Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-09-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 septembre 1929 01 septembre 1929
Description : 1929/09/01-1929/09/30. 1929/09/01-1929/09/30.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k97431301
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Les Annales Coloniales :
Page 13 :
lA ©Y^PEIL©YPI ARTISTIQUE
Iguanes des Saintes. (Dessin inédit de Germaine Casse.)
« L'Isle Heureuse D se cachait, fleur ardente, sous le feuillage
épais. Sur les flots d'outre-mer, mollement bercée, elle étalait sa
beauté langoureuse que les vagues en mourant venaient caresser,
dessinant d écume blanche ses contours harmonieux.
Ainsi que du Paradis on ignore la place, le commun des mortels
ne connaissait pas au juste sa situation géographique. Mais les rares
élus qui en avaient su goûter les charmes et le climat si doux, sou-
vent y finissaient leurs jours, loin du monde bruyant.
En vain essayaient-ils, ces amoureux de la belle déesse, d'en
vanter la douceur et d'attirer leurs semblables dans l'éden secret.
La description paraîssait trop belle pour être vraie.
Sans rechercher la gloire, dans le calme de sa sereine modestie.
la belle dame vivait... Quand soudain, un jour tragique, elle
se révéla sous un aspect de terreur et de désolation : le sinistre oura-
gan avait brutalement arraché sa parure d'émeraude, mettant à, nu
sa terre divine et jusqu'à ses morts étendus sur les grèves
Cœur de guadeloupéenne et âme d'artiste, l'enfant du pays, de loin,
n'a pu que pleurer. Pleurer les morts... Pleurer la splendeur perdue...
Et l'humanité, impuissante, regarda, terrifiée
Devant ce vandalisme, l'Artiste pensa, sans pouvoir la maudire,
que la « Nature ib en déchaînant les éléments sur son plus beau
joyau, obéit à quelque dessein supérieur.
Comme les grands artistes qui font et refont l'oeuvre pour attein-
dre à la pureté sublime, la Nature, insensible aux douleurs humaines,
a détruit son chef-d'œuvre pour le refaire mieux.
Et voici que déjà la végétation se pare d'une verdeur printan-
nière, et l'adversité stimulant l'énergie de l'homme, la résurrection
s'accomplit qui fera plus belle la beauté première. Car la mort seule
est irréparable !
...........................................................
Une voix s'élève qui se mêle aux plaintes du vent dans les bois,
au cri du ramier dans l'azur, au froufrou du colibri dans les fleurs ;
une voix qui clame la beauté éternelle de notre île. Pays sans mys-
tère, où la vie s'épanouit librement ; où les femmes offrent des fleurs
au voyageur dans l'atmosphère idéale de la belle rade qui s'endort
au soleil.
Simple comme la beauté qui ne fait pas de tapage, l'Isle Heu-
reuse restait modestement inconnue. Fallait-il donc ses cris de dou-
leurs pour la sortir de l'ombre ? Les mains se sont tendues et les
regards vers elle.
Artistes, Poètes, vous devrez peut-être à sa souffrance, de décou-
vrir cette terre d'élection où vous puiserez une inspiration nouvelle
dans un refuge salutaire et reposant.
Dans la renaissance qui suivra le bouleversement et qu'avaient
préparée vos précurseurs, vous suivrez le chemin tracé par ces hardis
pionniers, vous cueillerez les fruits de l'hespéride qu'ils ont semés
alors que c'était folie de s'intéresser à la petite colonie déshéritée
et que la vogue du moment pour « l'exotisme intégral ib décrétait
que la Guadeloupe est un pays sans originalité, sa race sans ca-
ractère.
C'est à croire qu'ils ne savaient ni voir, ni entendre, ni sentir,
ceux qui avaient dit cela.
Exotique ! mais elle l'est dans sa nature tropicale elle-même,
la Guadeloupe. Et combien originale dans la forme décorative des
compositions grandioses de ses paysages, dans la qualité de la lu-
mière qui rend la couleur plus intense de la mer et du feuillage qui
s'y mire, de la flore, de la faune, des poissons et des fruits auxquels
l'ardeur du soleil, tempéré par la pluie, donne des proportions àm-
plifiées, une senteur et un goût savoureux.
Et qui ose dire que n'a pas de caractère une race qui tire ses
origines de l'Espagne, de la France et de l'Afrique?
