Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1931-03-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 mars 1931 01 mars 1931
Description : 1931/03/01 (A32,N3)-1931/03/31. 1931/03/01 (A32,N3)-1931/03/31.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9742758v
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Page 12
Les Annales Coloniales
Oasis de Laghouat vue d'avion.
fou. Une vigne qui s'accrochait à la maison rebon-
dissait jusqu'au palmier, retombait sur un grena-
dier, liane fertile en belles grappes violettes.
Orangers, citronniers, jasmins; une profusion de
roses touffues. Il faut venir dans les oasis pour
savoir à quel point lie& roses embaument, quelle
vie anime un jardin. A part le frêle murmure
de l'eau vive coulant dans la seguia qui arrosait
ce paradis en réduction, une douceur, un silence
exquis. C'était vraiment là le séjour de délices
promis par le Prophète.
Un étroit escalier de totib grimpait à la ter-
rasse crevassée sur laquelle la maîtresse du logis
dormait ou étudiait, car la connaissance des astres
est lia première qualité d'un saharien. Lorsque
Margit assistait au passage des misérables et fa-
buleuses caravanes, elle avait envie de crier :
— Attendez-moi, compagnons !
Où allaient-ils, ces 'Sahari? A quelle souter-
raine, secrète cité de boue séchée aborderaient-ils
un soir? A quelle ville écroulée de vivants, à peine
surélevée au-dessus de la ville plus peuplée des
morts qui la garde de toutes parts ?
Elle apprit l'arabe et les dialectes sahariens,
acheta deux méharas puis un beau matin, malgré
l'amical avertissement de danger que le chef de
poste crut devoir lui adresser, elle partit accom-
pagnée d'un vieux coureur de pistes. De courtes
tournées d'abord, pour l'entraînement, l'indispen-
sable initiation au désert : 3 ou 400 kilbmètres,
huit ou dix jours... Mais : fuir, là-bas fuir! Et.
prise de la frénésie de l'espace, du dépassement,
dans une grande joie silencieuse, elle appareilla
enfin pour le pays éblouissant de l'irréel, pour
l'extrémité du monde, pour l'horizon vide.
Les officiers et sous-officiers des Compagnies,
disséminés dans les postes de la Mauritanie aux
Monts du Hoggar, entendirent parler de cette
Roumia qui .vivait en nomade.
— Comment est-elle?
— Aussi belle que ta chamelle ! répondirent les
gardeurs de chameaux voilés de noir qui l'avaient
rencontrée dans le Djouf.
— Encore une de ces étrangères excentriques
à la recherche de sensations de tous ordres...
Toutefois, celle-ci ne manque Das de cran !
Ils attendirent sa visite, prêts à se payer sa
tête et à la dégoûter des aventures. Les mois
passèrent. La jeune femme évitait soigneusement
les postes d'Européens, s'écartait des grandes
pistes caravanières jalonnées .de points d'eau. Les
postes radio-électriques n'eurent pas à s'occuper
d'elle. Aucune histoire ne courut sur son compte.
Intéressés, vaguement intrigués, les militaires per-
Réfection d'une foggara près d'In-Salah.
4
dirent leurs attitudes avantageuses puis, surpris,
désappointés, ils la bêchèrent. N'écrivait-elle pas,
cette amazone déconcertante? Mais non, elle était
au-dessus de ça, détachée, pareille à eux tous,
décidément. Elle fut successivement une piquée,
une sacrée bougresse, enfin « un homme J). Rien
de la snobinette horripilante qui se donne des airs
d'exploratrice pour être allée à El-Goléa ! Non,
pas de chiqué celle-ci : la ferveur sincère, l'au-
dace aventureuse d'une véritable saharienne.
Un an... Deux ans... Lassés de suivre en pen-
sée le sillage de cette fugitive pour laquelle ils
éprouvaient maintenant une sympathie respec-
tueuse, ils s'en désintéressèrent.
