Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-05-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 mai 1929 01 mai 1929
Description : 1929/05/01-1929/05/31. 1929/05/01-1929/05/31.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9743134p
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
: Page 2
Les Annales Coloniales :
tive à la morue ; une partie seulement de
cette pêche, de beaucoup la moins impor-
tante, était consommée à l'état frais ; l'au-
tre était préparée pour être conservée en vue
d'une consommation ultérieure et pour lui
permettre de subir les longueurs du voyage
que nécessitait son transport vers Paris et les
autres villes du Centre, par les voies de
communication défectueuses de la France du
moyen-âge.
La morue se préparait alors d'une ma-
nière assez semblable à celle que l'on em-
ploie encore aujourd'hui sur les côtes de l'Ile
de Terre-Neuve et dans notre colonie de
Saint-Pierre et Miquelon. Après avoir été
fendue, vidée, désossée, lavée et salée à
bord, on l'étendait sur les galets de la plage.
Elle s'y desséchait, sous l'action du soleil et
de l'air salin, et pouvait être conservée plus
ou moins longtemps, suivant le soin apporté
à l'opération.
Les premiers bâtiments qui sortirent de
Fécamp, après l'exode des poissons de la
Manche, pour aller pêcher sur le Grand Banc
de Terre-Neuve, furent armés en 1728, tan-
dis que les pêcheurs d'Islande, immortalisés
par Pierre Loti, ne se livrèrent à la pêche à
la morue que cent ans plus tard, en 1824.
Un siècle
avant Christophe Colomb,
les pêcheurs français
connaissaient l'Amérique
Marc Lescarbet qui a écrit en 1608 son
« Histoire de la Nouvelle France », s'est ex-
primé comme suit, parlant des côtes de
Terre-Neuve :
« De toute mémoire d'homme, et dès plu-
sieurs siècles, nos Dieppois, Malouins, Ro-
chellais et mariniers du Havre de Grâce, de
Honfleur et autres lieux, font les voyages
ordinaires en ces pays-là pour la pêcherie de
la morue. » On pense bien que si les Diep-
pois et les « mariniers du Havre de Grâce »
s'embarquaient pour une si lointaine desti-
nation, les Fécampois dont l'intrépidité et le
goût pour les grandes aventures sont notoi-
res, ne restaient pas en arrière ! Ils faisaient
partie de ces équipages audacieux.
M. Adolphe Bellet, qui possédait une éru-
dition complète -de la question, cite même un
fait extrêmement curieux, qui trouble les con-
naissances historiques généralement admises,
et qui conteste formellement à Christophe
Colomb la découverte de l'Amérique. Bien
antérieurement à son expédition, les Basques
du Cap Breton, près de Bayonne, connurent
la route du Nouveau Monde. « Cent ans
avant le Génois, ils visitèrent les îles de la
côte ferme du Saint-Laurent, où ils fondè-
rent des établissements, et se mirent en rela-
tion avec les naturels du pays, gent canni-
bale dont le commerce n'avait pourtant rien
d'agréable. Cette découverte de l'Amérique,
faite par nos compatriotes, ne fut pas une
simple visite comme en firent les Islandais
au XIe siècle ; cfle"eut au contraire un carac-
tère permanent, et la route une fois décou-
verte, ne fut plus, depuis, jamais abandon-
née ».
Toutefois, comme les Basques ne rappor-
taient cFAmérique que du poisson, de l'huile
et des fanons de baleine, au lieu de l'or et
des autres trésors que les compagnons de
Christophe Colomb tirêrent, un siècle plus
tard, des contrées plus méridionales du même
continent, cette première découverte du Nou-
veau Monde par des Français passa inaper-
çue.
L'expédition espagnole de 1492 eut plus de
retentissement! Mais, ajoute encore l'auteur:
« nous n'en revendiquons pas moins pour no-
tre pays l'honneur et la gloire qui appartien-
nent aux marins français dans la découverte
du continent américain. Et nous nous éton-
nons, à juste titre, que nos historiens les plus
autorisés s'évertuent à chanter les louanges
des Colomb et des Gama, et autres naviga-
teurs étrangers, sans seulement payer le plus
léger tribut de reconnaissance aux hardis ma-
rÍns français, basques et normands, qui fu-
rent' pourtant leurs précurseurs dans la dé-
couverte — en plus de l'Amérique — de
l'Inde par le Cap de Bonne-Espérance ».
