Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1929-06-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 juin 1929 01 juin 1929
Description : 1929/06/01-1929/06/30. 1929/06/01-1929/06/30.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k97431338
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
: Page 10
Les Annales Coloniales «
BCOMPOâ ET SES SINGES
Nous sommes en Guinée. Notre mission
roule sur la ligne de chemin de fer qui va
de Conakry au Niger. Soudain, le train stop-
pe ; nous arrivons à une ravissante station :
Kindia. Les tirailleurs noirs, pieds nus, avec
armes et « barda », sont rangés sur le quai.
Pour nous rendre les honneurs, la musique
joue la Marseillaise, puis attaque la Marche
de l 'Infanterie de Marine. Cet air, en me rap-
pelant mes séjours en Guyane ou aux Antilles,
a peur effet de raviver en moi de chers souve-
nirs. Le temps, qui patine toutes choses, n'a
pas encore pu émousser ma sensibilité de vieux
briscard colonial, et j'entends toujours avec le
même plaisir et la même émotion le refrain
des marsouins.
Le colonel Charbonneau, commandant des
troupes de Guinée, nous reçcit chaleureusement
et se met à notre disposition pour nous assurer
un bon cantonnement et nous faire visiter la
région.
Kindia, située environ à 150 kilomètres de
la côte, est une importante agglomération de
date récente qui compte à peu près 4.500
habitants. La ville, dont la fondation ne re-
monte pas au-delà de 1904, s'est développée
avec une extraordinaire rapidité, et nous y trou-
vons aujourd'hui des comptoirs des principales
maisons de commerce de la Guinée française.
C'est là un gros centre de production de ba-
nanes et d'ananas. Ces fruits, qui aiment la
chaleur et dont la culture est particulièrement
délicate, jouissent ici d'un climat excellent
qui favorise leur développement normal et leur
complète maturité.
Mais ce qui, pour moi, présente le plus
d'intérêt, c'est une magnifique installation de
l'Institut Pasteur située à quelques kilomètres
de la ville et qui porte le nom de Pasteuria.
A l entrée : quelques bâtiments où sont ins-
tallés les laboratoires ; un peu plus loin, dans
le prolongement de ceux-ci : des rangées de
petites baraques abritant des centaines de sin-
ges de toutes races. Toutes ces constructions
donnent sur un parc immense où l'on voit des
arbres superbes tels que des palmiers, des co-
cotiers. Ici, ce sont des arbustes des tropiques
couverts de fleurs qui jettent une note joyeuse
dans cette contrée sévère. Là, ce sont des al-
lées bordées de plantes grasses. Le coup
d'œil est admirable. On se croirait dans un
jardin enchanteur tant la faune est variée, ver-
doyante et gaie.
Nous avançons paisiblement quand, soudain,
quelle surprise ! Nous apercevons des singes
en liberté en train de faire des cabrioles dans
les arbres. C'est le moment de les photogra-
phier. Les deux cinéastes se mettent à l'œu-
vre. A peine leurs appareils sont-ils sur pied
qu'un chimpanzé qui, jusqu'ici, contemplait la
scène, tranquillement assis sur une branche, dé-
gringole de son perchoir et s'approche de
nous. Il grimpe sur un des appareils de prise
de vues, le regarde dans tous les sens, puis se
met à faire manœuvrer les vis, tourner les bou-
tons. S'emparant ensuite de la manivelle, il la
fait tourner comme un vieux professionnel à qui
toutes ces choses sont familières. Les autres
singes, intéressés sans doute par les agissements
de leur camarade, accourent et bientôt nous
sommes entourés de nombreux chimpanzés qui
n'allaient pas tarder à nous témoigner leur
sympathie d'une façon assez inattendue. En
effet, ils nous prennent les mains et nous font
ainsi comprendre qu'ils seraient heureux de
faire une promenade avec nous. A noter que
ces mammifères ne marchent pas à quatre pat-
tes, mais se tiennent debout. A côté de moi,
un collègue de la mission, pourvu d'une
grande barbe de patriarche, excite la curiosité
de t un d 'eux. L'animal, stupéfait, décide de
« voir de près » ce bizarre ornement qui em-
bellit le visage de notre compagnon de voyage.
