Titre : Les Annales coloniales : organe de la "France coloniale moderne" / directeur : Marcel Ruedel
Auteur : France coloniale moderne. Auteur du texte
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1926-08-10
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32693410p
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 11726 Nombre total de vues : 11726
Description : 10 août 1926 10 août 1926
Description : 1926/08/10. 1926/08/10.
Description : Collection numérique : Bibliothèque Francophone... Collection numérique : Bibliothèque Francophone Numérique
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Appartient à l’ensemble documentaire : RfnHisg1 Appartient à l’ensemble documentaire : RfnHisg1
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6397170k
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LC12-252
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 16/01/2013
NUMERO MENSUEL ILLUSTRE
PRIX : 5 fr.
MARDI 10 AOUT 1926.
* le 'q 0
Les Annales Coloniales
- c, inr bi 4ig - - - 41;
JOURNAL QUOTIDIEN
LES ARTICLES PUBLIÉS PAR "LES ANNALES COLONIALES" SONT LA PROPRIÉTÉ
EXCLUSIVE DU JOURNAL
La Annonces et réclames sontreçu" aux Bureaux du/ournal el dan. les agences depublicité
DIRECTEURS : MARCEL RUEDEL et L.-G. THÉBAULT
Rédaction et Administration : 34, Rue du Mont-Thabor, PARIS-1111, Téléphone : LOUVRE 19-37
Un an 3 mois 3 muis
IBONNEMEINTS 80 » 45 p 25 -- j ,--
.T!!°|! wïîlïLtnt S France et Colonies. 80 » 45 » 25
illustré ( Etranger 120 » 65 y ,35 P,
On s'abonne dans tous les Bureaux de poste et chez les principaua4ibrhires
LA PACIFICATION DU MAROC
n'1
:MrA. nROIwIirKQlLIK;
--c:-
Les événements qui viennent de se
produire au Maroc depuis quelques
mois, la substitution du pouvoir civil
au pouvoir militaire, la soumission
d'Abd-el-Krim, le voyage de Sa Ma-
jesté Moulay Youssef en France, mar-
quent la fin d'une époque et le début
d'une époque nouvelle dans l'évolution
de l'Empire chérifien. Non que l'œuvre
accomplie jusqu'ici soit en antago-
nisme avec celle que les temps actuels
nous imposent, ni qu'il existe une so-
lution de continuité, une sorte de frac-
ture entre le passé et le présent. Bien
au contraire, c'est justement l'œuvre
du passé qui, en s'accomplissant, a
créé les conditions nouvelles dont no-
tre œuvre future doit inspirer ses mé-
thodes et ses directives.
Je ne me flatte pas de donner en
quelques lignes un tableau complet de
ce que doit être dans sa complexité
grandissante la besogne qui se propose
à notre effort. Tout au plus est-il per-
mis d'en indiquer les traits et les ob-
jectifs principaux. Je résumerai les
uns et les autres dans une brève for-
mule et dirai volontiers que nous en-
tendons assurer la pacification défini-
tive du Maroc par un Protectorat
fidèle à son principe, conforme à notre
idéal national.
A première vue cette formule sem-
blera cTutiii -g&icialité'"bieii' laige," d'une
extension bien imprécise, mais si l'on
veut y réfléchir on s'apercevra qu'elle
prend une signification très nette et
par ce qu'elle affirme et par ce qu'elle
exclut.
Il existe plus d'une politique colo-
niale. La nôtre même a varié suivant
les tendances du jour et la nature des
contrées d'outre-mer où s'exerçait no-
tre autorité. Certains voient dans l'ac-
tion coloniale une entreprise d'exploi-
tation qui conduit logiquement à un
système d'extermination, ou tout au
moins d'asservissement ou de refoule-
ment. De toute façon c'est l'annihila-
tion de la population conquise au pro-
fit du nouvel occupant.
Or, de telles pratiques peuvent abou-
tir à une apparence de pacification
quand elles laissent subsister la popu-
lation pacifiable. Mais une paix fondée
sur la démonstration brutale et l'épou-
vante des vaincus, est-ce la paix défi-
nitive ? Peut-on tabler sur le silence ir-
rité d'un peuple assoiffé de délivrance
et prêt à s'affranchir dès la première
occasion favorable ? Non.,, il n'est de
paix que celle des esprits, il n'est de
soumission que dans l'assentiment in-
time de ceux que l'on a réduits à
l'obéissance, et cet assentiment intime
ne s'obtient que par l'évidence des
avantages moraux et matériels de l'or-
dre recouvré ou accru.