Or, une nuit. Margit revint au port, à ce misé-
rable refuge de toub. Le bruit de son retour
s'étant aussitôt répandu dans le ksar et. au bordj,
le lieutenant de Mottieski qui venait d'arriver
alla voir ce phénomène féminin. Sachant que ces
choses intéressaient la vagabonde, il emporta la
tiare pour l'a lui montrer.
A la porte un méhari barraqué mâchonnait de
la verdure et veillait sur son chargement. Per-
sonne n'ayant répondu à son appel, Mottieski en-
tra dans l'unique cellule enfumée. Les conve-
nances, les règles de la civilité, au désert ! Bien-
tôt ses yeux accoutumés à la pénombre invento-
rièrent cet intérieur de femme nomade : d'énor-
Gorges d'El Kantara.
mes toiles d'araignées, véritables filets à mouches
descendaient des poutrelles de palmier du pla-
fond; sur la terre battue, une rahla, un casque
colonial déteint et cabossé, une bougie plantée
dans le goulot cassé d'une bouteille de cham-
pagne, des cartes manuscrites, des pierres étran-
gement veinées, des copies d'inscriptions rupes-
tres et de dessins, de mystérieux coquillages
antédiluviens, des armes de l'âge de pierre, une
gargoulette. Pas un livre, pas un vestige de co-
quetterie féminine, rien que, dans un coin et
couvert de poussière, le violon de cette fille de
tziganes. Enfin, le délabrement, l'insouciance, le
détachement grandiose du vrai saharien, tout
était, là, en harmonie avec l'être qu'il imaginait.
Un tremblement douloureux de paludique agi-
tait un paquet jeté sur la dure banquette garnie
d'un tapis usé et d'une rêche couverture de cha-
melier. Deux pieds nus, bruns et longs, pourvus
d'une semelle épaisse et craquelée de chair morte,
dépassaient de ce paquet. Mottieski se penchant
découvrit un visage blême, aux yeux cl'os. Le voile
bleu des Maures avait déteint sur cette bouche
infiniment triste, sur tout ce visage extraordinaire.
Les dents broyaient un pan de burnous et le gland
en poil de chameau d'une ceinture. Les cheveux
coupés presque ras étaient encore tout poudrés de
la poudre d'or des dunes.
Elle lui parut de traits quelconques et d'expres-
Les Annales Coloniales
Oasis de Laghouat vue d'avion.
fou. Une vigne qui s'accrochait à la maison rebon-
dissait jusqu'au palmier, retombait sur un grena-
dier, liane fertile en belles grappes violettes.
Orangers, citronniers, jasmins; une profusion de
roses touffues. Il faut venir dans les oasis pour
savoir à quel point lie& roses embaument, quelle
vie anime un jardin. A part le frêle murmure
de l'eau vive coulant dans la seguia qui arrosait
ce paradis en réduction, une douceur, un silence
exquis. C'était vraiment là le séjour de délices
promis par le Prophète.
Un étroit escalier de totib grimpait à la ter-
rasse crevassée sur laquelle la maîtresse du logis
dormait ou étudiait, car la connaissance des astres
est lia première qualité d'un saharien. Lorsque
Margit assistait au passage des misérables et fa-
buleuses caravanes, elle avait envie de crier :
— Attendez-moi, compagnons !
Où allaient-ils, ces 'Sahari? A quelle souter-
raine, secrète cité de boue séchée aborderaient-ils
un soir? A quelle ville écroulée de vivants, à peine
surélevée au-dessus de la ville plus peuplée des
morts qui la garde de toutes parts ?
Elle apprit l'arabe et les dialectes sahariens,
acheta deux méharas puis un beau matin, malgré
l'amical avertissement de danger que le chef de
poste crut devoir lui adresser, elle partit accom-
pagnée d'un vieux coureur de pistes. De courtes
tournées d'abord, pour l'entraînement, l'indispen-
sable initiation au désert : 3 ou 400 kilbmètres,
huit ou dix jours... Mais : fuir, là-bas fuir! Et.
prise de la frénésie de l'espace, du dépassement,
dans une grande joie silencieuse, elle appareilla
enfin pour le pays éblouissant de l'irréel, pour
l'extrémité du monde, pour l'horizon vide.
