Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1931-03-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 mars 1931 01 mars 1931
Description : 1931/03/01 (A32,N3)-1931/03/31. 1931/03/01 (A32,N3)-1931/03/31.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9742758v
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Les Annales Coloniales
Page 7
HISTOIRE DE CHAMEAUX
PAR MARCELLE VIOUX
(Dessin inédit de René Jaudoll.)
Oh ! désert, si jamais je t'oublie ! Non !
En permission de deux mois, mes quatre jeunes
amis des Compagnies Sahariennes essaient d'ou-
blier leur désert dans la cohue bruyante de
Montparnasse.
Leurs yeux perçants, pénétrants, qui fouillent
plus loin qu'on ne voudrait, suivent les évolu-
tions de couples conduits par lie rythme dolent
des tangos. L'oppressante mêlée de gens à demi-
pâmés en public, les simulacres d'un faux pllii-
sir, attristent ces oiseaux migrateurs, leur font
davantage sentir leur étrange exil dans leur pro-
pre patrie... C'est que trois ans de désert mar-
quent un homme pour le reste de sa vie.
Mes amis extravagants et chimériques... Rien
du troupeau. Chacun de ces jeunes gens musclés
et fins, ^ peau hâlée, possède sa personnalité;
chose si rare en ce temps, parmi nous, mais
chose commune au Sahara où l'on vit en profon-
non en surface, où l'on ne s'enrichit que
d âme.
Et n'est-ce pas, au bout du compte, l'essen-
tiel ? "
• Rentrons. Mais peut-on se quitter ainsi, dormir
si tôt? Où se réfugier? Chez l'un d'entre nous,
dans la demi-obscurité d'une pièce décorée de
tentures de Timimoun, de portières aux dessins
berbères, de cornes de gazelles et d'antilopes,
d œufs d'autruche caparaçonnés de lanières tar-
guiat, de curieuses armes de guerriers sauvages.
Nous voici installés à la nomade sur l'épais tapis
pourpre et noir tissés par les étroites mains far-
dées des Amouriat. Autour de nous traînent des
plateaux de vannerie, des poteries bizarres, une
flûte bédouine; dans un coin, la rahla ou selle de
méhari dresse sa croix. Et il règne là-dedans la
forte odeur, bouleversante à cause du souvenir,
du filali, le cuir rouge tanné à la saharienne...
Les maigres mains brunes de mes amis tri-
potent avec amour des photographies prises « là-
bas ». de vieilles cartes déroulées et des feuil!es
blanches sur lesquelles courent les tracés sinueux
des pistes chaudes, les points rouges des puits,
la tache verte des oasis... Et des noms presti-
gieux qui semblent prononcés en rêve éveillent
en nous des retentissements lointains...
Ce tapis pourpre et noir n'est-il' pas enchanté?
Nous voici tout à coup, dans la grande nuit
saharienne, cinq formes indécises encapuchonnées
de burnous poudreux et effrangés, autour des
quarts remplis de thé à la menthe, dans l'âcre
fumée d'un petit feu d'herbes et de crottes de
chameau. L'espace, le mystère, le silence inoui
des solitudes sableuses nous enveloppent, et le
fourmillement des étoiles éclaire nos pensées
les plus secrètes...
0 désert, si jamais je t'oublie !
Etrange sincérité nocturne qui va jusqu'au
mensonge inconscient. Mensonge — affirmation
de l'irréel. Vérité sur un plan. Nos sens encore
imparfaits ne nous trompent-ib pas? Et pour-
quoi devons-nous accepter le témoignage de nos
sens plutôt que oelui de notre imagination, de
nos rêves? Ce qu'on nomme réalité a été d'abord
imagination...
— Savez-vous pourquoi le chameau a cet air
dédaigneux ?
— Non.
- Mahomet s'enfuyant de la Mecque, pour,
suivi par ses ennemis, demanda un suprême effort
à sa chamelle blanche qu'il aimait entre toutes.
Sauvé, pour récompenser la vaillante bête, il lui
murmura le centième nom d'Allah qu'il ne révéla
pas aux hommes. Et depuis ce temps les cha-
meaux se répètent ce n011l et méprisent l'homme
ignorant.
— A propos de chameaux : a-t-on retrouvé le
corps de Mottieski, le lieutenant qui se crut
métamorphosé en chameau?
— Non. Et l'on n'a reconnu, autour de son
dernier campement, que la trace de deux méharas
non montés...
— 0 mes amis, racontez l'histoire?
—- A toi, Paul, l'éventail de Shéhérazade!
— J'écoute et j'obéis... Or, il y avait, quel-
que part dans les Territoires du Sud, un de ces
fortins hautains et solitaires qu'une pluie abat
mais qui ont mission de résister à toutes les
attaques. Là-dedans, commandant à quelques
méharistes Chaambas, le lieutenant Jean de Mot-
tieski, caractère excessif, obsédé d'absolu...
— Je le rencontrai, l'autre année : il me parut
déjà assez mal handicapé...