Il lui saute sur le dos, lui prend la barbe, la
tire doucement, puis, se rendant compte qu'il
ne peut la détacher, regarde de chaque côté
du menton pour s'assurer qu'elle fait réelle-
ment corps avec l'individu. Nous avons l'im-
pression très nette que, tout d'abord, il croyait
à une fausse parure dont il voulait s'emparer.
Mais son intellect lui ayant rapidement fait
comprendre que c'était là chose impossible, il
n'insista pas davantage.
Une dame qui nous accompagnait confie son
sac à main à un autre. Celui-ci s'assied sur
son séant, ouvre le sac avec précaution, puis,
faisant manœuvrer le fermoir de la poche
intérieure, examine minutieusement la boîte à
poudre, prend la glace et se regarde. Tous se&
gestes étaient ceux d'un être humain. On au
rait dit que cet animal connaissait tous ces ob
jets, y compris le mécanisme d'ouverture et de
fermeture. Il ne s'agissait nullement d'esprit
d imitation ou de répétition de gestes précé-
demment appris. Pas du tout. Nous étions en
présence d'un acte d intelligence ouverte,
réelle, avec association d'idées ; ce singe, en
effet, avait été capturé tout récemment et
n avait pas encore eu le temps de s'initier aux
mystères de la coquetterie féminine.
Pendant que nous sommes rassemblés (hom-
mes et singes) un chien de forte taille vient
essayer de troubler l'harmonie qui règne. Aus-
sitôt un chimpanzé se détache de notre groupe,
fonce sur l'impcrtun et l'expulse rapidement
en lui envoyant des coups de poings sur l'ar-
rière-train, le chassant devant lui sans le mor-
dre ni le griffer.
A côté de ces anecdotes tout simplement
curieuses, il en est d'autres plus touchantes. Je
n'en veux pour exemple que ces deux petits
chimpanzés qui viennent à nous. marchant en
se tenant par la taille. Ils gémissent tristement
et paraissent de pauvres malheureux implorant
11 pitié. Leurs beaux yeux, si expressifs, re-
flètent la douleur. Hélas ! Ce sont deux jeu-
nes orphelins capturés il y a trois mois. Privés
de l eur mère que l'en a dû tuer pour s'em-
parer d'eux, ils errent maintenant comme Jeux
abandonnés, ne se quittent jamais et poussent
des cris déchirants dès que l'on tente de les
séparer. Ils semblent porter en eux un im-
mense chagrin et je ne suis pas éloigné de
croire que leur pensée affectueuse se reporte
au loin dans la brousse à l'heure où leur ma-
man est tombée victime de la civilisation.
Pendant que je me livre à ces réflexions, un
autre petit chimpanzé vient s'accrocher à ma
cuisse pour se faire caresser. En passant la
main sur son crlne, mes doigts perçoivent trois
petites agrafes destinées à maintenir accolés les
bords d'une plaie chirurgicale, témoin d'une
trépanation expérimentale dont l'infortuné ani-
mal a été l'objet. Il paraît m'adresser une
plainte muette contre mes confrères qui l'ont
meurtri. Peut-être pense-t-il que tous les hom-
mes ne sont pas méchants !... Je déplore sin-
cèrement que la science ait parfois d'aussi
cruelles exigences ! Sur des lapins, des co-
bayes, je pourrais me livrer à certaines expé-
riences de laboratoire, mais j'avoue humble-
ment que je n'aurais pas le courage de pren-
dre comme sujet d'étude ni un chien, ni un
singe.
Sans être un adepte de la théorie de Dar-
win, je suis tout de même obligé de recon-
naître que, vraiment, le singe est. de tous les
animaux, celui qui se rapproche le plus de
l'être humain. J'ajoute que les quelques heures
que j'ai passées au milieu d'eux m'ont forte-
ment impressionné et je ne crois pas trop
m avancer en disant que mon excellent ami et
collègue Antonelli partage en tous points mon
opinion.
Pour étayer les notes qui précèdent, j'em.
prunterai à M. Camille Flammarion deux ré-
cits particulièrement significatifs parus dans son
ouvrage « Le Monde avant la création de
1 Homme ». Les lignes qui vont suivre cor-
roborent les observations que j'ai consignées
plus haut et renforcent la documentation que
j ai le plaisir de livrer à la réflexion de mes
lecteurs.