Les officiers et sous-officiers des Compagnies,
disséminés dans les postes de la Mauritanie aux
Monts du Hoggar, entendirent parler de cette
Roumia qui .vivait en nomade.
— Comment est-elle?
— Aussi belle que ta chamelle ! répondirent les
gardeurs de chameaux voilés de noir qui l'avaient
rencontrée dans le Djouf.
— Encore une de ces étrangères excentriques
à la recherche de sensations de tous ordres...
Toutefois, celle-ci ne manque Das de cran !
Ils attendirent sa visite, prêts à se payer sa
tête et à la dégoûter des aventures. Les mois
passèrent. La jeune femme évitait soigneusement
les postes d'Européens, s'écartait des grandes
pistes caravanières jalonnées .de points d'eau. Les
postes radio-électriques n'eurent pas à s'occuper
d'elle. Aucune histoire ne courut sur son compte.
Intéressés, vaguement intrigués, les militaires per-
Réfection d'une foggara près d'In-Salah.
4
dirent leurs attitudes avantageuses puis, surpris,
désappointés, ils la bêchèrent. N'écrivait-elle pas,
cette amazone déconcertante? Mais non, elle était
au-dessus de ça, détachée, pareille à eux tous,
décidément. Elle fut successivement une piquée,
une sacrée bougresse, enfin « un homme J). Rien
de la snobinette horripilante qui se donne des airs
d'exploratrice pour être allée à El-Goléa ! Non,
pas de chiqué celle-ci : la ferveur sincère, l'au-
dace aventureuse d'une véritable saharienne.
Un an... Deux ans... Lassés de suivre en pen-
sée le sillage de cette fugitive pour laquelle ils
éprouvaient maintenant une sympathie respec-
tueuse, ils s'en désintéressèrent.
Or, une nuit. Margit revint au port, à ce misé-
rable refuge de toub. Le bruit de son retour
s'étant aussitôt répandu dans le ksar et. au bordj,
le lieutenant de Mottieski qui venait d'arriver
alla voir ce phénomène féminin. Sachant que ces
choses intéressaient la vagabonde, il emporta la
tiare pour l'a lui montrer.
A la porte un méhari barraqué mâchonnait de
la verdure et veillait sur son chargement. Per-
sonne n'ayant répondu à son appel, Mottieski en-
tra dans l'unique cellule enfumée. Les conve-
nances, les règles de la civilité, au désert ! Bien-
tôt ses yeux accoutumés à la pénombre invento-
rièrent cet intérieur de femme nomade : d'énor-
Gorges d'El Kantara.
mes toiles d'araignées, véritables filets à mouches
descendaient des poutrelles de palmier du pla-
fond; sur la terre battue, une rahla, un casque
colonial déteint et cabossé, une bougie plantée
dans le goulot cassé d'une bouteille de cham-
pagne, des cartes manuscrites, des pierres étran-
gement veinées, des copies d'inscriptions rupes-
tres et de dessins, de mystérieux coquillages
antédiluviens, des armes de l'âge de pierre, une
gargoulette. Pas un livre, pas un vestige de co-
quetterie féminine, rien que, dans un coin et
couvert de poussière, le violon de cette fille de
tziganes. Enfin, le délabrement, l'insouciance, le
détachement grandiose du vrai saharien, tout
était, là, en harmonie avec l'être qu'il imaginait.
Un tremblement douloureux de paludique agi-
tait un paquet jeté sur la dure banquette garnie
d'un tapis usé et d'une rêche couverture de cha-
melier. Deux pieds nus, bruns et longs, pourvus
d'une semelle épaisse et craquelée de chair morte,
dépassaient de ce paquet. Mottieski se penchant
découvrit un visage blême, aux yeux cl'os. Le voile
bleu des Maures avait déteint sur cette bouche
infiniment triste, sur tout ce visage extraordinaire.
Les dents broyaient un pan de burnous et le gland
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coupés presque ras étaient encore tout poudrés de
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