Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1931-03-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 mars 1931 01 mars 1931
Description : 1931/03/01 (A32,N3)-1931/03/31. 1931/03/01 (A32,N3)-1931/03/31.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9742758v
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Page 8
Les Annales Coloniales
nage, vêtu de guenilles sales; un type de vingt-
sept ans qui en paraissait cinquante, qui avait
autour de la bouche un pli amer et dédaigneux
et, dans des yeux trop profondément enfoncés et
luisants, un regard inquiet, bougeur, de bête tra-
quée. Mais Jean de Mottieski a été un être splen-
dide au beau visage durci par les vents de sable
et le soleil d'Afrique, un être enthousiaste, extrê-
mement intelligent et d'une sensibilité exception-
nelle. On l'a recherché pour sa vitalité, sa bonne
humeur, son amour des plaisirs. Il a été l'élégant
officier « bourreau des cœurs » que s'arrachaient
les touristes chics des caravanes transdéserti-
ques.
Dernier rejeton d'une vieille famille polonaise
fixée depuis un siècle en France, gardait-il dans
son sang une goutte de cette mysticité slave, de
cette passion tout intérieure, qui font les révolu-
tionnaires, les illuminés, les saints, les génies et
les fous? Portait-il en lui ce tourment de l'âme
ou reçut-il à l'improviste, du désert, la terrible
révélation du Néant? Ou...
Ce fut au retour d'une sanglante tournée de
répression contre des Maures révoltés, tournée
terminée par l'exécution de l'instigateur, un re-
doutable marabout, que se manifesta chez lui une
curieuse transformation physique et morale...
Vous savez que, maîtres absolus dans nos
royaumes de sable peuplés de termitières humai-
nes et de villages flottants, nous devons avoir
la tête solide pour supporter toutes les respon-
sabilités, pour juger et prendre rapidement les
plus importantes décisions, pour garder la vie
de nos hommes et demeurer calmes au milieu de
cette extravagance de la nature qu'est le Sahara...
Vous savez aussi de quoi nous sommes capables,
en fait d'ascétisme; de l'eau, imbuvable pour
d'autres que nous, du grain mal moulu et des
dattes : avec ça on nargue la mort.
— Je sais que les officiers et sous-officiers des
Compagnies Sahariennes qui ont la garde du dé-
sert, forment une élite. Je sais que ce sont des
errants perpétuels, aptes à tout, des espèces de
surhommes coutumiers d'héroïques et silencieuses
randonnées dont ils n'attendent nulle gloire...
— Ça va! Ça va! Enfin, admettons que nous
ayons un estomac à ressorts, un crâne blindé et
quelques aptitudes... Eh bien. Mottieski, chef
incomparable et très aimé, était une tête forte,
consciente de sa force. Et il renchérissait sur les
habitudes de jeûne ordinaires aux hommes de ces
climats et sur leur endurance à la fatigue. Il
était vraiment arrivé à d'étonnants résultats :
rien, pas même la soif ne semblait avoir de prise
sur lui. Il surpassait sans mal la légendaire
sobriété cameline. Enfin, c'était un as, un grand
Khebir.
Seulement, de cette dernière lointaine et lon-
gue expédition on vit revenir un squelette habillé
(Dessin inédit de René Jaudon.)
Frère Reguibi.
de laines poudreuses et pouilleuses. Une face
sans chair, noire, presque momifiée, où les yeux
piquaient deux points de feu.
Le peloton n'avait pourtant pas plus souffert
que d'habitude. Les méharistes révélèrent que
leur chef s'était terriblement rationné et avait
fait, à pied, et tirant un chameau de prise par
la bride, les quinze journées de marche du re-
tour.
A quoi rimait cette excessive dureté envers sa
pitoyable carcasse, dureté qui le mit à deux
doigts de la mort? En expiation de quoi, ce bar-
bare traitement ? De rien. A qui faisait-il ce
sacrifice de sa santé et de sa vie? A personne.
Et c'était là le pire, où la grandeur de la chose.
Ce que ses Chaambas, qui le vénéraient, racon-
taient sur ce sujet, au fondouk, au café maure
et sur la place des Caravanes où bêtes et gens
ruminent et rêvent, ressemblait à un conte effrayé
( lt. viciée négresse fétichiste.
Oasis de Colomb-Béchar.