Les Anglais, non suspects à notre égard, à
cette époque surtout, de nous attribuer )e mé-
rite de hauts faits maritimes, reconnaissent
cette vérité. Dans son ouvrage « Histoire et
Commerce des colonies anglaises de l'Améri-
que Septentrionale », publié à Londres en
1755, l'auteur anglais écrit : « La pêche au
Banc de Terre-Neuve a été pratiquée de tout
temps par les Français, et longtemps avant
que les Anglais se fussent établis dans l'île
de Terre-Neuve ; suivant le rapport des au.
teurs, les Basques fréquentaient ces parages
« L'avant-Garde »
(Photo M. F. Reproduction interdite).
avant que Christophe Colomb eût découvert
le Nouveau Monde ». Un autre Anglais, Tho-
mas Wylfiet, attribue de même aux Français
la découverte de l'Amérique du Nord (qu'il
fixe par erreur en 1504) et en laisse l'honneur
aux Normands et aux Bretons.
De plus d'anciens auteurs français, no-
tamment Nicolas de Lamare,, dans son
<( Traité de la Police », et R.-J. Valin, dans
son « Nouveau commentaire de l'Ordon-
nance de la Marine », du mois d'août 1;681,
placent la découverte de Terre-Neuve et du
Canada par les Ftançais cent ans avant la
découverte des Antilles par Colomb, c'est-à-
dire vers le milieu du XIVe siècle.
Historique de nos Pêcheries
de Terre-Neuve
Nous ne pouvons entrer ici dans le détail
de toutes les vicissitudes qu'ont eu à subir
nos compatriotes dans leurs efforts pour se
maintenir à Terre-Neuve, et qui cependant
ne les ont jamais rebutés. Nous ne les expo-
serons que sommairement, pour montrer jus-
qu'où a pu s'élever l'admirable courage, l'in-
domptable acharnement de nos vaillants ma-
rins.
A la suite du désastreux traité d'Utlecht,
en 1714, la France ne conservait plus de ses
immenses et riches pêcheries d'Amérique,
que le droit de pêcher et d'élever sur la côte
des cabanes temporaires, pour y saler et
sécher le poisson. A cette époque, cinq
cents bâtiments français, partant chaque an-
née de Fécamp, Dieppe, Rouen, Le Havre de
Grâce, Honfleur, Saint-Malo, Granville, La
Rochelle, les Sables-d'Olonne et Bayonne, se
« L'Atlantique »
(Photo M. F. Reproduction interdite).
rendaient dans les eaux de Tene-Neuve. Ils
allaient même jusqu'à l'embouchure du
Saint-Laurent où nous possédions des pêche-
ries aussi abondantes que celle de Terre-
Neuve, et qui ne manquaient pas d'exciter la
convoitise de nos voisins de Grande-Breta-
gne. Ceux-ci, en 1744, commencèrent ouver-
tement les hostilités. Leur lutte, soutenue
par leurs navires de guerre, nous contraignit
peu à peu à abandonner nos entreprises.
Nos marins revenaient, lorsque éclata la
guerre de Sept Ans. Le traité de 1763 ne nous
laissa que le French Shore à Terre-Neuve, et
Saint-Pierre et Miquelon. Les vexations de
nos voisins continuèrent. Afin d'encourager
nos pêcheurs à occuper les havres du French
Shore envahis par leurs concurrents, Choi-
seul institua des primes à l'armement s'éle-
vant jusqu'à 1.000 livres pour les grands bâ-
timents.
La ténacité des Normands et des Bretons
ne se relâchait pas. Ils développèrent leurs
armements et créèrent à Saint-Pierre et Mi-
quelon d'importantes installations. De nom-
breuses familles françaises allèrent s'y fixer.
