciée d'imiter que de
donner elle-même l'exemple d'une adaptation
audacieuse aux besoins du présent. Les entre-
prises privées suivent l'élan. On nous faisait
remarquer, (ce n'est qu'un détail, une coquet-
terie d'ingénieur) que la ligne du chemin de
m
fer de Casablanca à Marrakech ne comporte
pas un passage à niveau. Mais c'est aussi un
symbole. Les spécialistes s'intéresseront davan-
tage à la façon dont est électrifiée la section de
Casablanca à Sidi el Aïdi, en attendant que
1 achèvement de l'usine hydro-électrique de
Sidi Machou, sur l'Oum er Rebia, permette
d électrifier la ligne entière. Ils s'intéresseront
surtout à la manière dont se fait le transport et
I embarquement des phosphates, la puissance
des moyens matériels multipliant la vitesse et
réduisant au minimum la main-d'oeuvre.
Ajoutons qu'à côté de l'industrie la plus mo-
derne, par un de ces contrastes qui caractérisent
ce pays, le protectorat s'efforce de maintenir et
de régénérer ces arts indigènes, tapis, broderies,
poteries, maroquineries, que nous avions trouvés
eq pleine décadence, malgré les dons naturels
de ces artistes indigènes dont on admire dans
les souks de Rabat et de Fez l'habileté et
le goût. Comme en Algérie, l'école et le
musée feront renaître ici les talents d'au-
trefois.
Ainsi se réalise rapidement au Maroc
une des plus belles œuvres de la coloni-
sation française.
Nous étions, il y a quelques jours, au
sommet de cette tour Hassan d'où l'on a
une vue si belle sur l'estuaire du Bou Re-
greg où se font face les deux villes soeurs
et rivales de Rabat et de Salé. Notre sa-
vant guide nous expliquait l'émouvante
histoire de ces lieux, les empires, les civi-
lisations. Derrière nous, au creux du val-
lon de Chella où les pèlerins se reposent
sous les oliviers centenaires, s'élevait l'op-
pidum construit par les Romains. Ils ne
dépassèrent guère cet endroit. A nos
pieds, la vaste mosquée, dont nous aper-
cevons les colonnes tronquées, a été cons-
truite par les Almohades, qui firent
de ce plateau un immense campement pour
leurs armées. Salé, dont nous voyons sur la
droite les longues murailles, évoque la puis-
sance de Mérinides. Chacun de ces empires
s'écroula, ne laissant derrière lui que des rui-
nes. Maintenant ce sont les Français !...
La France a commencé au Maroc une œu-
vre grandiose, une de ces oeuvres difficiles et
magnifiques à la réussite desquelles se juge la
La Mosquée de Tinmel au cœur de l'Atlas
Photo Flandrin (Casablanca).
valeur d un peuple. Mais la tâche n'est pas fi-
nie ; l'épreuve continue. A nous de compren-
dre et de vouloir 1
Aimé BERTHOD,
Député du Jura,
Ancien sous-secrétaire d'Etat,
V ice-président
de la commission des Affaires étrangères.
Paye 5
•
avons traversé les cours successives, les portes
étroites, les escaliers en colimaçon, jusqu'à la
haute salle garnie de riches tapis, où nous ser-
vaient les esclaves noirs aux pendants d'oreille
d'argent, c'est le moyen âge ; un moyen âge
fastueux d'Islam : tout à l'heure, au fond d'une
cour sombre, derrière les étroites ouvertures gril-
lagées qui perçaient une haute muraille rébar-
bative, combien avons-nous vu briller de noirs
regards qui brusquement s'effaçaient 7 le ha-
rem. Au fond des vallées, au bord de 1 oued
bordé d'oasis, ces groupes de femmes aux longs
voiles blancs sur lesquels se projette l'ombre
grêle des oliviers, ou bien, sur l'infini de la
plaine aux teintes fauves, ces nomades, ces
ânes, ces chameaux, dont le profil se détache
si net à la lumière dorée du couchant, c'est la
Bible ; plus loin encore dans le passé, autour
des tentes blanches sobrement décorées d'am-
phores peintes en noir, la théorie solen-
nelle des serviteurs portant sur leur tête les
plateaux d'argent préparés pour la Diffa,
n'avez-vous pas vu ce tableau sur quelque
vase de l'antique Egypte ?
Hélas, un peu de ce passé s effacera. à
mesure qu'arriveront autocars et che-
mins de fer. Mais ce qu'on a fait avec
tant de goût à Rabat, ce qu'on fait à Fez
et à Marrakech nous fait espérer au'on
saura sauver, pour la joie des yeux et de
l'esprit, tout ce qui peut l'être.
Rabat, ville française aux larges rues
brillamment éclairées, avec ses grands ma-
gasins, les terrasses de ses riches cafés ; à
quelques pas, la medina nous montre le
pittoresque de ses ruelles aux étroites bou-
tiques d'artisans, cuivres, tapis, broderies ;
et derrière les farouches murailles qui do-
minent l'estuaire du Bou Regreg, ce sont
les blanches terrasses et les jardins des
Oudaia. On protégera, à Marrakech, la
perspective des longs murs qui font à ses
palmeraies, à ses magnifiques plantations d'oli-
viers et d'orangers une ceinture d'une si mélan-
colique beauté. Fez, religieuse et savante, com-
merçante et artiste, dans le dédale de ses hautes
ruelles, autour des mosquées et des médersas,
garde jalousement ce charme sévère et profond
que l'Europe devra respecter. La France y
veillera. C'était l'orgueil des anciens conqué-
rants de faire place nette du passé là où ils vou-
Danseuses au Tizi N'Tichka
Photo Flandrin (Casablanca).
laient édifier les monuments de leur puissance.
