Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-01-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 janvier 1929 01 janvier 1929
Description : 1929/01/01-1929/01/31. 1929/01/01-1929/01/31.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9743138b
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Les Annales Coloniales
Paye 7
curiosité ce Parisien transformé en gentleman
prospecteur. En fait de lasso et de fusil, il
n est armé que d une auto et d'un stylo. Son
compte en banque est florissant, ses lots de ter-
rain à bâtir sont réputés.
— « J 'ai réussi, me confie-t-il, parce que
« dès la première minute j'ai eu la foi. Pour
« risquer un sou sur cette terre à bicots, il fal-
« lait une solide confiance. Lyautey, l'Afri-
« cain, non pas l'arme au poing mais la truelle
« à la main, nous a inocuté cette confiance, et
« nous les aînés, nous la transmettons aux ca-
« dets, grâce à cette politique de pénétration
« pacifique poursuivie par M. Steeg. »
« Que pensez-vous de notre Maroc, Mada-
« me la journaliste, se présente-t-il assez bien?
« — Nous l'avons fait, entendez-vous ? J'ai
« vu Casa pousser pierre sur pierre. J'ai cons-
« taté la longueur des rues, la largeur des ave-
« nues avec autant de joie que la croissance de
« mes cinq enfants. Retourner en France ! en
« touriste, oui, mais retourner y vivre et y mou-
« rir, non jamais.
« Faites une enquête, et vous serez convain-
« eue du charme prenant de ce coin d'Afrique
« si mal connu encore de la métropole. De Gi-
« vet à Bayonne, de la pointe Saint Mathieu-
« Océan au Cap Saint-Martin Méditerranée,
« le Maroc se traduit encore pour beaucoup
« par chameaux, guérillas et conventions. Si
« l'on savait ce qu'il vaut notre Maroc, il n'y
« en aurait pas pour tout le monde ! »
Tandis que M. D..., ex-gratte papier, em-
ployé de mairie dans un arrondissement de Pa-
ris, au traitement annuel d'avant-guerre de
2.000 francs disparaît à la vitesse de ses 40
chevaux, je conviens avec moi-même que le
Maroc moderne, vu à travers Casablanca, est
une façon de chef-d'œuvre qui a valu à. la
France cette appréciation flatteuse de Lord
Northcliffe : « Nous vous devons, nous An-
« glais à vous Français, en matière de coloni-
« sation, un grand coup de chapeau. »
Il est heureux que l'étranger se charge par-
fois de nous décerner des prix d'excellence car
la plus petite mention d'encouragement est gé-
néralement" refusée aux Français par les Fran-
çais. Depuis Vercingétorix et Jules César, nous
avons conservé l 'habitude de nous dénigrer nous-
mêmes. J'ai dit « chef-d'œuvre » dans le sens
que lui eût donné un maître-juré du moyen-âge.
Pour juger du fin travail ciselé dans l'empire
chérifien par les hommes de « chez nous » il faut
évoquer le Maroc en 1907. Ces quatre cent
quinze mille kilomètres carrés peuplés d'environ
4 millions d'habitants, étaient aux mains de cinq
cents tribus anarchiques et féroces. Ceux qui ne
périssaient pas entre le yatagan berbère et la
fusillade arabe mouraient de misère, victimes
de la famine, de la soif, des épidémies, sous
la férule terriblement sanglante des grands
caïds.
Casablanca date du protectorat. Avant
1912, Dar-el-Beïda, la Case blanche n'était
qu'un bourg sans intérêt, à peine fortifié de
terre battue. Les huttes de torchis et les toits
de tôle ondulée formaient un village en taupi-
nière. Les trente-sept sultans marocains, durant
leurs 677 années de règne, n'avaient jamais
songé à embellir l'A nfa de l'Antiquité. Ils
réservaient leur intérêt aux grandes favorites :
Marrakech la soudanaise, Rabat la blanche,
Meknès couleur d'opale, Fez la mystérieuse.
Et ceux de « chez nous » adoptèrent Dar el
Beïda la délaissée. Ils lui aménagèrent un port
capable d'assurer sa fortune. La grande jetée
transversale est terminée. Ainsi la chaussée des
géants s'avance en plein océan, faite de blocs
de 50 et de 100 tonnes, déposés sur un fond
naturel de roches.