Avez-vous remarqué que ce sont toujours les
races nomades, les bergers, qui nous apportent
les révélations spirituelles, qui marchent à
l'Etoile? Rien de ce qu'on appelle le surnaturel
ne surprend les tribus sahariennes qui vivent
dans la terreur des mauvais génies, qui respirent
dans une atmosphère de magie. A peine nés, les
petits Sahari sont enduits d'extraordinaires mé-
langes et couverts d'amulettes préservatrices.
Leurs premières paroles sont des formules de
conjuration et...
Bref, voici comment les Chaambas contaient la
chose: un vieux marabout maure s'était levé des
sables de l'Ouest et, fanatisant ses frères errants,
les avait jetés sur les Roumis envahisseurs. La
violence et la soudaineté de l'attaque surprirent
les chefs de postes. Tribus fidèles massacrées,
bordjs isolés cruellement éprouvés : tel était le
bilan de l'aventure. Il fallait, pour l'exemple,
châtier durement.
Cependant on ne retrouvait pas l'agitateur res-
ponsable. Ce marabout chevelu, astrologue, thau-
maturge et magicien, était très redouté par les
Maures superstitieux. On finit par le découvrir
dans une espèce de koubba posée sur une gara
couverte de ces inscriptions rupestres que per-
sonne n'a jamais pu déchiffrer. Sa capture stu-
péfia sa tribu qui affirmait qu'il déplaçait à
son gré la lune et. les étoiles afin d'égarer ses
ennemis, et qui lui attribuait le pouvoir de se
rendre invisible.
IE fut amené, les mains liées, devant la tente
du lieutenant. Il avait grand air dans ses loques
bleues, avec son koran attaché sur la poitrine
et son bonnet-tiare de coquillages soudanais sur-
monté de plumes d'autruches. Un grand cha-
meau gris de Reguibat le suivait.
Devant les captifs enchaînés on fusilla le
vieux marabout puis un esclave noir, délivré par
les Roumis, lui coupa la tête. Les Chaambas ayant
prudemment refusé de toucher à la tiare du ma-
gicien sauvage, le lieutenant l'arracha de lia tête
coupée et, par dérision, en coiffa son propre
méhari, une haute et fine bête targuia. Comme si
la coiffure maraboutique le brûlait, l'animal qui
était renommé pour sa douceur se débattit,
mordit son maître au bras, tenta de s'enfuir :
en se débattant, il se blessa : on dut l'abattre.
Mottieski emporta la tiare sous son abri de toile
Les Annales Coloniales
nage, vêtu de guenilles sales; un type de vingt-
sept ans qui en paraissait cinquante, qui avait
autour de la bouche un pli amer et dédaigneux
et, dans des yeux trop profondément enfoncés et
luisants, un regard inquiet, bougeur, de bête tra-
quée. Mais Jean de Mottieski a été un être splen-
dide au beau visage durci par les vents de sable
et le soleil d'Afrique, un être enthousiaste, extrê-
mement intelligent et d'une sensibilité exception-
nelle. On l'a recherché pour sa vitalité, sa bonne
humeur, son amour des plaisirs. Il a été l'élégant
officier « bourreau des cœurs » que s'arrachaient
les touristes chics des caravanes transdéserti-
ques.
Dernier rejeton d'une vieille famille polonaise
fixée depuis un siècle en France, gardait-il dans
son sang une goutte de cette mysticité slave, de
cette passion tout intérieure, qui font les révolu-
tionnaires, les illuminés, les saints, les génies et
les fous? Portait-il en lui ce tourment de l'âme
ou reçut-il à l'improviste, du désert, la terrible
révélation du Néant? Ou...
Ce fut au retour d'une sanglante tournée de
répression contre des Maures révoltés, tournée
terminée par l'exécution de l'instigateur, un re-
doutable marabout, que se manifesta chez lui une
curieuse transformation physique et morale...
Vous savez que, maîtres absolus dans nos
royaumes de sable peuplés de termitières humai-
nes et de villages flottants, nous devons avoir
la tête solide pour supporter toutes les respon-
sabilités, pour juger et prendre rapidement les
plus importantes décisions, pour garder la vie
de nos hommes et demeurer calmes au milieu de
cette extravagance de la nature qu'est le Sahara...
Vous savez aussi de quoi nous sommes capables,
en fait d'ascétisme; de l'eau, imbuvable pour
d'autres que nous, du grain mal moulu et des
dattes : avec ça on nargue la mort.