.e.
Ce n'est pas chose aisée que d'appor-
ter l'ordre à un peuple instinctivement
anarchique et que dix siècles de lais-
ser-aller ou d'impuissance administra-
tive ont accoutumé à ne suivre que les
caprices de ses impulsÏlons et de ses
appétits. La tâche ne va pas sans né-
cessiter des « opérations de police un
peu rudes » et une affirmation décisive
de force. Il ne faut pas être trop hu-
manitaire pour bien servir l'humanité,
et les missionnaires paisibles que nous
avons envoyés au Maroc, ont marqué
de leur sang la route de la civilisation.
On ne se ffieure pas assez ce qu'était le
pays Moghrebin quand nous - y avons
planté notre drapeau. Un pouvoir dé-
bile et chancelant, des chefs indociles
et généralement autonomes, des popu-
lations constamment en chicane, le pil-
lage sévissant jusqu'aux portes des
grandes villes, des villes « dites civi-
lisées n éparses comme des ilôts dans
un flot de tribus barbares, dont la
sphère d'habitat elle-même, était ins-
table comme le lit des Oueds. De rou-
tes point, des pistes. De ports, aucun,
quelques mauvaises rades. De sécurité
nulle part. Toute caravane harcelée au
passage. Tout voyage, fût-ce de Fez à
Rabat, organisé comme une expédi-
tion et surgissant à tout moment des
foghis ravageant ou rançonnant quel-
que province à l'Empire.
C'est à cette situation que mon pré-
décesseur a dû faire face. Il y a con-
sacré de longues et fécondes années de
labeur infatiguable. Il avait embrassé
l'ensemble du problème marocain d'un
regard largement intuitif; du désordre
qu'il avait rencontré, il a fait jaillir
de l'ordre : il a muni le Maroc d'une
armature robuste et puissante, il l'a
doté d'une organisation dont l'in-
fluence salutaire a bientôt assaini les
plaies, reconstitué ce qui cherchait à
vivre, fait prévaloir dans une atmos-
phère déblayée, les forces fécondes sur
les forces de destruction.
Une telle action n'allait pas alans
gêner des préjugés ou des errements
séculaires. Elle a rencontré dans ceux-
là même qui devaient bénéficier des ré-
sistances parfois acharnées. Mais c'est
un des titres de gloire du Maréchal, les
résistances n'ont jamais obscurci la vi-
sion qu'il avait du véritable but à at-
teindre. Notre force victorieuse au Ma-
roc ne s'est jamais enivrée d'elle-mê-
me, et cela est si vrai, que les armes
déposées, nous avons vu promptement
les masstà Hdigèuc:t tantôt fdJuttf.
accepter un régime dont les bienfaits
se sont presque immédiatement révélés
à leurs yeux. Ce ralliement est-il com-
plet et sans restriction secrète, sans
nostalgie des razzias et du baroud ?
Les gens raisonnent, si primitifs qu'ils
soient, ils ont compris. Chaque jour
éloigne pour eux la possibilité d'un re-
tour en arrière. L'âge du fer est clos au
Maroc.
.-.
C'est que, de même que chez les pi-
rates Normands des invasions médié-
vales, il y a deux hommes chez le Ber-
bère. Un guerrier aimant la poudre,
prompt à s'engager sur le sentier de la
guerre ; un paysan laborieux et tenace,
passionné de la terre, soucieux d'éco-
nomie, apte à s'assimiler les méthodes
de culture étrangère et curieux de nou-
veautés. Il n avait jamais su ce qu il
pouvait y avoir de joie à recueillir les
fruits de ce sol dont il est épris : long-
temps il a semé et récolté pour d'au-
tres. La perspective de bénéficier d'un
travail sûr et profitable, la constatation
faite que cette sécurité lui est désormais
acquise, transformera, transforme déjà
son caractère. Dès maintenant, il tend,
tout au moins sur le littoral, à substi-
tuer la propriété individuelle à la pro-
priété collective, et la petite pro-
priété plus malléable et plus rému-
nératrice à la propriété extensive sur
laquelle s'épuise la débilité de son ef-
fort. Un tel régime est trop conforme
à ses instincts de terrien, malgré l'em-
preinte factice qu'a mise en lui le ré-
gime des latifundia pour que l'avenir
ne l'y attache pas de corps et d'âme
et ne le fixe pas enfin sur cette glèbe où
il ne faisait que passer sans y laisser
aucune empreinte.