La barrière cyclopéenne dressée contre la fu-
reur des vents d'ouest et de nord-ouest se pré-
sente, comme une illustration de Gilliatt le ma-
lin, vainqueur de la Mer.
L'abri maritime étant constitué, Casablanca
fut dotée de 1.570 mètres de quais, dont 450
par fonds de 7 à 12 mètres, sans compter le
quai spécial aux phosphates, de terre-pleins oc-
cupant une surface de 420.000 mètres carrés et
de hangars-magasins couvrant une superficie de
23.000 mètres carrés.
Ce grand port moderne, sur cette route de
l'Atlantique, peut espérer le sort d'Alger. Il
offre à l'ancien et au nouveau monde un outil-
lage déjà très perfectionné : sept remorqueurs
à vapeur, une douzaine de chalands dont un
de deux mille tonnes, 40 bargasses, 2 bateaux-
citernes, 26 grues dont 6 électriques, une caile
de halage munie d 'un slip et d'un treuil électri-
que, un remorqueur de sauvetage, des réser-
voirs à mazout. Déjà, les terre-pleins du port
sont desservis par des voies de 0 m. 60 et par
des voies normales. La gare maritime sera bien-
tôt achevée.
L interview d'un port est une chose passion-
nante, les faits parlent pour lui, combien élo-
quemment !
Debout, sur un point de la digue, j'interroge
longuement la mer, je cherche le passage vers
l 'ouest. Ce n'est nullement une folie de per-
sonnages à la Jules Veme, mais la secrète atti-
rance de mon cœur de créole, vers les Antilles,
Martinique et Guadeloupe.
Sur la carte des mers, elles sont à 1 ancre,
dans ce même courant équatorial du Nord, dont
la chanson à mes pieds meurt en vagues douces.
Un jour, peut-être, ce flot qui m'apporte en
mirages fluides des visions de savanes, de
champs de cannes à sucre, dans le souple on-
doiement des vanilliers, ce flot sera peut-être
1 agent économique, politique et touristique de
notre unité coloniale.
Ce jour-là, les ports modernisés de Fort-de-
France et de la Pointe-à-Pitre, seront, après
Casablanca, les principales bases reliant par
Panama, l'Europe, l'Afrique et le Pacifique.
Telle apparaît bien l'orientation des grandes
voies commerciales de l'avenir.
Face à 1 Amérique, le Maroc français dé-
ploie le long de l'Atlantique une côte de douze
cents kilomètres et, dans un savant virage par
langer, au tournant méditerranéen 1 a route
mappemonde rejoint l'Europe très proche. Il
fallait exploiter cet emplacement géographique
de premier ordre, mais cette côte fortifiée par
la barre dangereuse que forme la mer en défer-
lant sur un seuil rocheux, agressif, sans décou-
pures ni baies, n'était nullement hospitalière.
Il fallut imposer à la nature rebelle, le sys.
tème des sept ports : Rabat, Fedhala, Kénitra,
Mazagan, Safi, Mogador et la capitale mari.
time Casablanca.
Rabat, à l'embouchure du Bou-Regreb, des-
sert un hinterland important (Zaïr, Zemmour,
Zaïdan) et pour certains produits Fez et Mek-
nès. Son importance s'est accrue par le voisi.
nage de Salé qui ravitaille de nombreuses tri-
bus et dont les marchés hebdomadaires sont
très suivis.
Fédhala, aux portes de Casablanca (23 kilo-
mètres au Nord) est une excellente petite baie,
particulièrement Il intéressante au point de vue de
i pêche. Une usine de conserves y fonctionne;
une usine frigorifique ravitaille les chalutiers
en glace. Un poste pétrolier permet l'importa-
tion par tanks d'essence et de pétrole.
On peut, sans crainte de se tromper, prédire
un bel avenir à Kénitra. Quand les jetées de
Méhédya seront achevées et que la barre de
l embouchure sera supprimée, les bateaux de
fort tonnage pourront remonter le fleuve.
