Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-09-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 septembre 1929 01 septembre 1929
Description : 1929/09/01-1929/09/30. 1929/09/01-1929/09/30.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k97431301
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Paye 4
Les Annales Coloniales
dans ces deux colonies. Elles sont ainsi de-
venues aujourd'hui deux de nos départe-
ments d'outre-mer qui se développent dans
les mêmes conditions que nos départements
français. Et, plus que jamais, depuis cette
guerre où leur plus pur sang a coulé auprès
du nôtre, elles resteront indissolublement
associées aux destinées de la nation une et
indivisible dont les pères avaient émancipé
les leurs.
III
*VlLlE/ SOC][A][q.E
KIT
N'est-ce pas l'un des plus grands attraits
de nos belles Antilles françaises, et parti-
culièrement de notre île d'Emeraude, que
cette libre coexistence, dans le même milieu
social, de trois races si différentes par la
couleur de la peau, par le lieu des origines,
par la formation éducative et ancestrale?
Dès que vous descendez dans l'une ou
l'autre des deux grandes villes de la Gua-
deloupe, sur le cours Nolivos à Basse-Terre
ou sur les quais de Pointe-à-Pitre, vous êtes
aussitôt frappé de l'aisance avec laquelle
circulent, commercent, conversent, s'harmo-
nisent ensemble les créoles originaires des
trois races. Cette impression se précise et
se complète si vous entreprenez la tournée
des divers cantons de l'île et aussi des pe-
tites îles qui forment l'archipel guadelou-
péen : les Saintes aux rochers grandioses,
Marie-Galante avec ses poissonneux rivages
et ses vastes champs de cannes, la Désirade
aux pittoresques récifs et nos deux vieilles
dépendances normandes de Saint-Martin et
de Saint-Barthélémy, avec leurs salines et
leurs troupeaux de chevaux paissant en li-
berté.
A longtemps cohabiter sous les mêmes
climats et collaborer sous le même régime
libéral, à parler, lire et écrire la même lan-
gue, à défendre les mêmes intérêts pour les
mêmes causes, à réaliser l'unité de drapeau
dans la diversité de peau, — les Guadelou-
péens ont fini par composer une société bien
originale, que je me permettrai d'appeler
la nouvelle société créole, aussi différente,
certes, de l'ancienne, que la société fran..
çaise d'aujourd'hui diffère de celle d'avant
la Révolution, mais société vigoureuse, ar-
dente, mobile, prompte aux susceptibilités
comme aux enthousiasmes, d'un idéalisme
ardemment patriotique, avide d'expansion
matérielle autant que de progrès social.
En une page charmante Mlle Marie-Louise
Sicard dont je parlais plus haut a décrit la
douceur de vivre de l'hospitalité créole :
l'ai quitté les paquebots et les grands pa-
laces modernes, qu'un art cosmopolite uni-
formise sur les deux continents. Abris pour
voyageurs, où malgré les largesses d'une
bourse vidée dès l'entrée entre les mains
d'un chasseur, héraut qui doit proclamer la
renommée de votre richesse, on éprouve
l'angoisse de l'abandon, comme en une nuit
qui se refermerait sur un horizon vide.
l'étais voyageuse, j'arrivais d'un monde
cc Metropolis » où l'on passe son temps à
empoigner ses outils et à -tenter de transcen-
dantes spéculations, même sur le confort
hôtelier en actions, résignée à mon sort de
pensionnaire anonyme, dans un quelconque
des caravansérails. J'ignorais l'hospitalité
créole. Vers moi, des mains se tendirent, des
yéux sourirent, qui semblaient reconnaître
celle qu'ils n'avaient jamais vue : << Soyez
la bienvenue sur notre habitation, votre
chambre est prête. » Un bain froid m'at-
tendre repas est servi, « prenez et mangez »,
paroles symboliques de VEvangile de l'hos-
Pitalité où il n'est jamais question d'intérêt.
Et moi, l'inconnue, rompue depuis tou-
jours aux méfiances d'une société ci*q,ilisée,
j'avais déjà à la main ma carte d'identité,
renforcée d'une empreinte digitale.
A quoi bon la signature du Commissaire;
de ,Police? A peine avais-je franchi le seuil
que j'étais chez moi dans cette habitation
basse en bois du, Canada ; les massifs du
jardin avaient des yeux de fleurs qui me sa-
luaient à pleines corolles,
Au dehors la chaleur suffocante Plané; la
maison tropicale; chambres nues avec ses
voiles de moustiquaires comme ceux d'une
première communiante, son plancher de bois
vernis, ses murs ajourés, ses jalousies bais-
sées, vous accueille dans l'ombre à "peiné
tiède, dès la cour où la fontaine d'eau étin-
celle. Les fauteuils-berceuses en paille s' 01-
frent à la béatitude de la sieste et les ta-
bles basses portent les boissons rafraîchis-
santes, cocktails des Antilles à jus de fruits
arrosés de rhum blanc. « Prenez et buvez »,
la glace pilée est dans ce grand pot d'ar-
gent et de porcelaine.