« *
Mais cet ordre matériel, cette nature
tutélaire dont jouissent à présent lc5
populations marocaines suflira-t-ellc à
nous les conquérir et créer cet état de
C'est que tout n'est pas de bien ad-
ministrer, de niveler des routes, de fon-
der des marchés, de parer aux famines
ou à la disette. Il faut se ménager le
cœur des hommes, les intégrer morale-
ment dans l'organisation dont on les
dote. Une grande erreur est de tenir
pour négligeables des cerveaux qu'on
juge barbares ou incultes, et de traiter
par le mépris qu'on aurait pour un
troupeau, les humanités attardées dont
on a ptis la charge. Il faut auprès
d'elles oublier un peu de cet orgueil
M. Th. STICKCi, sénateur tic lu Soiutî
Cnminussiiire llo.siilenl général (lt; la 11»'• i»uI> 1 ii|i11• française un Munie
pacification totale où je vois l'ohjectif
de notre politique en ce pays ? L'expé-
rience nous montre que non. D'autres
grands peuples ont assumé des tâches
analogues à la nôtre, ils ont magnifi-
quement rempli leur mission de répa-
ration et de recréation économique. Ils
ont imposé l'ordre le plus imperturba-
ble. Mais appelées à exprimer libre-
ment leur pensée, les populations indi-
gènes ont affirmé avec une àpreté gran-
dissante, les revendications de leur in-
transigeance farouche.
civilisé qui s'allie trop précisément au
tempérament colonial, et chercher à
marquer sa supériorité moins par l'éta-
lage de sa force que par les manifesta-
tions bienfaisantes de sa puissance.
Mais il n'est pas de puissance vrai-
ment agissante qui n'ait un caractère
moral. Et quoi qu'on s'imagine, si nos
officiers en général ont acquis une si
solide influence sur leurs administrés
indigènes, c'est bien moins grâce au
prestige de l'uniforme, que par les qua-
lités de justice, par cette magnanimité
La, Gnre de Rabat le jour du départ du Sultan pour lu Franco
La foule venant saluer S. M. Moulay Youssef
M. Sleeg, le général Huiclml <-1 M. U. Blanc au départ de la gurc île Uabal.
!
que l'on s'accorde unanimement à leur
reconnaître.
Que l'on ne s'y trompe pas, je ne
viens pas préconiser une politique de
renoncement ou de condescendance
aveugle. Notre confiance, même justi-
fiée, doit demeurer vigilante. Mais il
s'agit à présent clc méthode. Il s'agit
de déterminer une masse d'hommes à
préférer une condition politique à une
autre, à voir dans la France la raison
d'être d'une amélioration de leur sort,
a se sentir par elle dégagée des entra-
ves d'une barbarie douloureuse et hu-
miliée : pour susciter cet état d'âme,
principe d'une évolution irrésistible
vers des états d'âmes plus complexes,
nous ne devions rien épargner de ce qui
est possible et efficace. Les monta-
gnards ou gens de plaine, ce sont des
rustiques sans horizon et sans patrie. 11
leur adviendra quelque jour d'avoir be-
soin d'en posséder une : il faut qu'ils
la trouvent penchée sur eux et prete à
les recevoir.
Les indigènes marocains sont à l'in-
verse de beaucoup de musulmans très
accessibles aux leçons de l'hygiène et
de l'art médical. Ils y voient plus que
dans nos tanks, une marque de supé-
riorité intrinsèque à laquelle ils rendent
hommage. Les colons de choix que
nous avons là-bas servent également
par leur exemple, par leur attitude cor-
diale et bienfaisante, cette œuvre de
propagande française qui, sans ré-
clame oiseuse, s'insinue de proche en
proche, grandit notre autorité et notre
crédit. Qu'on parvienne, malgré les ré-
sistances des privilèges invétérés, à ins-
tituer une justice moins aveugle, atten-
tive au fond des choses, soucieuse
d'impartiale vérité, que des pratiques
abusives disparaissent après s'être gra-
duellcmcnt. atténuées, et tous les es-
poirs nous seront permis, quelque chi-
mériques qu'ils passent aux yeux de
certains esprits très avertis sans doute,
mais trop avertis du seul passé.