Mais en 1775 éclata la Guerre de l'Inde.
pendance des Etats-Unis, qui souleva contre
l'Angleterre ses anciens sujets, et dura jus-
qu'en 1783. La France n'avait pas d'intérêt
dans l'affaire. Elle se rangea cependant du
côté de la liberté et envoya Lafayette auprès
de Washington. Alors, tous nos bâtiments de
commerce et de pêche furent déclarés de
bonne prise par les navires de guerre de la
Grande-Bretagne. Saint-Pieire et Miquelon
nous furent enlevés et toutes les familles
françaises qui s'y étaient établies furent im-
pitoyablement chassées. Les pêcheurs anglais
en profitèrent aussitôt pour occuper nos ins-
tallations, saccageant et détruisant tout ce
qu'ils ne pouvaient utiliser ou emporter. Ce
fut la ruine totale. Il s'en suivit, naturelle-
ment, pendant une dizaine d'années, une sus-
pension complète de nos armements pour la
pêche. La France ne fit pourtant jamais en-
trer comme « dette de guerre » le préjudice
considérable que lui avait causé sa généreuse
et chevaleresque intervention. Elle avait dé-
pensé son or. Elle en demeurait appauvrie.
C'est une tradition sans doute éternelle chez
elle, que de se montrer désintéressée, et de
trouver son dédommagement dans l'honneur
des grands gestes.
L'Angleterre, cette fois, fut battue. Nous
qui avions si puissamment contribué à la vic-
toire américaine, allions-nous au moins (nous
nous étions endettés de 733 millions qui re-
présenteraient bien aujourd'hui le double en
valeur-or) obtenir quelques avantages pour
nos pêcheries d'Amérique qui nous avaient
coûté tant d'efforts et tant de déceptions ?
Non pas. Le traité de 1783 nous restitua bien
Saint-Pierre et Miquelon, complètement ra-
sés, d'ailleurs. Mais nous acceptâmes l'obli-
gation de ne jamais fortifier cette possession.
Quant à Terre-Neuve, sous prétexte d'une
nouvelle délimitation du French Shore, l'An-
gleterre garda pour elle les meilleures baies
et ne nous laissa que les plages les plus in-
grates et les plus exposées aux intempéries.
C'est avec une nouvelle ardeur que nous
relevâmes nos ruines, à nos frais, et que
nous reprîmes notre exploitation de la pêche.
Dix années plus tard s'ouvrit une nouvelle
période d'hostilités entre la France et l'An-
gleterre. Cette dernière s'empressa d'occuper
à nouveau, et sans plus de ménàgements que
naguère, nos malheureuses îles de Saint-
Pierre et Miquelon.
Le traité d'Amiens, du 25 mars 1802, nous
restitua nos pêcheries. Mais nous n'eûmes pas
le temps d'en profiter. Trois mois plus tard,
la paix d'Amiens était rompue, et une fois
de plus elles nous étaient enlevées.
Ce ne fut qu'en 1815 que nous pûmes réoc.
cuper Saint-Pierre et Miquelon, et récupérer
le peu d'autres avantages qu'on avait bien
voulu nous laisser.
La série des difficultés continue
Sous Napoléon III, fut signée, avec les
Anglais, une première convention qui ré-
glait, à la faveur d'une fugitive pré-entente
cordiale, les différends continuels relatifs au
French Shore. Cette entente fut d'ailleurs
mal accueillie par les habitants de Terre-
Neuve qui entendaient poursuivre la lutte.
En 1889, ils conçurent le Bait-Bill. Ce bill
interdisait à nos pêcheurs la vente de la
boëtte (appât). Or, cet appât, que l'on ne
trouvait 'qu'à Terre-Neuve, était indispensa-
ble. Les habitants de l'île s'étaient avisés
tout d'un coup de tenir férocement à leur
Doëtte, estimant que permettre d'en laisser
vendre aux Français équivalait à un sacri-
lège ! Ils s'identifiaient à leur boëtte, et, y
toucher, était toucher à eux-mêmes, à leurs
ancêtres. Un de leurs journaux The Trade
Review, de Saint-Jean, n'écrivait-il point :
« Cette boëtte est notre droit de naissance,
et souvenons-nous que l'homme qui a vendu
à frère jumeau notre droit d'aînesse est consi-
déré comme une honte pour l'humanité. »
(sic)
Nos braves, à qui ne manque certes pas
l'ingéniosité, ne pouvant plus avoir de
Les Annales Coloniales :
tive à la morue ; une partie seulement de
cette pêche, de beaucoup la moins impor-
tante, était consommée à l'état frais ; l'au-
tre était préparée pour être conservée en vue
d'une consommation ultérieure et pour lui
permettre de subir les longueurs du voyage
que nécessitait son transport vers Paris et les
autres villes du Centre, par les voies de
communication défectueuses de la France du
moyen-âge.