« Le capitaine Grandpret cite ! histoire
d'un chimpanzé femelle qui donnait les preu-
ves les plus remarquables d'une intelligence
développée :
« Elle; se trouvait sur un vaisseau qui devait
la conduire en Amérique. On lui avait appris
à chauffer le four, et elle s'acquittait de cet
emploi à la satisfaction générale ; elle prenait
un soin particulier pour empêcher les charbons
ardents de tomber sur le sol et reconnaissait
très bien quand le four avait atteint le degre
de chaleur voulu. Elle allait ensuite avertir le
boulanger par des signes très expressifs ; aussi
celui-ci se fiait-il entièrement sur son aide et
ne surveillait-il jamais le feu. Elle savait rem-
plir toutes les fonctions d'un matelot avec
autant d'adresse que d'intelligence, hissait le
câble de l'ancre, serrait les voiles, les liait so-
lidement et travaillait de manière à contenter
tous les matelots, qui finirent par la considérer
comme un compagnon.
...............
« Le chimpanzé qui fut élevé par Buffon
marchait presque toujours debout, même lors-
qu'il portait des objets très lourds. Il avait
1 air triste et sérieux, tous ses mouvements
étaient posés et raisonnables. Il n'avait aucun
des hideux défauts des cynocéphales, et n'était
pas aussi espiègle que le sont en général les
cercopithèques. Une parole ou un signe de son
maître suffisait pour le faire obéir. Il offrait le
bras aux personnes qui venaient visiter Buffon
et se promenait avec elles ; il se mettait à ta
be, connaissait l'usage de la serviette, s'es-
suyait la bouche chaque fois qu'il avait bu, se
versait lui-même du vin et trinquait avec se&
voisins. Il se cherchait une tasse avec sa sou.
coupe, y mettait du sucre, versait du thé et
le laissait refroidir avant de boire. Jamais il
ne faisait de mal à personne ; au contraire, il
s'approchait avec beaucoup de convenance des
visiteurs et témoignait tout le plaisir qu'il
éprouvait à être caressé. Tous les amis de
Buffon aimaient scn domestique et lui appor.
taient des biscuits et des fruits. Malheureuse-
ment, la phtisie l'enleva en moins d'un an. )1
Et maintenant, après m'être étendu, peut-
être trop longuement, sur cette question zoolo-
gique, je vais aborder le côté scientifique
Pourquoi l'Institut Pasteur a-t-il installé un
laboratoire en Guinée ? Voici. Pendant très
longtemps, nous avons commis la lourde erreur
d'expérimenter la tuberculose sur les singes en
France. Vains efforts ! En effet, il est aujour-
d'hui avéré qu'au bout de quelques mois de
séjour sous notre climat, presque tous ces ani-
maux meurent de phtisie à laquelle ils sont
extrêmement sensibles, alors que dans leur pays
d origine, sous les tropiques, ils y sont réfrac-
taires. D'autres avant nous, d'ailleurs, avaient
constaté que t élevage du singe dans nos pays
était une utopie. Je n'en veux citer pour exem-
ple que ce passage du grand ornithologiste
Les Annales Coloniales «
BCOMPOâ ET SES SINGES
Nous sommes en Guinée. Notre mission
roule sur la ligne de chemin de fer qui va
de Conakry au Niger. Soudain, le train stop-
pe ; nous arrivons à une ravissante station :
Kindia. Les tirailleurs noirs, pieds nus, avec
armes et « barda », sont rangés sur le quai.
Pour nous rendre les honneurs, la musique
joue la Marseillaise, puis attaque la Marche
de l 'Infanterie de Marine. Cet air, en me rap-
pelant mes séjours en Guyane ou aux Antilles,
a peur effet de raviver en moi de chers souve-
nirs. Le temps, qui patine toutes choses, n'a
pas encore pu émousser ma sensibilité de vieux
briscard colonial, et j'entends toujours avec le
même plaisir et la même émotion le refrain
des marsouins.
Le colonel Charbonneau, commandant des
troupes de Guinée, nous reçcit chaleureusement
et se met à notre disposition pour nous assurer
un bon cantonnement et nous faire visiter la
région.
Kindia, située environ à 150 kilomètres de
la côte, est une importante agglomération de
date récente qui compte à peu près 4.500
habitants. La ville, dont la fondation ne re-
monte pas au-delà de 1904, s'est développée
avec une extraordinaire rapidité, et nous y trou-
vons aujourd'hui des comptoirs des principales
maisons de commerce de la Guinée française.