Quoi, me dira-t-on, n'y a-t-iL donc
au Maroc que le problème indigène ?
Non, certes,il en est bien d'autres et de
singulièrement difficiles. Mais celui-ci
commande les autres. De la solution
heureuse ou malhabile que nous donne-
rons à l'un dépend le règlement favora-
ble des autres. Espérez-vous faire de la
colonisation dans un pays frémissant
de lourdes colères, travaillé de méfiaa-
ces et de - rancunes. Nous n'en sommes
pas là au Maroc, et je voudrais que
partout en France et plus particulière-
ment dans la banlieue de Paris, la cri-
minalité ne fût pas plus forte qu'elle
ne l'est ici dans les régions les plus
écartées de toute police effective. Ce
qui est caractéristique, c'est le rappro-
chement significatif qui s'effectue entre
les immigrés et les autochtones. Il n'y
a pas chez les colons du Maroc d'ara-
bophobic, ni chez les Berbères tout au
moins, assez libérés des influences sec-
taires, de xénophobie. Tout est pi et
pour une politique d'association où
chacun n'aura qu'à gagner : ceux ci en
sécurité, ceux-là en bien-être. Mais que
de difficultés. Comment se procurer
des terres de colonisation sans e ffarou-
cher les possédants actuels, familles ou
tribus, ces collectivités pastorales très
jalouses de leurs droits et qui se croient
dépouillées si l'on distrait de leur pa-
trimoine quelque parcelle où pacagent
de maigres troupeaux quand on en
pourrait faire jaillir des récoltes ma-
gnifiques. Si persuadés que nous
soyons de l'utilité d'une meilleure mise
en valeur du sol marocain, nous som-
mes obligés de tenir compte encore de
ces revendications obstinées. Les tribus
vivent ne l'oublions pas sur la foi de
traités qui leur ont promis le respect
des coutumes et clés propriétés. Nous
sommes en pays de Protectorat, nous
nous présentons en conseillers, en col-
laborateurs, non pas en maîtres et mê-
me si c'était pour leur bien, nous ne
pourrions recourir à la force pour obli-
ger les Marocains à s'orienter selon no.;
directives. Au reste, nous disposons à
l'heure actuelle de lots de colonisation
appréciables sur lesquels s'exerceront
avec fruit les initiatives colonisatrices,
pour peu qu'elles ne se soient pas lais-
sées duper par les illusions chimériques
qui naguère ont eu cours à propos du
Maroc. Au Maroc moins qu'ailleurs
rien ne vient de rien, et la terre n'y ré-
compense que les énergies patientes et
vaillantes qui se sont prodiguées pour
elle.
De ces énergies, j'en ai rencontrées
sut ma ii ute. Il y a déjà. la-bah des do-
maines admirables, des Teirnics pour-
vues de tout l'outillage moderne. Le
Maroc a ce privilège unique dans
l'Afrique du Nord qu'il possède de
l'eau et que le débit de cette eau est à
peu près constant. Toutes les cultures
y réussissent : le blé y donne des récol-
tes abondantes, le coton s'y dévelop-
pera bientôt, les fruits européens s'y
acclimatent et la culture maraîchère
s'est déjà largement installée sur le lit-
toral. Que n'obtiendra ce pays lorsque,
imitant l'exemple de nos colons et pro-
fitant de leur expérience, la masse in-
digène entrera résolument dans la voie
de la production intensive, soit qu'elle
s'y engage spontanément, soit qu'elle
s'y laisse entraîner largement par des
forces colonisatrices pourvues de ma-
tériel et de capitaux capables de valo-
riser le domaine encore presque inerte
dont elle dispose. L'avenir du Maroc
est assuré. En douze ans, grâce à la
France, il s'est donne les organes de
ses fonctions, les ressources de sa réno-
vation ; notre Patrie y a assuré sans ar-
rière-pensée la mission protectrice que
lui assignent les traités. Elle n'a rien
voulu éluder de ses obligations. Elle
les a même surabondamment exécu-
tées. Elle a scellé de son sang large-
n.ent répandu, ce sol qu'on lui donnait
fonction de garder et de faire vivre.