La morue se préparait alors d'une ma-
nière assez semblable à celle que l'on em-
ploie encore aujourd'hui sur les côtes de l'Ile
de Terre-Neuve et dans notre colonie de
Saint-Pierre et Miquelon. Après avoir été
fendue, vidée, désossée, lavée et salée à
bord, on l'étendait sur les galets de la plage.
Elle s'y desséchait, sous l'action du soleil et
de l'air salin, et pouvait être conservée plus
ou moins longtemps, suivant le soin apporté
à l'opération.
Les premiers bâtiments qui sortirent de
Fécamp, après l'exode des poissons de la
Manche, pour aller pêcher sur le Grand Banc
de Terre-Neuve, furent armés en 1728, tan-
dis que les pêcheurs d'Islande, immortalisés
par Pierre Loti, ne se livrèrent à la pêche à
la morue que cent ans plus tard, en 1824.
Un siècle
avant Christophe Colomb,
les pêcheurs français
connaissaient l'Amérique
Marc Lescarbet qui a écrit en 1608 son
« Histoire de la Nouvelle France », s'est ex-
primé comme suit, parlant des côtes de
Terre-Neuve :
« De toute mémoire d'homme, et dès plu-
sieurs siècles, nos Dieppois, Malouins, Ro-
chellais et mariniers du Havre de Grâce, de
Honfleur et autres lieux, font les voyages
ordinaires en ces pays-là pour la pêcherie de
la morue. » On pense bien que si les Diep-
pois et les « mariniers du Havre de Grâce »
s'embarquaient pour une si lointaine desti-
nation, les Fécampois dont l'intrépidité et le
goût pour les grandes aventures sont notoi-
res, ne restaient pas en arrière ! Ils faisaient
partie de ces équipages audacieux.
M. Adolphe Bellet, qui possédait une éru-
dition complète -de la question, cite même un
fait extrêmement curieux, qui trouble les con-
naissances historiques généralement admises,
et qui conteste formellement à Christophe
Colomb la découverte de l'Amérique. Bien
antérieurement à son expédition, les Basques
du Cap Breton, près de Bayonne, connurent
la route du Nouveau Monde. « Cent ans
avant le Génois, ils visitèrent les îles de la
côte ferme du Saint-Laurent, où ils fondè-
rent des établissements, et se mirent en rela-
tion avec les naturels du pays, gent canni-
bale dont le commerce n'avait pourtant rien
d'agréable. Cette découverte de l'Amérique,
faite par nos compatriotes, ne fut pas une
simple visite comme en firent les Islandais
au XIe siècle ; cfle"eut au contraire un carac-
tère permanent, et la route une fois décou-
verte, ne fut plus, depuis, jamais abandon-
née ».
Toutefois, comme les Basques ne rappor-
taient cFAmérique que du poisson, de l'huile
et des fanons de baleine, au lieu de l'or et
des autres trésors que les compagnons de
Christophe Colomb tirêrent, un siècle plus
tard, des contrées plus méridionales du même
continent, cette première découverte du Nou-
veau Monde par des Français passa inaper-
çue.
L'expédition espagnole de 1492 eut plus de
retentissement! Mais, ajoute encore l'auteur:
« nous n'en revendiquons pas moins pour no-
tre pays l'honneur et la gloire qui appartien-
nent aux marins français dans la découverte
du continent américain. Et nous nous éton-
nons, à juste titre, que nos historiens les plus
autorisés s'évertuent à chanter les louanges
des Colomb et des Gama, et autres naviga-
teurs étrangers, sans seulement payer le plus
léger tribut de reconnaissance aux hardis ma-
rÍns français, basques et normands, qui fu-
rent' pourtant leurs précurseurs dans la dé-
couverte — en plus de l'Amérique — de
l'Inde par le Cap de Bonne-Espérance ».