Toutes les races ne sont que des mélanges de races — et doit-on
enlever son originalité à la Provence, par exemple, parce que de
grands peuples, grecs, latins, maures, y ont laissé
leur empreinte.
Le mélange a été assez heureux dans ces petites
iles, le climat aidant, pour former un caractère si
particulièrement prenant, que tous les navigateurs
en gardent le souvenir le plus délicieux de leurs
voyages à travers le monde.
Cette grâce créole est si puissante que l'Impéra-
trice Joséphine, fille de cette Martinique, superbe
sœur de la Guadeloupe, l'a imposée au monde dans
la mode de ses robes gracieuses, de son parler si
doux et de ses < belles manières e.
Tout est un recommencement. La mode de nou-
veau se tournera vers ces petits paradis perdus dans
les Océans. On reconnaîtra leur originalité qui est
telle qu'elle ne peut s'imiter. Car nul, s'il n'est du
pays, ne peut pénétrer à fond l'âme créole, délicate
et sensible, que tant d'auteurs froissent pour
1 avoir méconnue. Son esprit, pétillant de finesse,
enveloppe une sensualité naturelle et s'exhale dans le rythme vivant
et langoureux de ses danses et de ses chants — dont la cadence est
si caractéristique qu'elle est en dehors des lois musicales ! Ce rythmé
n'a été que barbarement saisi dans les danses que l'on appelle « mo-
dernes » et dont le « Charleston » n'est que la grotesque parodie.
Enfin, lorsque la vogue aura épuisé toutes les « originalités »
du monde, elle reviendra vers ce pays où se conservent les tradi-
tions des peuples qui ont formé sa race. Ce sera l'ère du c régiona.
lisme colonial P, n'est-ce pas votre avis, Charles Brun ?
On s'apercevra que chaque contrée a son caractère aussi inté-
ressant sous un ciel différent.
Les artistes y travailleront, les poètes chanteront la gloire de
« l'Isle Heureuse ». A leur exemple, la jeunesse antillaise s'adon-
nera à son penchant artistique.
Ainsi se réaliseront les rêves de ceux qui sont restés fidèles aux
charmes de cette féconde beauté. S'ils n'en profitent pas, ils auront
la récompense de leur conscience satisfaite.
Germaine CASSE.
Paris, 22 Août 1929.
Femme à la vanille.
(Dessin inédit de Germaine Casse.)
Page 13 :
lA ©Y^PEIL©YPI ARTISTIQUE
Iguanes des Saintes. (Dessin inédit de Germaine Casse.)
« L'Isle Heureuse D se cachait, fleur ardente, sous le feuillage
épais. Sur les flots d'outre-mer, mollement bercée, elle étalait sa
beauté langoureuse que les vagues en mourant venaient caresser,
dessinant d écume blanche ses contours harmonieux.
Ainsi que du Paradis on ignore la place, le commun des mortels
ne connaissait pas au juste sa situation géographique. Mais les rares
élus qui en avaient su goûter les charmes et le climat si doux, sou-
vent y finissaient leurs jours, loin du monde bruyant.
En vain essayaient-ils, ces amoureux de la belle déesse, d'en
vanter la douceur et d'attirer leurs semblables dans l'éden secret.
La description paraîssait trop belle pour être vraie.
Sans rechercher la gloire, dans le calme de sa sereine modestie.
la belle dame vivait... Quand soudain, un jour tragique, elle
se révéla sous un aspect de terreur et de désolation : le sinistre oura-
gan avait brutalement arraché sa parure d'émeraude, mettant à, nu
sa terre divine et jusqu'à ses morts étendus sur les grèves
Cœur de guadeloupéenne et âme d'artiste, l'enfant du pays, de loin,
n'a pu que pleurer. Pleurer les morts... Pleurer la splendeur perdue...
Et l'humanité, impuissante, regarda, terrifiée
Devant ce vandalisme, l'Artiste pensa, sans pouvoir la maudire,
que la « Nature ib en déchaînant les éléments sur son plus beau
joyau, obéit à quelque dessein supérieur.
Comme les grands artistes qui font et refont l'oeuvre pour attein-
dre à la pureté sublime, la Nature, insensible aux douleurs humaines,
a détruit son chef-d'œuvre pour le refaire mieux.