Elle ne s'est pas contentée d'y faire ré-
gner l'ordre si longtemps attendu. Elle
a voulu y renaître dans la pensée mè-
me, dans son génie. La culture du sol
réveillée, elle l'a complétée par celle des
esprits. Elle s'est ingéniée à montrer
une fois de plus la force ordonnatrice,
émancipatrice, éducatrice qu'elle de-
meure a travers les siècles et: les épreu-
ves. Ecoles, lycées, instituts scientifI-
ques, instituts médicaux y sont déjà
répandus, par elle les antiques et mer-
veilleux monuments du vieux Maroc re-
trouvent leur splendeur, et le temps est
plus proche peut-être qu'on no pense
où le Maroc, qui n'était presque plus
qu'une expression géographique, accé-
dant à la dignité de puissance ethni-
que, agissante et vivante, deviendra le
foyer où se conjugueront dans une har-
monie originale l'idéal de la France
ini'iatr ce et maternelle et la pensée de
l'Islam réveillée de son long et morne
sommeil.
PRIX : 5 fr.
MARDI 10 AOUT 1926.
* le 'q 0
Les Annales Coloniales
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LA PACIFICATION DU MAROC
n'1
:MrA. nROIwIirKQlLIK;
--c:-
Les événements qui viennent de se
produire au Maroc depuis quelques
mois, la substitution du pouvoir civil
au pouvoir militaire, la soumission
d'Abd-el-Krim, le voyage de Sa Ma-
jesté Moulay Youssef en France, mar-
quent la fin d'une époque et le début
d'une époque nouvelle dans l'évolution
de l'Empire chérifien. Non que l'œuvre
accomplie jusqu'ici soit en antago-
nisme avec celle que les temps actuels
nous imposent, ni qu'il existe une so-
lution de continuité, une sorte de frac-
ture entre le passé et le présent. Bien
au contraire, c'est justement l'œuvre
du passé qui, en s'accomplissant, a
créé les conditions nouvelles dont no-
tre œuvre future doit inspirer ses mé-
thodes et ses directives.
Je ne me flatte pas de donner en
quelques lignes un tableau complet de
ce que doit être dans sa complexité
grandissante la besogne qui se propose
à notre effort. Tout au plus est-il per-
mis d'en indiquer les traits et les ob-
jectifs principaux. Je résumerai les
uns et les autres dans une brève for-
mule et dirai volontiers que nous en-
tendons assurer la pacification défini-
tive du Maroc par un Protectorat
fidèle à son principe, conforme à notre
idéal national.
A première vue cette formule sem-
blera cTutiii -g&icialité'"bieii' laige," d'une
extension bien imprécise, mais si l'on
veut y réfléchir on s'apercevra qu'elle
prend une signification très nette et
par ce qu'elle affirme et par ce qu'elle
exclut.
Il existe plus d'une politique colo-
niale. La nôtre même a varié suivant
les tendances du jour et la nature des
contrées d'outre-mer où s'exerçait no-
tre autorité. Certains voient dans l'ac-
tion coloniale une entreprise d'exploi-
tation qui conduit logiquement à un
système d'extermination, ou tout au
moins d'asservissement ou de refoule-
ment. De toute façon c'est l'annihila-
tion de la population conquise au pro-
fit du nouvel occupant.
Or, de telles pratiques peuvent abou-
tir à une apparence de pacification
quand elles laissent subsister la popu-
lation pacifiable. Mais une paix fondée
sur la démonstration brutale et l'épou-
vante des vaincus, est-ce la paix défi-
nitive ? Peut-on tabler sur le silence ir-
rité d'un peuple assoiffé de délivrance
et prêt à s'affranchir dès la première
occasion favorable ? Non.,, il n'est de
paix que celle des esprits, il n'est de
soumission que dans l'assentiment in-
time de ceux que l'on a réduits à
l'obéissance, et cet assentiment intime
ne s'obtient que par l'évidence des
avantages moraux et matériels de l'or-
dre recouvré ou accru.
.e.
Ce n'est pas chose aisée que d'appor-
ter l'ordre à un peuple instinctivement
anarchique et que dix siècles de lais-
ser-aller ou d'impuissance administra-
tive ont accoutumé à ne suivre que les
caprices de ses impulsÏlons et de ses
appétits. La tâche ne va pas sans né-
cessiter des « opérations de police un
peu rudes » et une affirmation décisive
de force. Il ne faut pas être trop hu-
manitaire pour bien servir l'humanité,
et les missionnaires paisibles que nous
avons envoyés au Maroc, ont marqué
de leur sang la route de la civilisation.