Les Anglais, non suspects à notre égard, à
cette époque surtout, de nous attribuer )e mé-
rite de hauts faits maritimes, reconnaissent
cette vérité. Dans son ouvrage « Histoire et
Commerce des colonies anglaises de l'Améri-
que Septentrionale », publié à Londres en
1755, l'auteur anglais écrit : « La pêche au
Banc de Terre-Neuve a été pratiquée de tout
temps par les Français, et longtemps avant
que les Anglais se fussent établis dans l'île
de Terre-Neuve ; suivant le rapport des au.
teurs, les Basques fréquentaient ces parages
« L'avant-Garde »
(Photo M. F. Reproduction interdite).
avant que Christophe Colomb eût découvert
le Nouveau Monde ». Un autre Anglais, Tho-
mas Wylfiet, attribue de même aux Français
la découverte de l'Amérique du Nord (qu'il
fixe par erreur en 1504) et en laisse l'honneur
aux Normands et aux Bretons.
De plus d'anciens auteurs français, no-
tamment Nicolas de Lamare,, dans son
<( Traité de la Police », et R.-J. Valin, dans
son « Nouveau commentaire de l'Ordon-
nance de la Marine », du mois d'août 1;681,
placent la découverte de Terre-Neuve et du
Canada par les Ftançais cent ans avant la
découverte des Antilles par Colomb, c'est-à-
dire vers le milieu du XIVe siècle.
Historique de nos Pêcheries
de Terre-Neuve
Nous ne pouvons entrer ici dans le détail
de toutes les vicissitudes qu'ont eu à subir
nos compatriotes dans leurs efforts pour se
maintenir à Terre-Neuve, et qui cependant
ne les ont jamais rebutés. Nous ne les expo-
serons que sommairement, pour montrer jus-
qu'où a pu s'élever l'admirable courage, l'in-
domptable acharnement de nos vaillants ma-
rins.
A la suite du désastreux traité d'Utlecht,
en 1714, la France ne conservait plus de ses
immenses et riches pêcheries d'Amérique,
que le droit de pêcher et d'élever sur la côte
des cabanes temporaires, pour y saler et
sécher le poisson. A cette époque, cinq
cents bâtiments français, partant chaque an-
née de Fécamp, Dieppe, Rouen, Le Havre de
Grâce, Honfleur, Saint-Malo, Granville, La
Rochelle, les Sables-d'Olonne et Bayonne, se
« L'Atlantique »
(Photo M. F. Reproduction interdite).
rendaient dans les eaux de Tene-Neuve. Ils
allaient même jusqu'à l'embouchure du
Saint-Laurent où nous possédions des pêche-
ries aussi abondantes que celle de Terre-
Neuve, et qui ne manquaient pas d'exciter la
convoitise de nos voisins de Grande-Breta-
gne. Ceux-ci, en 1744, commencèrent ouver-
tement les hostilités. Leur lutte, soutenue
par leurs navires de guerre, nous contraignit
peu à peu à abandonner nos entreprises.
Nos marins revenaient, lorsque éclata la
guerre de Sept Ans. Le traité de 1763 ne nous
laissa que le French Shore à Terre-Neuve, et
Saint-Pierre et Miquelon. Les vexations de
nos voisins continuèrent. Afin d'encourager
nos pêcheurs à occuper les havres du French
Shore envahis par leurs concurrents, Choi-
seul institua des primes à l'armement s'éle-
vant jusqu'à 1.000 livres pour les grands bâ-
timents.
La ténacité des Normands et des Bretons
ne se relâchait pas. Ils développèrent leurs
armements et créèrent à Saint-Pierre et Mi-
quelon d'importantes installations. De nom-
breuses familles françaises allèrent s'y fixer.