L'Oued Sebou desservira commodément toute
1.. plaine du Rarb si fertile et les régions de
Meknès et de Fez. -
Ce jour-là, Larache soutiendra difficilement
une pareille concurrence ! Comme le Maroc es-
pagnol subit une croissance lymphatique, il est
possible, et cela sans tuer le dragon à cent têtes,
que Kénitra parvienne à drainer les pommes
d'or de la vallée du Loukkos, jardin des Espé.
rides, les trois filles d'Atlas.
L'INAUGURATION DE LA LIGNE
DE CASABLANCA-MARRAKECH
7 novembre 1928, je conserve cette date
précieusement inscrite sur mon carnet de route.
J'ai appris, en quelques heures, comment le
travail français, consacré à l'aménagement des
lignes de chemins de fer et de routes, aux ins-
tallations de l'énergie électrique, a créé la
seule religion capable de remplacer dans le
vieux Maghreb, le fanatisme indigène. Si
l'expression « Royaume de Dieu », selon la
pensée de Renan, traduit avec un rare bonheur
le besoin qu'éprouve toute créature humaine
d 'un « supplément de destinée », l'évolution
industrielle seule détermine les lois permettant
une répartition égale des biens terrestres entre
toutes les classes, et parmi les diverses races.
Est-ce par l'effet d'un art imitatif ou le jeu
inconscient d'un mimétisme architectural, la
gare de Casablanca, avec son corps de bâtiment
allongé en forme de chaudière et sa tour-che-
minée, ressemble toute neuve et pimpante à une
locomotive porte-bonheur. Elle a été construite
à une distance suffisante de la ville, pour ne
pas en gêner Textension, et rééditer, au centre
d une agglomération, l'énorme erreur parisienne
des tentacules encombrantes des gares pieuvres
(Montparnasse, Quai-d'Orsay, Saint-Lazare).
Neuf heures. Parlementaires, journalistes et
photographes, nous sommes tous. réunis sous le
péristyle de la gare. Les groupes s'entretien-
nent en baissant la voix, un demi-silence règne
qui est peut-être du recueillement ; l'émotion,
ne serait-ce que quelques instants, s'incarne
dans un chant. Sur le sol d'Afrique, comme
aux armées de Sambre-et-Meuse, la Marseil-
laise éclate, tel le plus haut cantique de la
libération. C'est une émotion concise, à la
façon de celle nuancée par Siegfried et le Li-
mousin ; le dernier acte de la pièce de Girau-
doux était aussi un quai de gare. « Aux armes,
citoyens ! » Cela veut dire, ici, dans cette gare
de Casablanca, le rude choc des efforts, de
l'ingénieur, jusqu'au plus modeste des chemi-
nots pour apporter plus de bien-être à un nou-
veau coin de planète. « Un chantier vaut un
bataillon )), il a ses soldats ignorés dont les
mains travaillent chaque jour au salut du
monde.
Pour se rendre compte de l'effort accompli,
il suffit d' évoquer la terre non bâtie et la vie
sauvage de l'homme contraint d'arracher aux
éléments une possibilité d'existence. Le rail au
Maroc assure la sécurité et combat la famine,
il met à la disposition de chacun plus de ri-
chesses, de biens matériels, c'est le plus sûr
garant du nivellement des jouissances pour des
populations cristallisées encore dans un ingrat
féodalisme.
Donc, je suis bien ici sur un champ de ba-
taille où se défendent les droits des hommes.
Je cherche les chefs. M. Séjourné, directeur
honoraire de la Compagnie du P.-L.-M., in-
génieur-conseil de la Compagnie des Chemins
de fer du Maroc. Séjourné ! Ce nom me rap-
pelle le souvenir d'une passionnante recherche
sur 1 évolution de I art de bâtir. Je ne m'étonne
pas que M. Séjourné, à qui l'on doit la con-
ception moderne des cintres (combinaison de
bois debout et de fer tirant) et la construction
des ponts de Luxembourg et de Toulouse (voû-
tes comprimées en maçonnerie, plâtelage fléchi
en béton armé), je ne m'étonne pas qu'au
Maroc, ce maître de l'articulation parfaite, sans
jeu ni frottement, qui « mate les joints des voû-
tes à 1 extrados des retombées », laisse ignorer
au rail les obstacles naturels et les lui fasse
survoler d'une seule arche.