On ne se ffieure pas assez ce qu'était le
pays Moghrebin quand nous - y avons
planté notre drapeau. Un pouvoir dé-
bile et chancelant, des chefs indociles
et généralement autonomes, des popu-
lations constamment en chicane, le pil-
lage sévissant jusqu'aux portes des
grandes villes, des villes « dites civi-
lisées n éparses comme des ilôts dans
un flot de tribus barbares, dont la
sphère d'habitat elle-même, était ins-
table comme le lit des Oueds. De rou-
tes point, des pistes. De ports, aucun,
quelques mauvaises rades. De sécurité
nulle part. Toute caravane harcelée au
passage. Tout voyage, fût-ce de Fez à
Rabat, organisé comme une expédi-
tion et surgissant à tout moment des
foghis ravageant ou rançonnant quel-
que province à l'Empire.
C'est à cette situation que mon pré-
décesseur a dû faire face. Il y a con-
sacré de longues et fécondes années de
labeur infatiguable. Il avait embrassé
l'ensemble du problème marocain d'un
regard largement intuitif; du désordre
qu'il avait rencontré, il a fait jaillir
de l'ordre : il a muni le Maroc d'une
armature robuste et puissante, il l'a
doté d'une organisation dont l'in-
fluence salutaire a bientôt assaini les
plaies, reconstitué ce qui cherchait à
vivre, fait prévaloir dans une atmos-
phère déblayée, les forces fécondes sur
les forces de destruction.
Une telle action n'allait pas alans
gêner des préjugés ou des errements
séculaires. Elle a rencontré dans ceux-
là même qui devaient bénéficier des ré-
sistances parfois acharnées. Mais c'est
un des titres de gloire du Maréchal, les
résistances n'ont jamais obscurci la vi-
sion qu'il avait du véritable but à at-
teindre. Notre force victorieuse au Ma-
roc ne s'est jamais enivrée d'elle-mê-
me, et cela est si vrai, que les armes
déposées, nous avons vu promptement
les masstà Hdigèuc:t tantôt fdJuttf.
accepter un régime dont les bienfaits
se sont presque immédiatement révélés
à leurs yeux. Ce ralliement est-il com-
plet et sans restriction secrète, sans
nostalgie des razzias et du baroud ?
Les gens raisonnent, si primitifs qu'ils
soient, ils ont compris. Chaque jour
éloigne pour eux la possibilité d'un re-
tour en arrière. L'âge du fer est clos au
Maroc.
.-.
C'est que, de même que chez les pi-
rates Normands des invasions médié-
vales, il y a deux hommes chez le Ber-
bère. Un guerrier aimant la poudre,
prompt à s'engager sur le sentier de la
guerre ; un paysan laborieux et tenace,
passionné de la terre, soucieux d'éco-
nomie, apte à s'assimiler les méthodes
de culture étrangère et curieux de nou-
veautés. Il n avait jamais su ce qu il
pouvait y avoir de joie à recueillir les
fruits de ce sol dont il est épris : long-
temps il a semé et récolté pour d'au-
tres. La perspective de bénéficier d'un
travail sûr et profitable, la constatation
faite que cette sécurité lui est désormais
acquise, transformera, transforme déjà
son caractère. Dès maintenant, il tend,
tout au moins sur le littoral, à substi-
tuer la propriété individuelle à la pro-
priété collective, et la petite pro-
priété plus malléable et plus rému-
nératrice à la propriété extensive sur
laquelle s'épuise la débilité de son ef-
fort. Un tel régime est trop conforme
à ses instincts de terrien, malgré l'em-
preinte factice qu'a mise en lui le ré-
gime des latifundia pour que l'avenir
ne l'y attache pas de corps et d'âme
et ne le fixe pas enfin sur cette glèbe où
il ne faisait que passer sans y laisser
aucune empreinte.