Mais en 1775 éclata la Guerre de l'Inde.
pendance des Etats-Unis, qui souleva contre
l'Angleterre ses anciens sujets, et dura jus-
qu'en 1783. La France n'avait pas d'intérêt
dans l'affaire. Elle se rangea cependant du
côté de la liberté et envoya Lafayette auprès
de Washington. Alors, tous nos bâtiments de
commerce et de pêche furent déclarés de
bonne prise par les navires de guerre de la
Grande-Bretagne. Saint-Pieire et Miquelon
nous furent enlevés et toutes les familles
françaises qui s'y étaient établies furent im-
pitoyablement chassées. Les pêcheurs anglais
en profitèrent aussitôt pour occuper nos ins-
tallations, saccageant et détruisant tout ce
qu'ils ne pouvaient utiliser ou emporter. Ce
fut la ruine totale. Il s'en suivit, naturelle-
ment, pendant une dizaine d'années, une sus-
pension complète de nos armements pour la
pêche. La France ne fit pourtant jamais en-
trer comme « dette de guerre » le préjudice
considérable que lui avait causé sa généreuse
et chevaleresque intervention. Elle avait dé-
pensé son or. Elle en demeurait appauvrie.
C'est une tradition sans doute éternelle chez
elle, que de se montrer désintéressée, et de
trouver son dédommagement dans l'honneur
des grands gestes.
L'Angleterre, cette fois, fut battue. Nous
qui avions si puissamment contribué à la vic-
toire américaine, allions-nous au moins (nous
nous étions endettés de 733 millions qui re-
présenteraient bien aujourd'hui le double en
valeur-or) obtenir quelques avantages pour
nos pêcheries d'Amérique qui nous avaient
coûté tant d'efforts et tant de déceptions ?
Non pas. Le traité de 1783 nous restitua bien
Saint-Pierre et Miquelon, complètement ra-
sés, d'ailleurs. Mais nous acceptâmes l'obli-
gation de ne jamais fortifier cette possession.
Quant à Terre-Neuve, sous prétexte d'une
nouvelle délimitation du French Shore, l'An-
gleterre garda pour elle les meilleures baies
et ne nous laissa que les plages les plus in-
grates et les plus exposées aux intempéries.
C'est avec une nouvelle ardeur que nous
relevâmes nos ruines, à nos frais, et que
nous reprîmes notre exploitation de la pêche.
Dix années plus tard s'ouvrit une nouvelle
période d'hostilités entre la France et l'An-
gleterre. Cette dernière s'empressa d'occuper
à nouveau, et sans plus de ménàgements que
naguère, nos malheureuses îles de Saint-
Pierre et Miquelon.
Le traité d'Amiens, du 25 mars 1802, nous
restitua nos pêcheries. Mais nous n'eûmes pas
le temps d'en profiter. Trois mois plus tard,
la paix d'Amiens était rompue, et une fois
de plus elles nous étaient enlevées.
Ce ne fut qu'en 1815 que nous pûmes réoc.
cuper Saint-Pierre et Miquelon, et récupérer
le peu d'autres avantages qu'on avait bien
voulu nous laisser.
La série des difficultés continue
Sous Napoléon III, fut signée, avec les
Anglais, une première convention qui ré-
glait, à la faveur d'une fugitive pré-entente
cordiale, les différends continuels relatifs au
French Shore. Cette entente fut d'ailleurs
mal accueillie par les habitants de Terre-
Neuve qui entendaient poursuivre la lutte.
En 1889, ils conçurent le Bait-Bill. Ce bill
interdisait à nos pêcheurs la vente de la
boëtte (appât). Or, cet appât, que l'on ne
trouvait 'qu'à Terre-Neuve, était indispensa-
ble. Les habitants de l'île s'étaient avisés
tout d'un coup de tenir férocement à leur
Doëtte, estimant que permettre d'en laisser
vendre aux Français équivalait à un sacri-
lège ! Ils s'identifiaient à leur boëtte, et, y
toucher, était toucher à eux-mêmes, à leurs
ancêtres. Un de leurs journaux The Trade
Review, de Saint-Jean, n'écrivait-il point :
« Cette boëtte est notre droit de naissance,
et souvenons-nous que l'homme qui a vendu
à frère jumeau notre droit d'aînesse est consi-
déré comme une honte pour l'humanité. »
(sic)
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