M. Guérin, directeur général de la Compa-
gnie des Chemins de fer du Maroc, est un
Africain de carrière, il a passé plus de vingt-
Paye 7
curiosité ce Parisien transformé en gentleman
prospecteur. En fait de lasso et de fusil, il
n est armé que d une auto et d'un stylo. Son
compte en banque est florissant, ses lots de ter-
rain à bâtir sont réputés.
— « J 'ai réussi, me confie-t-il, parce que
« dès la première minute j'ai eu la foi. Pour
« risquer un sou sur cette terre à bicots, il fal-
« lait une solide confiance. Lyautey, l'Afri-
« cain, non pas l'arme au poing mais la truelle
« à la main, nous a inocuté cette confiance, et
« nous les aînés, nous la transmettons aux ca-
« dets, grâce à cette politique de pénétration
« pacifique poursuivie par M. Steeg. »
« Que pensez-vous de notre Maroc, Mada-
« me la journaliste, se présente-t-il assez bien?
« — Nous l'avons fait, entendez-vous ? J'ai
« vu Casa pousser pierre sur pierre. J'ai cons-
« taté la longueur des rues, la largeur des ave-
« nues avec autant de joie que la croissance de
« mes cinq enfants. Retourner en France ! en
« touriste, oui, mais retourner y vivre et y mou-
« rir, non jamais.
« Faites une enquête, et vous serez convain-
« eue du charme prenant de ce coin d'Afrique
« si mal connu encore de la métropole. De Gi-
« vet à Bayonne, de la pointe Saint Mathieu-
« Océan au Cap Saint-Martin Méditerranée,
« le Maroc se traduit encore pour beaucoup
« par chameaux, guérillas et conventions. Si
« l'on savait ce qu'il vaut notre Maroc, il n'y
« en aurait pas pour tout le monde ! »
Tandis que M. D..., ex-gratte papier, em-
ployé de mairie dans un arrondissement de Pa-
ris, au traitement annuel d'avant-guerre de
2.000 francs disparaît à la vitesse de ses 40
chevaux, je conviens avec moi-même que le
Maroc moderne, vu à travers Casablanca, est
une façon de chef-d'œuvre qui a valu à. la
France cette appréciation flatteuse de Lord
Northcliffe : « Nous vous devons, nous An-
« glais à vous Français, en matière de coloni-
« sation, un grand coup de chapeau. »
Il est heureux que l'étranger se charge par-
fois de nous décerner des prix d'excellence car
la plus petite mention d'encouragement est gé-
néralement" refusée aux Français par les Fran-
çais. Depuis Vercingétorix et Jules César, nous
avons conservé l 'habitude de nous dénigrer nous-
mêmes. J'ai dit « chef-d'œuvre » dans le sens
que lui eût donné un maître-juré du moyen-âge.
Pour juger du fin travail ciselé dans l'empire
chérifien par les hommes de « chez nous » il faut
évoquer le Maroc en 1907. Ces quatre cent
quinze mille kilomètres carrés peuplés d'environ
4 millions d'habitants, étaient aux mains de cinq
cents tribus anarchiques et féroces. Ceux qui ne
périssaient pas entre le yatagan berbère et la
fusillade arabe mouraient de misère, victimes
de la famine, de la soif, des épidémies, sous
la férule terriblement sanglante des grands
caïds.
Casablanca date du protectorat. Avant
1912, Dar-el-Beïda, la Case blanche n'était
qu'un bourg sans intérêt, à peine fortifié de
terre battue. Les huttes de torchis et les toits
de tôle ondulée formaient un village en taupi-
nière. Les trente-sept sultans marocains, durant
leurs 677 années de règne, n'avaient jamais
songé à embellir l'A nfa de l'Antiquité. Ils
réservaient leur intérêt aux grandes favorites :
Marrakech la soudanaise, Rabat la blanche,
Meknès couleur d'opale, Fez la mystérieuse.
Et ceux de « chez nous » adoptèrent Dar el
Beïda la délaissée. Ils lui aménagèrent un port
capable d'assurer sa fortune. La grande jetée
transversale est terminée. Ainsi la chaussée des
géants s'avance en plein océan, faite de blocs
de 50 et de 100 tonnes, déposés sur un fond
naturel de roches.