« *
Mais cet ordre matériel, cette nature
tutélaire dont jouissent à présent lc5
populations marocaines suflira-t-ellc à
nous les conquérir et créer cet état de
C'est que tout n'est pas de bien ad-
ministrer, de niveler des routes, de fon-
der des marchés, de parer aux famines
ou à la disette. Il faut se ménager le
cœur des hommes, les intégrer morale-
ment dans l'organisation dont on les
dote. Une grande erreur est de tenir
pour négligeables des cerveaux qu'on
juge barbares ou incultes, et de traiter
par le mépris qu'on aurait pour un
troupeau, les humanités attardées dont
on a ptis la charge. Il faut auprès
d'elles oublier un peu de cet orgueil
M. Th. STICKCi, sénateur tic lu Soiutî
Cnminussiiire llo.siilenl général (lt; la 11»'• i»uI> 1 ii|i11• française un Munie
pacification totale où je vois l'ohjectif
de notre politique en ce pays ? L'expé-
rience nous montre que non. D'autres
grands peuples ont assumé des tâches
analogues à la nôtre, ils ont magnifi-
quement rempli leur mission de répa-
ration et de recréation économique. Ils
ont imposé l'ordre le plus imperturba-
ble. Mais appelées à exprimer libre-
ment leur pensée, les populations indi-
gènes ont affirmé avec une àpreté gran-
dissante, les revendications de leur in-
transigeance farouche.
civilisé qui s'allie trop précisément au
tempérament colonial, et chercher à
marquer sa supériorité moins par l'éta-
lage de sa force que par les manifesta-
tions bienfaisantes de sa puissance.
Mais il n'est pas de puissance vrai-
ment agissante qui n'ait un caractère
moral. Et quoi qu'on s'imagine, si nos
officiers en général ont acquis une si
solide influence sur leurs administrés
indigènes, c'est bien moins grâce au
prestige de l'uniforme, que par les qua-
lités de justice, par cette magnanimité
La, Gnre de Rabat le jour du départ du Sultan pour lu Franco
La foule venant saluer S. M. Moulay Youssef
M. Sleeg, le général Huiclml <-1 M. U. Blanc au départ de la gurc île Uabal.
!
que l'on s'accorde unanimement à leur
reconnaître.
Que l'on ne s'y trompe pas, je ne
viens pas préconiser une politique de
renoncement ou de condescendance
aveugle. Notre confiance, même justi-
fiée, doit demeurer vigilante. Mais il
s'agit à présent clc méthode. Il s'agit
de déterminer une masse d'hommes à
préférer une condition politique à une
autre, à voir dans la France la raison
d'être d'une amélioration de leur sort,
a se sentir par elle dégagée des entra-
ves d'une barbarie douloureuse et hu-
miliée : pour susciter cet état d'âme,
principe d'une évolution irrésistible
vers des états d'âmes plus complexes,
nous ne devions rien épargner de ce qui
est possible et efficace. Les monta-
gnards ou gens de plaine, ce sont des
rustiques sans horizon et sans patrie. 11
leur adviendra quelque jour d'avoir be-
soin d'en posséder une : il faut qu'ils
la trouvent penchée sur eux et prete à
les recevoir.
Les indigènes marocains sont à l'in-
verse de beaucoup de musulmans très
accessibles aux leçons de l'hygiène et
de l'art médical. Ils y voient plus que
dans nos tanks, une marque de supé-
riorité intrinsèque à laquelle ils rendent
hommage. Les colons de choix que
nous avons là-bas servent également
par leur exemple, par leur attitude cor-
diale et bienfaisante, cette œuvre de
propagande française qui, sans ré-
clame oiseuse, s'insinue de proche en
proche, grandit notre autorité et notre
crédit. Qu'on parvienne, malgré les ré-
sistances des privilèges invétérés, à ins-
tituer une justice moins aveugle, atten-
tive au fond des choses, soucieuse
d'impartiale vérité, que des pratiques
abusives disparaissent après s'être gra-
duellcmcnt. atténuées, et tous les es-
poirs nous seront permis, quelque chi-
mériques qu'ils passent aux yeux de
certains esprits très avertis sans doute,
mais trop avertis du seul passé.
Quoi, me dira-t-on, n'y a-t-iL donc
au Maroc que le problème indigène ?