Nous avons admiré, à Meknès, les chapiteaux
de marbre, finement travaillés, dont Abdel
Mansour « le Doré » avait orné à Marrakech
son merveilleux palais d 'F-J Bédi. El Bédi de-
vait disparaître pour la plus grande gloire de
Meknès, capitale de Moulai-Ismaïl. La Fran-
ce, en apportant sa civilisation, veut conserver,
faire revivre, pour en enrichir sa propre culture,
ce qu'ont créé d'inappréciable les civilisations
d'autrefois. Cette tâche est sienne.
Parlerai-je maintenant du commerce, de l'a-
griculture, des richesses du sol et du sous-sol ?
Mais ce sont choses sur lesquelles les statisti-
ques renseignent mieux que les récits d'un
voyageur. Je dirai seulement que ces statisti-
ques permettent les plus beaux espoirs. Seuls
les phosphates suffiraient à assurer l'équilibre
budgétaire du protectorat et l'avenir du port de
Casablanca. Et le sous-sol marocain est loin
d'avoir révélé tous ses secrets. Ne parle-t-on
pas de richesses nouvelles qui bientôt, vers Bou-
Arfa, viendraient animer d'une vie intense les
mornes régions des confins algériens. Quant à
1 'agriculture, ses progrès sont rapides. En
Chaouia, autour de Rabat, de Meknès et de
Fez, les céréales donnent d'abondantes mois-
sons. Là où l'indigène grattait le sol, aux pre-
mières pluies, avec sa pauvre charrue de bois,
des machines puissantes apparaissent ; l'engrais
Femmes indigènes à la casbah de Tinmel
Photo Flandrin (Casablanca).
féconde la terre autour des fermes modèles dont
les murs blancs se détachent, de plus en plus
nombreux, à travers le bled. Autour de Marra-
kech les oliviers, les dattiers, les orangers, les
amandiers s'étendent en vastes plantations.
Ce qui frappera surtout le visiteur, dans cet
essor de l'agriculture et de l'industrie maro-
caine, c'est la hardiesse intelligente des con-
ceptions, le désir manifeste de mettre l'outil-
lage en harmonie avec les derniers progrès de
la science et de la technique. L'administration
a donné l'exemple. Elle a tracé largement le
plan des villes neuves, des ports, des routes,
des chemins de fer. Elle n'a pas craint de voir
grand ; elle s'est moins souciée d'imiter que de
donner elle-même l'exemple d'une adaptation
audacieuse aux besoins du présent. Les entre-
prises privées suivent l'élan. On nous faisait
remarquer, (ce n'est qu'un détail, une coquet-
terie d'ingénieur) que la ligne du chemin de
m
fer de Casablanca à Marrakech ne comporte
pas un passage à niveau. Mais c'est aussi un
symbole. Les spécialistes s'intéresseront davan-
tage à la façon dont est électrifiée la section de
Casablanca à Sidi el Aïdi, en attendant que
1 achèvement de l'usine hydro-électrique de
Sidi Machou, sur l'Oum er Rebia, permette
d électrifier la ligne entière. Ils s'intéresseront
surtout à la manière dont se fait le transport et
I embarquement des phosphates, la puissance
des moyens matériels multipliant la vitesse et
réduisant au minimum la main-d'oeuvre.
Ajoutons qu'à côté de l'industrie la plus mo-
derne, par un de ces contrastes qui caractérisent
ce pays, le protectorat s'efforce de maintenir et
de régénérer ces arts indigènes, tapis, broderies,
poteries, maroquineries, que nous avions trouvés
eq pleine décadence, malgré les dons naturels
de ces artistes indigènes dont on admire dans
les souks de Rabat et de Fez l'habileté et
le goût. Comme en Algérie, l'école et le
musée feront renaître ici les talents d'au-
trefois.
Ainsi se réalise rapidement au Maroc
une des plus belles œuvres de la coloni-
sation française.
Nous étions, il y a quelques jours, au
sommet de cette tour Hassan d'où l'on a
une vue si belle sur l'estuaire du Bou Re-
greg où se font face les deux villes soeurs
et rivales de Rabat et de Salé. Notre sa-
vant guide nous expliquait l'émouvante
histoire de ces lieux, les empires, les civi-
lisations. Derrière nous, au creux du val-
lon de Chella où les pèlerins se reposent
sous les oliviers centenaires, s'élevait l'op-
pidum construit par les Romains. Ils ne
dépassèrent guère cet endroit. A nos
pieds, la vaste mosquée, dont nous aper-
cevons les colonnes tronquées, a été cons-
truite par les Almohades, qui firent
de ce plateau un immense campement pour
leurs armées. Salé, dont nous voyons sur la
droite les longues murailles, évoque la puis-
sance de Mérinides. Chacun de ces empires
s'écroula, ne laissant derrière lui que des rui-
nes. Maintenant ce sont les Français !...
La France a commencé au Maroc une œu-
vre grandiose, une de ces oeuvres difficiles et
magnifiques à la réussite desquelles se juge la
La Mosquée de Tinmel au cœur de l'Atlas
Photo Flandrin (Casablanca).
valeur d un peuple. Mais la tâche n'est pas fi-
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