La barrière cyclopéenne dressée contre la fu-
reur des vents d'ouest et de nord-ouest se pré-
sente, comme une illustration de Gilliatt le ma-
lin, vainqueur de la Mer.
L'abri maritime étant constitué, Casablanca
fut dotée de 1.570 mètres de quais, dont 450
par fonds de 7 à 12 mètres, sans compter le
quai spécial aux phosphates, de terre-pleins oc-
cupant une surface de 420.000 mètres carrés et
de hangars-magasins couvrant une superficie de
23.000 mètres carrés.
Ce grand port moderne, sur cette route de
l'Atlantique, peut espérer le sort d'Alger. Il
offre à l'ancien et au nouveau monde un outil-
lage déjà très perfectionné : sept remorqueurs
à vapeur, une douzaine de chalands dont un
de deux mille tonnes, 40 bargasses, 2 bateaux-
citernes, 26 grues dont 6 électriques, une caile
de halage munie d 'un slip et d'un treuil électri-
que, un remorqueur de sauvetage, des réser-
voirs à mazout. Déjà, les terre-pleins du port
sont desservis par des voies de 0 m. 60 et par
des voies normales. La gare maritime sera bien-
tôt achevée.
L interview d'un port est une chose passion-
nante, les faits parlent pour lui, combien élo-
quemment !
Debout, sur un point de la digue, j'interroge
longuement la mer, je cherche le passage vers
l 'ouest. Ce n'est nullement une folie de per-
sonnages à la Jules Veme, mais la secrète atti-
rance de mon cœur de créole, vers les Antilles,
Martinique et Guadeloupe.
Sur la carte des mers, elles sont à 1 ancre,
dans ce même courant équatorial du Nord, dont
la chanson à mes pieds meurt en vagues douces.
Un jour, peut-être, ce flot qui m'apporte en
mirages fluides des visions de savanes, de
champs de cannes à sucre, dans le souple on-
doiement des vanilliers, ce flot sera peut-être
1 agent économique, politique et touristique de
notre unité coloniale.
Ce jour-là, les ports modernisés de Fort-de-
France et de la Pointe-à-Pitre, seront, après
Casablanca, les principales bases reliant par
Panama, l'Europe, l'Afrique et le Pacifique.
Telle apparaît bien l'orientation des grandes
voies commerciales de l'avenir.
Face à 1 Amérique, le Maroc français dé-
ploie le long de l'Atlantique une côte de douze
cents kilomètres et, dans un savant virage par
langer, au tournant méditerranéen 1 a route
mappemonde rejoint l'Europe très proche. Il
fallait exploiter cet emplacement géographique
de premier ordre, mais cette côte fortifiée par
la barre dangereuse que forme la mer en défer-
lant sur un seuil rocheux, agressif, sans décou-
pures ni baies, n'était nullement hospitalière.
Il fallut imposer à la nature rebelle, le sys.
tème des sept ports : Rabat, Fedhala, Kénitra,
Mazagan, Safi, Mogador et la capitale mari.
time Casablanca.
Rabat, à l'embouchure du Bou-Regreb, des-
sert un hinterland important (Zaïr, Zemmour,
Zaïdan) et pour certains produits Fez et Mek-
nès. Son importance s'est accrue par le voisi.
nage de Salé qui ravitaille de nombreuses tri-
bus et dont les marchés hebdomadaires sont
très suivis.
Fédhala, aux portes de Casablanca (23 kilo-
mètres au Nord) est une excellente petite baie,
particulièrement Il intéressante au point de vue de
i pêche. Une usine de conserves y fonctionne;
une usine frigorifique ravitaille les chalutiers
en glace. Un poste pétrolier permet l'importa-
tion par tanks d'essence et de pétrole.
On peut, sans crainte de se tromper, prédire
un bel avenir à Kénitra. Quand les jetées de
Méhédya seront achevées et que la barre de
l embouchure sera supprimée, les bateaux de
fort tonnage pourront remonter le fleuve.
L'Oued Sebou desservira commodément toute
1.. plaine du Rarb si fertile et les régions de
Meknès et de Fez. -
Ce jour-là, Larache soutiendra difficilement
une pareille concurrence ! Comme le Maroc es-
pagnol subit une croissance lymphatique, il est
possible, et cela sans tuer le dragon à cent têtes,
que Kénitra parvienne à drainer les pommes
d'or de la vallée du Loukkos, jardin des Espé.
rides, les trois filles d'Atlas.
