Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-06-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 juin 1929 01 juin 1929
Description : 1929/06/01-1929/06/30. 1929/06/01-1929/06/30.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k97431338
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Les Annales Coloniales
Page Il
Le chemin de fer de Guinée : Pont sur le fleuve Niandan, à Baro.
mon voisin, un jeune homme, agent d'une
société commerciale, je manifeste ma surprise
et ajoute : « Je serais curieux de savoir ce qui
se passe dans la cervelle des voisins de ce
musicien qui s'ignore. Ceux-ci comprennent-ils
qu'il y a là une musique différente et plus
harmonieuse que celle qu'ils ont connue jus-
qu'ici. « Alors, le jeune homme, avec un ton
de dégoût intraduisible : « Oh ! vous avez
bien tort de vous intéresser à cela. Les indigè-
nes étaient des c..., ils sont des c..., et ils
resteront toujours des c .. »
Quelques jours plus tard — est-ce à Kou-
rcussa, Mamou ou Kindia — je recueille un
bruit qui circule sous le manteau. Une bagar-
re, assez grave, a eu lieu à Conakry, entre
noirs et blancs, dans les rues; il y a eu des
blessés, et on redoute de nouveaux incidents.
Et mon informateur d'ajouter aussitôt : « Pre-
nez garde, vous touchez là au plus grave pro-
blème. L'indigène jusqu'ici docile et respec-
tueux ne comprend plus rien à nos me-
thodes de colonisation humanitaire. Il prend
notre condescendance pour de la faiblesse. Il
devient arrogant, provocateur et les rapports
entre blancs et indigènes se font de plus en
plus difficiles. Nous allons à des catastro-
phes... »
En réalité, l'incident de Conakry — je l'ai
appris plus tard — etait très différent. Il était
né entre « tirailleurs indigènes », poussés par
un officier maladroit qui, interprétant des cir-
culaires ministérielles' faites pour la métropole,
les avait incités à se taire respecter au besoin
par la force contre les provocations des civils,
et des « écrivains » indigènes, qui, après une
lête un peu trop joyeuse, avaient raillé les
:< rempilés ». Il est vrai que les blancs avaient
été mèlés à 1 affaire, mais pour protester con-
tre rinqualifiable attitude des « tirailleurs » et
de leur Qfficier. Au reste, !'incident,' vite ré-
glé, n'avait pas eu de suite.
Mais, en remontant par le chemin de fer
et les pistes, l'incident banal, s'enflant, se dé-
formant, avait pris une allure dramatique, par-
ce qu'il avait trouvé des esprits trop préparés
à accueillir ces déformations.
Crise morale inévitable. La transformation
des rapports économiques doit entraîner une
transformation des rapports sociaux qui ne peut
pas s'effectuer sans heurts, sans frottements. Il
fàut s'y résigner en s'efforçant de ménager les
transitions. Mieux vaut après tout, la crise de
mouvement, que le calme de la stagnation...
Mercredi 13 février.
Nous quittons Bamako à 7 heures du matin.
Une caravane de 14 voitures, conduites par
La route de Mamou à Labé.
des indigènes, s'élance sur la route vers la
Guinée. Les 14 voitures sont à midi à Siguiri.
pas une panne, pas un incident de route.
Nous déjeunons chez l'administrateur et.
après avoir assisté à un tam-tam monstre, nous
repartons à 3 heures, vers Kouroussa, où nous
arrivons le soir entre 8 et 9 heures. Nous tra-
versons quelques bois, peu touffus, qui cou-
vrent les bords du Niger, mais nous restons
dans la région soudanaise de la Guinée admi-
nistrative...
Jeudi 14 février.
La méthode guinéenne
Nous avons repris le train de la ligne Cona-
kry-Niger à Kouroussa. Nous entrons, après
Bissikrima, dans une région nouvelle. Et tan-
dis que se déroulent, sous nos yeux, les majes-
tueux paysages du F outa-Djallon, cette
« Suisse Africaine », Suisse bien grillée en la
saison actuelle, nous causons longuement avec
M. le Gouverneur Angoulvant de la métho-
de « guinéenne ». Car, il y a, paraît-il, une
méthode guinéenne.
En quoi consiste-t-elle ?
A refuser systématiquement, me dit l'un,
tout encouragement à la colonisation européen-
ne, à ne pas faire de routes, sous prétexte que
la main-d'œuvre peut plus utilement s'em-
ployer chez elle, à ne pas se préoccuper d'hy-
giène sociale, sous prétexte que le meilleur
médecin est un ventre plein, à s'opposer au
développement des grandes cultures industriel-
les, sous prétexte qu'elles enlèvent des hom-
mes aux cultures ouvrières traditionnelles.