Tandis que le soleil flambe, dans la pé-
nombre, le temps passe sans heures, dans
un rythme de berceuse et Céleste selon la
saison offre des corbeilles d'oranges, de
mangues, des sorbets aux cocos ou à l'ana-
nas.
Des jours, des semaines, des mois de sé-
jour, mieux que les liens du sang, vous con-
sacrent parents d'élection. Le soir, sous les
effets fantastiques d'un clair de lune équa-
torial, dans les rocking-chairs de la véranda
noyée d'ombre végétale, nous formons des
projets communs. Au loin, les mesures mo-
nocordes d'un bamboula crèvent le silence
qui descend des mornes. le rêve, miracle
éphémère, d'un bien-être étrange, moment
d'éternité, dans le parfum non démêlé des
vanilliers et des fleurs doubles d'un jasmin
d'Arabie.
Souvent le matin, au lever du soleil, des
Plantations voisines je reçois des « primeurs
de France », fraises y petits pois, soigneuse-
ment cultivés, près des carrés réservés aux
gros piments. Ainsi, je sais que des créoles
en s'éveillant, avant toutes choses, ont pensé
à ma joie. Impression rare pour le voyageur
anonyme.
La terre des Antilles m'apparaît comme
le lieu, d'élection de l'hospitalité, dont les
lois régissent jusqu'au sol prodiguement
généreux envers le passant affamé et as-
soiffé.
Dans les grandes cités des deux mondes,
c'est la loi de l'effort, concurrence vitale
du « struggle for life » qui accueille dès la
descente d2t paquebot ou du train, l'émi-
grant inquiet, le ballot sur le dos, seul dans
les rues trop peuplées... Si le voyageur in-
connu n'a pas un sou en poche, quel fruit
cueillera-t-il au bord du trottoir pour apai-
ser sa faim ?...
Dans la nuit tiède et Pleine de langueur,
je pense j moi l'enfant gâtée de l'hospitalité
créole, .aet pauvre petit noir mourant de mi-
sère et. de froid, rencontré un soir de no-
vembre} au coin d'un boulevard, à Paris. (1).
Sans - doute, en Guadeloupe comme ail-
leurs, l'on trouvera des gens du passé qui
(i) Annales Coloniales 29 mars 1928.
Les Annales Coloniales
dans ces deux colonies. Elles sont ainsi de-
venues aujourd'hui deux de nos départe-
ments d'outre-mer qui se développent dans
les mêmes conditions que nos départements
français. Et, plus que jamais, depuis cette
guerre où leur plus pur sang a coulé auprès
du nôtre, elles resteront indissolublement
associées aux destinées de la nation une et
indivisible dont les pères avaient émancipé
les leurs.
III
*VlLlE/ SOC][A][q.E
KIT
N'est-ce pas l'un des plus grands attraits
de nos belles Antilles françaises, et parti-
culièrement de notre île d'Emeraude, que
cette libre coexistence, dans le même milieu
social, de trois races si différentes par la
couleur de la peau, par le lieu des origines,
par la formation éducative et ancestrale?
Dès que vous descendez dans l'une ou
l'autre des deux grandes villes de la Gua-
deloupe, sur le cours Nolivos à Basse-Terre
ou sur les quais de Pointe-à-Pitre, vous êtes
aussitôt frappé de l'aisance avec laquelle
circulent, commercent, conversent, s'harmo-
nisent ensemble les créoles originaires des
trois races. Cette impression se précise et
se complète si vous entreprenez la tournée
des divers cantons de l'île et aussi des pe-
tites îles qui forment l'archipel guadelou-
péen : les Saintes aux rochers grandioses,
Marie-Galante avec ses poissonneux rivages
et ses vastes champs de cannes, la Désirade
aux pittoresques récifs et nos deux vieilles
dépendances normandes de Saint-Martin et
de Saint-Barthélémy, avec leurs salines et
leurs troupeaux de chevaux paissant en li-
berté.
A longtemps cohabiter sous les mêmes
climats et collaborer sous le même régime
libéral, à parler, lire et écrire la même lan-
gue, à défendre les mêmes intérêts pour les
mêmes causes, à réaliser l'unité de drapeau
dans la diversité de peau, — les Guadelou-
péens ont fini par composer une société bien
originale, que je me permettrai d'appeler
la nouvelle société créole, aussi différente,
certes, de l'ancienne, que la société fran..
çaise d'aujourd'hui diffère de celle d'avant
la Révolution, mais société vigoureuse, ar-
dente, mobile, prompte aux susceptibilités
comme aux enthousiasmes, d'un idéalisme
ardemment patriotique, avide d'expansion
matérielle autant que de progrès social.