L'INAUGURATION DE LA LIGNE
DE CASABLANCA-MARRAKECH
7 novembre 1928, je conserve cette date
précieusement inscrite sur mon carnet de route.
J'ai appris, en quelques heures, comment le
travail français, consacré à l'aménagement des
lignes de chemins de fer et de routes, aux ins-
tallations de l'énergie électrique, a créé la
seule religion capable de remplacer dans le
vieux Maghreb, le fanatisme indigène. Si
l'expression « Royaume de Dieu », selon la
pensée de Renan, traduit avec un rare bonheur
le besoin qu'éprouve toute créature humaine
d 'un « supplément de destinée », l'évolution
industrielle seule détermine les lois permettant
une répartition égale des biens terrestres entre
toutes les classes, et parmi les diverses races.
Est-ce par l'effet d'un art imitatif ou le jeu
inconscient d'un mimétisme architectural, la
gare de Casablanca, avec son corps de bâtiment
allongé en forme de chaudière et sa tour-che-
minée, ressemble toute neuve et pimpante à une
locomotive porte-bonheur. Elle a été construite
à une distance suffisante de la ville, pour ne
pas en gêner Textension, et rééditer, au centre
d une agglomération, l'énorme erreur parisienne
des tentacules encombrantes des gares pieuvres
(Montparnasse, Quai-d'Orsay, Saint-Lazare).
Neuf heures. Parlementaires, journalistes et
photographes, nous sommes tous. réunis sous le
péristyle de la gare. Les groupes s'entretien-
nent en baissant la voix, un demi-silence règne
qui est peut-être du recueillement ; l'émotion,
ne serait-ce que quelques instants, s'incarne
dans un chant. Sur le sol d'Afrique, comme
aux armées de Sambre-et-Meuse, la Marseil-
laise éclate, tel le plus haut cantique de la
libération. C'est une émotion concise, à la
façon de celle nuancée par Siegfried et le Li-
mousin ; le dernier acte de la pièce de Girau-
doux était aussi un quai de gare. « Aux armes,
citoyens ! » Cela veut dire, ici, dans cette gare
de Casablanca, le rude choc des efforts, de
l'ingénieur, jusqu'au plus modeste des chemi-
nots pour apporter plus de bien-être à un nou-
veau coin de planète. « Un chantier vaut un
bataillon )), il a ses soldats ignorés dont les
mains travaillent chaque jour au salut du
monde.
Pour se rendre compte de l'effort accompli,
il suffit d' évoquer la terre non bâtie et la vie
sauvage de l'homme contraint d'arracher aux
éléments une possibilité d'existence. Le rail au
Maroc assure la sécurité et combat la famine,
il met à la disposition de chacun plus de ri-
chesses, de biens matériels, c'est le plus sûr
garant du nivellement des jouissances pour des
populations cristallisées encore dans un ingrat
féodalisme.
Donc, je suis bien ici sur un champ de ba-
taille où se défendent les droits des hommes.
Je cherche les chefs. M. Séjourné, directeur
honoraire de la Compagnie du P.-L.-M., in-
génieur-conseil de la Compagnie des Chemins
de fer du Maroc. Séjourné ! Ce nom me rap-
pelle le souvenir d'une passionnante recherche
sur 1 évolution de I art de bâtir. Je ne m'étonne
pas que M. Séjourné, à qui l'on doit la con-
ception moderne des cintres (combinaison de
bois debout et de fer tirant) et la construction
des ponts de Luxembourg et de Toulouse (voû-
tes comprimées en maçonnerie, plâtelage fléchi
en béton armé), je ne m'étonne pas qu'au
Maroc, ce maître de l'articulation parfaite, sans
jeu ni frottement, qui « mate les joints des voû-
tes à 1 extrados des retombées », laisse ignorer
au rail les obstacles naturels et les lui fasse
survoler d'une seule arche.
M. Guérin, directeur général de la Compa-
gnie des Chemins de fer du Maroc, est un
Africain de carrière, il a passé plus de vingt-
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