Oh ! Oh ! cette méthode m'inquiète...
A songer d'abord aux hommes et ensuite
aux affaires, me dit l'autre, à préférer remplir
le ventre des indigènes que la bourse des gran-
des compagnies commerciales, à s'efforcer de
faire évoluer les indigènes à partir de leur ci-
vilisation traditionnelle et non point par super-
position d'une civilisation inassimilable pour
eux à l'heure actuelle.
Eh ! Eh ! cette méthode ne m'est point
antipathique.
L'un me dit : Voyez la Guinée et compa-
rez-la à ses voisines. Pas une route, pas une
grande concession, la culture du café — qui
pourrait être une source de grande richesse —
inexistante (599 kilos exportés en 1926, 1.257
en 1927), la culture des bananes à peine de-
veloppée, une population pauvre, misérable...
L'autre répond : Notre mot d'ordre a été
<( Travailler chez l'indigène, sur son terrain,
avec ses bras, ses boeufs, aux cultures qu'il
connaît, en lui laissant tous les bénéfices de
l'opération, en le soutenant des conseils des
techniciens et des subventions budgétaires jus-
qu'à ce que l'exploitation agricole parvienne à
l'ère des bénéfices certains, tangibles, mais en
le laissant libre de commettre des erreurs et
même des fautes dont il recevra plus d'ensei-
gnements que de beaux discours » et voici les
résultats : En 1918, 9 familles cultivant à la
charrue, avec 129 bœufs, 12 charrues, 1 her-
se, 40 hectares. En 1928. 3.848 familles cul-
tivant avec 13.168 bœufs, 5.2!6 charrues et
2.247 herses, 28.237 hectares.
En vérité, la méthode du gouverneur Poiret
ne s'enferme pas, toute. dans les fcrmules rigi-
des sous lesquelles nous la présentent détrac-
teurs et apologistes. Elle est, avant tout, réalis-
te, ennemie du « bluff », soucieuse de'résultats
pratiques. Elle est une réaction contre d au-
tres méthodes, excellentes quand elles sont
judicieusement appliquées, la preuve en est
faite, en Côte d'Ivoire, par exemple. mais
dont nous voyons, hélas ! encore, parfois, les
abus déplorables ou les scandaleuses applica-
tions...
Nous arrivons à 6 heures à Mamou. Je trou-
ve à la gare mon ami Gavet, haut-savoyard,
Page Il
Le chemin de fer de Guinée : Pont sur le fleuve Niandan, à Baro.
mon voisin, un jeune homme, agent d'une
société commerciale, je manifeste ma surprise
et ajoute : « Je serais curieux de savoir ce qui
se passe dans la cervelle des voisins de ce
musicien qui s'ignore. Ceux-ci comprennent-ils
qu'il y a là une musique différente et plus
harmonieuse que celle qu'ils ont connue jus-
qu'ici. « Alors, le jeune homme, avec un ton
de dégoût intraduisible : « Oh ! vous avez
bien tort de vous intéresser à cela. Les indigè-
nes étaient des c..., ils sont des c..., et ils
resteront toujours des c .. »
Quelques jours plus tard — est-ce à Kou-
rcussa, Mamou ou Kindia — je recueille un
bruit qui circule sous le manteau. Une bagar-
re, assez grave, a eu lieu à Conakry, entre
noirs et blancs, dans les rues; il y a eu des
blessés, et on redoute de nouveaux incidents.
Et mon informateur d'ajouter aussitôt : « Pre-
nez garde, vous touchez là au plus grave pro-
blème. L'indigène jusqu'ici docile et respec-
tueux ne comprend plus rien à nos me-
thodes de colonisation humanitaire. Il prend
notre condescendance pour de la faiblesse. Il
devient arrogant, provocateur et les rapports
entre blancs et indigènes se font de plus en
plus difficiles. Nous allons à des catastro-
phes... »
En réalité, l'incident de Conakry — je l'ai
appris plus tard — etait très différent. Il était
né entre « tirailleurs indigènes », poussés par
un officier maladroit qui, interprétant des cir-
culaires ministérielles' faites pour la métropole,
les avait incités à se taire respecter au besoin
par la force contre les provocations des civils,
et des « écrivains » indigènes, qui, après une
lête un peu trop joyeuse, avaient raillé les
:< rempilés ». Il est vrai que les blancs avaient
été mèlés à 1 affaire, mais pour protester con-
tre rinqualifiable attitude des « tirailleurs » et
de leur Qfficier. Au reste, !'incident,' vite ré-
glé, n'avait pas eu de suite.