— Je sais que les officiers et sous-officiers des
Compagnies Sahariennes qui ont la garde du dé-
sert, forment une élite. Je sais que ce sont des
errants perpétuels, aptes à tout, des espèces de
surhommes coutumiers d'héroïques et silencieuses
randonnées dont ils n'attendent nulle gloire...
— Ça va! Ça va! Enfin, admettons que nous
ayons un estomac à ressorts, un crâne blindé et
quelques aptitudes... Eh bien. Mottieski, chef
incomparable et très aimé, était une tête forte,
consciente de sa force. Et il renchérissait sur les
habitudes de jeûne ordinaires aux hommes de ces
climats et sur leur endurance à la fatigue. Il
était vraiment arrivé à d'étonnants résultats :
rien, pas même la soif ne semblait avoir de prise
sur lui. Il surpassait sans mal la légendaire
sobriété cameline. Enfin, c'était un as, un grand
Khebir.
Seulement, de cette dernière lointaine et lon-
gue expédition on vit revenir un squelette habillé
(Dessin inédit de René Jaudon.)
Frère Reguibi.
de laines poudreuses et pouilleuses. Une face
sans chair, noire, presque momifiée, où les yeux
piquaient deux points de feu.
Le peloton n'avait pourtant pas plus souffert
que d'habitude. Les méharistes révélèrent que
leur chef s'était terriblement rationné et avait
fait, à pied, et tirant un chameau de prise par
la bride, les quinze journées de marche du re-
tour.
A quoi rimait cette excessive dureté envers sa
pitoyable carcasse, dureté qui le mit à deux
doigts de la mort? En expiation de quoi, ce bar-
bare traitement ? De rien. A qui faisait-il ce
sacrifice de sa santé et de sa vie? A personne.
Et c'était là le pire, où la grandeur de la chose.
Ce que ses Chaambas, qui le vénéraient, racon-
taient sur ce sujet, au fondouk, au café maure
et sur la place des Caravanes où bêtes et gens
ruminent et rêvent, ressemblait à un conte effrayé
( lt. viciée négresse fétichiste.
Oasis de Colomb-Béchar.
Avez-vous remarqué que ce sont toujours les
races nomades, les bergers, qui nous apportent
les révélations spirituelles, qui marchent à
l'Etoile? Rien de ce qu'on appelle le surnaturel
ne surprend les tribus sahariennes qui vivent
dans la terreur des mauvais génies, qui respirent
dans une atmosphère de magie. A peine nés, les
petits Sahari sont enduits d'extraordinaires mé-
langes et couverts d'amulettes préservatrices.
Leurs premières paroles sont des formules de
conjuration et...
Bref, voici comment les Chaambas contaient la
chose: un vieux marabout maure s'était levé des
sables de l'Ouest et, fanatisant ses frères errants,
les avait jetés sur les Roumis envahisseurs. La
violence et la soudaineté de l'attaque surprirent
les chefs de postes. Tribus fidèles massacrées,
bordjs isolés cruellement éprouvés : tel était le
bilan de l'aventure. Il fallait, pour l'exemple,
châtier durement.
Cependant on ne retrouvait pas l'agitateur res-
ponsable. Ce marabout chevelu, astrologue, thau-
maturge et magicien, était très redouté par les
Maures superstitieux. On finit par le découvrir
dans une espèce de koubba posée sur une gara
couverte de ces inscriptions rupestres que per-
sonne n'a jamais pu déchiffrer. Sa capture stu-
péfia sa tribu qui affirmait qu'il déplaçait à
son gré la lune et. les étoiles afin d'égarer ses
ennemis, et qui lui attribuait le pouvoir de se
rendre invisible.
IE fut amené, les mains liées, devant la tente
du lieutenant. Il avait grand air dans ses loques
bleues, avec son koran attaché sur la poitrine
et son bonnet-tiare de coquillages soudanais sur-
monté de plumes d'autruches. Un grand cha-
meau gris de Reguibat le suivait.
Devant les captifs enchaînés on fusilla le
vieux marabout puis un esclave noir, délivré par
les Roumis, lui coupa la tête. Les Chaambas ayant
prudemment refusé de toucher à la tiare du ma-
gicien sauvage, le lieutenant l'arracha de lia tête
coupée et, par dérision, en coiffa son propre
méhari, une haute et fine bête targuia. Comme si
la coiffure maraboutique le brûlait, l'animal qui
était renommé pour sa douceur se débattit,
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