— - Tu ne l'as pas connu dans sa splendeur!
Tu as vu, il y a deux ans un singulier person-
Système de puisage au Hoggar.
Page 7
HISTOIRE DE CHAMEAUX
PAR MARCELLE VIOUX
(Dessin inédit de René Jaudoll.)
Oh ! désert, si jamais je t'oublie ! Non !
En permission de deux mois, mes quatre jeunes
amis des Compagnies Sahariennes essaient d'ou-
blier leur désert dans la cohue bruyante de
Montparnasse.
Leurs yeux perçants, pénétrants, qui fouillent
plus loin qu'on ne voudrait, suivent les évolu-
tions de couples conduits par lie rythme dolent
des tangos. L'oppressante mêlée de gens à demi-
pâmés en public, les simulacres d'un faux pllii-
sir, attristent ces oiseaux migrateurs, leur font
davantage sentir leur étrange exil dans leur pro-
pre patrie... C'est que trois ans de désert mar-
quent un homme pour le reste de sa vie.
Mes amis extravagants et chimériques... Rien
du troupeau. Chacun de ces jeunes gens musclés
et fins, ^ peau hâlée, possède sa personnalité;
chose si rare en ce temps, parmi nous, mais
chose commune au Sahara où l'on vit en profon-
non en surface, où l'on ne s'enrichit que
d âme.
Et n'est-ce pas, au bout du compte, l'essen-
tiel ? "
• Rentrons. Mais peut-on se quitter ainsi, dormir
si tôt? Où se réfugier? Chez l'un d'entre nous,
dans la demi-obscurité d'une pièce décorée de
tentures de Timimoun, de portières aux dessins
berbères, de cornes de gazelles et d'antilopes,
d œufs d'autruche caparaçonnés de lanières tar-
guiat, de curieuses armes de guerriers sauvages.
Nous voici installés à la nomade sur l'épais tapis
pourpre et noir tissés par les étroites mains far-
dées des Amouriat. Autour de nous traînent des
plateaux de vannerie, des poteries bizarres, une
flûte bédouine; dans un coin, la rahla ou selle de
méhari dresse sa croix. Et il règne là-dedans la
forte odeur, bouleversante à cause du souvenir,
du filali, le cuir rouge tanné à la saharienne...
Les maigres mains brunes de mes amis tri-
potent avec amour des photographies prises « là-
bas ». de vieilles cartes déroulées et des feuil!es
blanches sur lesquelles courent les tracés sinueux
des pistes chaudes, les points rouges des puits,
la tache verte des oasis... Et des noms presti-
gieux qui semblent prononcés en rêve éveillent
en nous des retentissements lointains...
Ce tapis pourpre et noir n'est-il' pas enchanté?
Nous voici tout à coup, dans la grande nuit
saharienne, cinq formes indécises encapuchonnées
de burnous poudreux et effrangés, autour des
quarts remplis de thé à la menthe, dans l'âcre
fumée d'un petit feu d'herbes et de crottes de
chameau. L'espace, le mystère, le silence inoui
des solitudes sableuses nous enveloppent, et le
fourmillement des étoiles éclaire nos pensées
les plus secrètes...
0 désert, si jamais je t'oublie !
Etrange sincérité nocturne qui va jusqu'au
mensonge inconscient. Mensonge — affirmation
de l'irréel. Vérité sur un plan. Nos sens encore
imparfaits ne nous trompent-ib pas? Et pour-
quoi devons-nous accepter le témoignage de nos
sens plutôt que oelui de notre imagination, de
nos rêves? Ce qu'on nomme réalité a été d'abord
imagination...
— Savez-vous pourquoi le chameau a cet air
dédaigneux ?
— Non.
- Mahomet s'enfuyant de la Mecque, pour,
suivi par ses ennemis, demanda un suprême effort
à sa chamelle blanche qu'il aimait entre toutes.
Sauvé, pour récompenser la vaillante bête, il lui
murmura le centième nom d'Allah qu'il ne révéla
pas aux hommes. Et depuis ce temps les cha-
meaux se répètent ce n011l et méprisent l'homme
ignorant.
— A propos de chameaux : a-t-on retrouvé le
corps de Mottieski, le lieutenant qui se crut
métamorphosé en chameau?
— Non. Et l'on n'a reconnu, autour de son
dernier campement, que la trace de deux méharas
non montés...
— 0 mes amis, racontez l'histoire?
—- A toi, Paul, l'éventail de Shéhérazade!
— J'écoute et j'obéis... Or, il y avait, quel-
que part dans les Territoires du Sud, un de ces
fortins hautains et solitaires qu'une pluie abat
mais qui ont mission de résister à toutes les
attaques. Là-dedans, commandant à quelques
méharistes Chaambas, le lieutenant Jean de Mot-
tieski, caractère excessif, obsédé d'absolu...
— Je le rencontrai, l'autre année : il me parut
déjà assez mal handicapé...
— - Tu ne l'as pas connu dans sa splendeur!
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