En une page charmante Mlle Marie-Louise
Sicard dont je parlais plus haut a décrit la
douceur de vivre de l'hospitalité créole :
l'ai quitté les paquebots et les grands pa-
laces modernes, qu'un art cosmopolite uni-
formise sur les deux continents. Abris pour
voyageurs, où malgré les largesses d'une
bourse vidée dès l'entrée entre les mains
d'un chasseur, héraut qui doit proclamer la
renommée de votre richesse, on éprouve
l'angoisse de l'abandon, comme en une nuit
qui se refermerait sur un horizon vide.
l'étais voyageuse, j'arrivais d'un monde
cc Metropolis » où l'on passe son temps à
empoigner ses outils et à -tenter de transcen-
dantes spéculations, même sur le confort
hôtelier en actions, résignée à mon sort de
pensionnaire anonyme, dans un quelconque
des caravansérails. J'ignorais l'hospitalité
créole. Vers moi, des mains se tendirent, des
yéux sourirent, qui semblaient reconnaître
celle qu'ils n'avaient jamais vue : << Soyez
la bienvenue sur notre habitation, votre
chambre est prête. » Un bain froid m'at-
tendre repas est servi, « prenez et mangez »,
paroles symboliques de VEvangile de l'hos-
Pitalité où il n'est jamais question d'intérêt.
Et moi, l'inconnue, rompue depuis tou-
jours aux méfiances d'une société ci*q,ilisée,
j'avais déjà à la main ma carte d'identité,
renforcée d'une empreinte digitale.
A quoi bon la signature du Commissaire;
de ,Police? A peine avais-je franchi le seuil
que j'étais chez moi dans cette habitation
basse en bois du, Canada ; les massifs du
jardin avaient des yeux de fleurs qui me sa-
luaient à pleines corolles,
Au dehors la chaleur suffocante Plané; la
maison tropicale; chambres nues avec ses
voiles de moustiquaires comme ceux d'une
première communiante, son plancher de bois
vernis, ses murs ajourés, ses jalousies bais-
sées, vous accueille dans l'ombre à "peiné
tiède, dès la cour où la fontaine d'eau étin-
celle. Les fauteuils-berceuses en paille s' 01-
frent à la béatitude de la sieste et les ta-
bles basses portent les boissons rafraîchis-
santes, cocktails des Antilles à jus de fruits
arrosés de rhum blanc. « Prenez et buvez »,
la glace pilée est dans ce grand pot d'ar-
gent et de porcelaine.
Tandis que le soleil flambe, dans la pé-
nombre, le temps passe sans heures, dans
un rythme de berceuse et Céleste selon la
saison offre des corbeilles d'oranges, de
mangues, des sorbets aux cocos ou à l'ana-
nas.
Des jours, des semaines, des mois de sé-
jour, mieux que les liens du sang, vous con-
sacrent parents d'élection. Le soir, sous les
effets fantastiques d'un clair de lune équa-
torial, dans les rocking-chairs de la véranda
noyée d'ombre végétale, nous formons des
projets communs. Au loin, les mesures mo-
nocordes d'un bamboula crèvent le silence
qui descend des mornes. le rêve, miracle
éphémère, d'un bien-être étrange, moment
d'éternité, dans le parfum non démêlé des
vanilliers et des fleurs doubles d'un jasmin
d'Arabie.
Souvent le matin, au lever du soleil, des
Plantations voisines je reçois des « primeurs
de France », fraises y petits pois, soigneuse-
ment cultivés, près des carrés réservés aux
gros piments. Ainsi, je sais que des créoles
en s'éveillant, avant toutes choses, ont pensé
à ma joie. Impression rare pour le voyageur
anonyme.
La terre des Antilles m'apparaît comme
le lieu, d'élection de l'hospitalité, dont les
lois régissent jusqu'au sol prodiguement
généreux envers le passant affamé et as-
soiffé.
Dans les grandes cités des deux mondes,
c'est la loi de l'effort, concurrence vitale
du « struggle for life » qui accueille dès la
descente d2t paquebot ou du train, l'émi-
grant inquiet, le ballot sur le dos, seul dans
les rues trop peuplées... Si le voyageur in-
connu n'a pas un sou en poche, quel fruit
cueillera-t-il au bord du trottoir pour apai-
ser sa faim ?...
Dans la nuit tiède et Pleine de langueur,
je pense j moi l'enfant gâtée de l'hospitalité
créole, .aet pauvre petit noir mourant de mi-
sère et. de froid, rencontré un soir de no-
vembre} au coin d'un boulevard, à Paris. (1).
Sans - doute, en Guadeloupe comme ail-
leurs, l'on trouvera des gens du passé qui
(i) Annales Coloniales 29 mars 1928.
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