Et voici que déjà la végétation se pare d'une verdeur printan-
nière, et l'adversité stimulant l'énergie de l'homme, la résurrection
s'accomplit qui fera plus belle la beauté première. Car la mort seule
est irréparable !
...........................................................
Une voix s'élève qui se mêle aux plaintes du vent dans les bois,
au cri du ramier dans l'azur, au froufrou du colibri dans les fleurs ;
une voix qui clame la beauté éternelle de notre île. Pays sans mys-
tère, où la vie s'épanouit librement ; où les femmes offrent des fleurs
au voyageur dans l'atmosphère idéale de la belle rade qui s'endort
au soleil.
Simple comme la beauté qui ne fait pas de tapage, l'Isle Heu-
reuse restait modestement inconnue. Fallait-il donc ses cris de dou-
leurs pour la sortir de l'ombre ? Les mains se sont tendues et les
regards vers elle.
Artistes, Poètes, vous devrez peut-être à sa souffrance, de décou-
vrir cette terre d'élection où vous puiserez une inspiration nouvelle
dans un refuge salutaire et reposant.
Dans la renaissance qui suivra le bouleversement et qu'avaient
préparée vos précurseurs, vous suivrez le chemin tracé par ces hardis
pionniers, vous cueillerez les fruits de l'hespéride qu'ils ont semés
alors que c'était folie de s'intéresser à la petite colonie déshéritée
et que la vogue du moment pour « l'exotisme intégral ib décrétait
que la Guadeloupe est un pays sans originalité, sa race sans ca-
ractère.
C'est à croire qu'ils ne savaient ni voir, ni entendre, ni sentir,
ceux qui avaient dit cela.
Exotique ! mais elle l'est dans sa nature tropicale elle-même,
la Guadeloupe. Et combien originale dans la forme décorative des
compositions grandioses de ses paysages, dans la qualité de la lu-
mière qui rend la couleur plus intense de la mer et du feuillage qui
s'y mire, de la flore, de la faune, des poissons et des fruits auxquels
l'ardeur du soleil, tempéré par la pluie, donne des proportions àm-
plifiées, une senteur et un goût savoureux.
Et qui ose dire que n'a pas de caractère une race qui tire ses
origines de l'Espagne, de la France et de l'Afrique?
Toutes les races ne sont que des mélanges de races — et doit-on
enlever son originalité à la Provence, par exemple, parce que de
grands peuples, grecs, latins, maures, y ont laissé
leur empreinte.
Le mélange a été assez heureux dans ces petites
iles, le climat aidant, pour former un caractère si
particulièrement prenant, que tous les navigateurs
en gardent le souvenir le plus délicieux de leurs
voyages à travers le monde.
Cette grâce créole est si puissante que l'Impéra-
trice Joséphine, fille de cette Martinique, superbe
sœur de la Guadeloupe, l'a imposée au monde dans
la mode de ses robes gracieuses, de son parler si
doux et de ses < belles manières e.
Tout est un recommencement. La mode de nou-
veau se tournera vers ces petits paradis perdus dans
les Océans. On reconnaîtra leur originalité qui est
telle qu'elle ne peut s'imiter. Car nul, s'il n'est du
pays, ne peut pénétrer à fond l'âme créole, délicate
et sensible, que tant d'auteurs froissent pour
1 avoir méconnue. Son esprit, pétillant de finesse,
enveloppe une sensualité naturelle et s'exhale dans le rythme vivant
et langoureux de ses danses et de ses chants — dont la cadence est
si caractéristique qu'elle est en dehors des lois musicales ! Ce rythmé
n'a été que barbarement saisi dans les danses que l'on appelle « mo-
dernes » et dont le « Charleston » n'est que la grotesque parodie.
Enfin, lorsque la vogue aura épuisé toutes les « originalités »
du monde, elle reviendra vers ce pays où se conservent les tradi-
tions des peuples qui ont formé sa race. Ce sera l'ère du c régiona.
lisme colonial P, n'est-ce pas votre avis, Charles Brun ?
On s'apercevra que chaque contrée a son caractère aussi inté-
ressant sous un ciel différent.
Les artistes y travailleront, les poètes chanteront la gloire de
« l'Isle Heureuse ». A leur exemple, la jeunesse antillaise s'adon-
nera à son penchant artistique.
Ainsi se réaliseront les rêves de ceux qui sont restés fidèles aux
charmes de cette féconde beauté. S'ils n'en profitent pas, ils auront
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