Mais, en remontant par le chemin de fer
et les pistes, l'incident banal, s'enflant, se dé-
formant, avait pris une allure dramatique, par-
ce qu'il avait trouvé des esprits trop préparés
à accueillir ces déformations.
Crise morale inévitable. La transformation
des rapports économiques doit entraîner une
transformation des rapports sociaux qui ne peut
pas s'effectuer sans heurts, sans frottements. Il
fàut s'y résigner en s'efforçant de ménager les
transitions. Mieux vaut après tout, la crise de
mouvement, que le calme de la stagnation...
Mercredi 13 février.
Nous quittons Bamako à 7 heures du matin.
Une caravane de 14 voitures, conduites par
La route de Mamou à Labé.
des indigènes, s'élance sur la route vers la
Guinée. Les 14 voitures sont à midi à Siguiri.
pas une panne, pas un incident de route.
Nous déjeunons chez l'administrateur et.
après avoir assisté à un tam-tam monstre, nous
repartons à 3 heures, vers Kouroussa, où nous
arrivons le soir entre 8 et 9 heures. Nous tra-
versons quelques bois, peu touffus, qui cou-
vrent les bords du Niger, mais nous restons
dans la région soudanaise de la Guinée admi-
nistrative...
Jeudi 14 février.
La méthode guinéenne
Nous avons repris le train de la ligne Cona-
kry-Niger à Kouroussa. Nous entrons, après
Bissikrima, dans une région nouvelle. Et tan-
dis que se déroulent, sous nos yeux, les majes-
tueux paysages du F outa-Djallon, cette
« Suisse Africaine », Suisse bien grillée en la
saison actuelle, nous causons longuement avec
M. le Gouverneur Angoulvant de la métho-
de « guinéenne ». Car, il y a, paraît-il, une
méthode guinéenne.
En quoi consiste-t-elle ?
A refuser systématiquement, me dit l'un,
tout encouragement à la colonisation européen-
ne, à ne pas faire de routes, sous prétexte que
la main-d'œuvre peut plus utilement s'em-
ployer chez elle, à ne pas se préoccuper d'hy-
giène sociale, sous prétexte que le meilleur
médecin est un ventre plein, à s'opposer au
développement des grandes cultures industriel-
les, sous prétexte qu'elles enlèvent des hom-
mes aux cultures ouvrières traditionnelles.
Oh ! Oh ! cette méthode m'inquiète...
A songer d'abord aux hommes et ensuite
aux affaires, me dit l'autre, à préférer remplir
le ventre des indigènes que la bourse des gran-
des compagnies commerciales, à s'efforcer de
faire évoluer les indigènes à partir de leur ci-
vilisation traditionnelle et non point par super-
position d'une civilisation inassimilable pour
eux à l'heure actuelle.
Eh ! Eh ! cette méthode ne m'est point
antipathique.
L'un me dit : Voyez la Guinée et compa-
rez-la à ses voisines. Pas une route, pas une
grande concession, la culture du café — qui
pourrait être une source de grande richesse —
inexistante (599 kilos exportés en 1926, 1.257
en 1927), la culture des bananes à peine de-
veloppée, une population pauvre, misérable...
L'autre répond : Notre mot d'ordre a été
<( Travailler chez l'indigène, sur son terrain,
avec ses bras, ses boeufs, aux cultures qu'il
connaît, en lui laissant tous les bénéfices de
l'opération, en le soutenant des conseils des
techniciens et des subventions budgétaires jus-
qu'à ce que l'exploitation agricole parvienne à
l'ère des bénéfices certains, tangibles, mais en
le laissant libre de commettre des erreurs et
même des fautes dont il recevra plus d'ensei-
gnements que de beaux discours » et voici les
résultats : En 1918, 9 familles cultivant à la
charrue, avec 129 bœufs, 12 charrues, 1 her-
se, 40 hectares. En 1928. 3.848 familles cul-
tivant avec 13.168 bœufs, 5.2!6 charrues et
2.247 herses, 28.237 hectares.
En vérité, la méthode du gouverneur Poiret
ne s'enferme pas, toute. dans les fcrmules rigi-
des sous lesquelles nous la présentent détrac-
teurs et apologistes. Elle est, avant tout, réalis-
te, ennemie du « bluff », soucieuse de'résultats
pratiques. Elle est une réaction contre d au-
tres méthodes, excellentes quand elles sont
judicieusement appliquées, la preuve en est
faite, en Côte d'Ivoire, par exemple. mais
dont nous voyons, hélas ! encore, parfois, les
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