Non, certes,il en est bien d'autres et de
singulièrement difficiles. Mais celui-ci
commande les autres. De la solution
heureuse ou malhabile que nous donne-
rons à l'un dépend le règlement favora-
ble des autres. Espérez-vous faire de la
colonisation dans un pays frémissant
de lourdes colères, travaillé de méfiaa-
ces et de - rancunes. Nous n'en sommes
pas là au Maroc, et je voudrais que
partout en France et plus particulière-
ment dans la banlieue de Paris, la cri-
minalité ne fût pas plus forte qu'elle
ne l'est ici dans les régions les plus
écartées de toute police effective. Ce
qui est caractéristique, c'est le rappro-
chement significatif qui s'effectue entre
les immigrés et les autochtones. Il n'y
a pas chez les colons du Maroc d'ara-
bophobic, ni chez les Berbères tout au
moins, assez libérés des influences sec-
taires, de xénophobie. Tout est pi et
pour une politique d'association où
chacun n'aura qu'à gagner : ceux ci en
sécurité, ceux-là en bien-être. Mais que
de difficultés. Comment se procurer
des terres de colonisation sans e ffarou-
cher les possédants actuels, familles ou
tribus, ces collectivités pastorales très
jalouses de leurs droits et qui se croient
dépouillées si l'on distrait de leur pa-
trimoine quelque parcelle où pacagent
de maigres troupeaux quand on en
pourrait faire jaillir des récoltes ma-
gnifiques. Si persuadés que nous
soyons de l'utilité d'une meilleure mise
en valeur du sol marocain, nous som-
mes obligés de tenir compte encore de
ces revendications obstinées. Les tribus
vivent ne l'oublions pas sur la foi de
traités qui leur ont promis le respect
des coutumes et clés propriétés. Nous
sommes en pays de Protectorat, nous
nous présentons en conseillers, en col-
laborateurs, non pas en maîtres et mê-
me si c'était pour leur bien, nous ne
pourrions recourir à la force pour obli-
ger les Marocains à s'orienter selon no.;
directives. Au reste, nous disposons à
l'heure actuelle de lots de colonisation
appréciables sur lesquels s'exerceront
avec fruit les initiatives colonisatrices,
pour peu qu'elles ne se soient pas lais-
sées duper par les illusions chimériques
qui naguère ont eu cours à propos du
Maroc. Au Maroc moins qu'ailleurs
rien ne vient de rien, et la terre n'y ré-
compense que les énergies patientes et
vaillantes qui se sont prodiguées pour
elle.
De ces énergies, j'en ai rencontrées
sut ma ii ute. Il y a déjà. la-bah des do-
maines admirables, des Teirnics pour-
vues de tout l'outillage moderne. Le
Maroc a ce privilège unique dans
l'Afrique du Nord qu'il possède de
l'eau et que le débit de cette eau est à
peu près constant. Toutes les cultures
y réussissent : le blé y donne des récol-
tes abondantes, le coton s'y dévelop-
pera bientôt, les fruits européens s'y
acclimatent et la culture maraîchère
s'est déjà largement installée sur le lit-
toral. Que n'obtiendra ce pays lorsque,
imitant l'exemple de nos colons et pro-
fitant de leur expérience, la masse in-
digène entrera résolument dans la voie
de la production intensive, soit qu'elle
s'y engage spontanément, soit qu'elle
s'y laisse entraîner largement par des
forces colonisatrices pourvues de ma-
tériel et de capitaux capables de valo-
riser le domaine encore presque inerte
dont elle dispose. L'avenir du Maroc
est assuré. En douze ans, grâce à la
France, il s'est donne les organes de
ses fonctions, les ressources de sa réno-
vation ; notre Patrie y a assuré sans ar-
rière-pensée la mission protectrice que
lui assignent les traités. Elle n'a rien
voulu éluder de ses obligations. Elle
les a même surabondamment exécu-
tées. Elle a scellé de son sang large-
n.ent répandu, ce sol qu'on lui donnait
fonction de garder et de faire vivre.
Elle ne s'est pas contentée d'y faire ré-
gner l'ordre si longtemps attendu. Elle
a voulu y renaître dans la pensée mè-
me, dans son génie. La culture du sol
réveillée, elle l'a complétée par celle des
esprits. Elle s'est ingéniée à montrer
une fois de plus la force ordonnatrice,
émancipatrice, éducatrice qu'elle de-
meure a travers les siècles et: les épreu-
ves. Ecoles, lycées, instituts scientifI-
ques, instituts médicaux y sont déjà
répandus, par elle les antiques et mer-
veilleux monuments du vieux Maroc re-
trouvent leur splendeur, et le temps est
plus proche peut-être qu'on no pense
où le Maroc, qui n'était presque plus
qu'une expression géographique, accé-
dant à la dignité de puissance ethni-
que, agissante et vivante, deviendra le
foyer où se conjugueront dans une har-
monie originale l'idéal de la France
ini'iatr ce et maternelle et la pensée de
l'Islam réveillée de son long et morne
sommeil.
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