C'est là un gros centre de production de ba-
nanes et d'ananas. Ces fruits, qui aiment la
chaleur et dont la culture est particulièrement
délicate, jouissent ici d'un climat excellent
qui favorise leur développement normal et leur
complète maturité.
Mais ce qui, pour moi, présente le plus
d'intérêt, c'est une magnifique installation de
l'Institut Pasteur située à quelques kilomètres
de la ville et qui porte le nom de Pasteuria.
A l entrée : quelques bâtiments où sont ins-
tallés les laboratoires ; un peu plus loin, dans
le prolongement de ceux-ci : des rangées de
petites baraques abritant des centaines de sin-
ges de toutes races. Toutes ces constructions
donnent sur un parc immense où l'on voit des
arbres superbes tels que des palmiers, des co-
cotiers. Ici, ce sont des arbustes des tropiques
couverts de fleurs qui jettent une note joyeuse
dans cette contrée sévère. Là, ce sont des al-
lées bordées de plantes grasses. Le coup
d'œil est admirable. On se croirait dans un
jardin enchanteur tant la faune est variée, ver-
doyante et gaie.
Nous avançons paisiblement quand, soudain,
quelle surprise ! Nous apercevons des singes
en liberté en train de faire des cabrioles dans
les arbres. C'est le moment de les photogra-
phier. Les deux cinéastes se mettent à l'œu-
vre. A peine leurs appareils sont-ils sur pied
qu'un chimpanzé qui, jusqu'ici, contemplait la
scène, tranquillement assis sur une branche, dé-
gringole de son perchoir et s'approche de
nous. Il grimpe sur un des appareils de prise
de vues, le regarde dans tous les sens, puis se
met à faire manœuvrer les vis, tourner les bou-
tons. S'emparant ensuite de la manivelle, il la
fait tourner comme un vieux professionnel à qui
toutes ces choses sont familières. Les autres
singes, intéressés sans doute par les agissements
de leur camarade, accourent et bientôt nous
sommes entourés de nombreux chimpanzés qui
n'allaient pas tarder à nous témoigner leur
sympathie d'une façon assez inattendue. En
effet, ils nous prennent les mains et nous font
ainsi comprendre qu'ils seraient heureux de
faire une promenade avec nous. A noter que
ces mammifères ne marchent pas à quatre pat-
tes, mais se tiennent debout. A côté de moi,
un collègue de la mission, pourvu d'une
grande barbe de patriarche, excite la curiosité
de t un d 'eux. L'animal, stupéfait, décide de
« voir de près » ce bizarre ornement qui em-
bellit le visage de notre compagnon de voyage.
Il lui saute sur le dos, lui prend la barbe, la
tire doucement, puis, se rendant compte qu'il
ne peut la détacher, regarde de chaque côté
du menton pour s'assurer qu'elle fait réelle-
ment corps avec l'individu. Nous avons l'im-
pression très nette que, tout d'abord, il croyait
à une fausse parure dont il voulait s'emparer.
Mais son intellect lui ayant rapidement fait
comprendre que c'était là chose impossible, il
n'insista pas davantage.
Une dame qui nous accompagnait confie son
sac à main à un autre. Celui-ci s'assied sur
son séant, ouvre le sac avec précaution, puis,
faisant manœuvrer le fermoir de la poche
intérieure, examine minutieusement la boîte à
poudre, prend la glace et se regarde. Tous se&
gestes étaient ceux d'un être humain. On au
rait dit que cet animal connaissait tous ces ob
jets, y compris le mécanisme d'ouverture et de
fermeture. Il ne s'agissait nullement d'esprit
d imitation ou de répétition de gestes précé-
demment appris. Pas du tout. Nous étions en
présence d'un acte d intelligence ouverte,
réelle, avec association d'idées ; ce singe, en
effet, avait été capturé tout récemment et
n avait pas encore eu le temps de s'initier aux
mystères de la coquetterie féminine.
Pendant que nous sommes rassemblés (hom-
mes et singes) un chien de forte taille vient
essayer de troubler l'harmonie qui règne. Aus-
sitôt un chimpanzé se détache de notre groupe,
fonce sur l'impcrtun et l'expulse rapidement
en lui envoyant des coups de poings sur l'ar-
rière-train, le chassant devant lui sans le mor-
dre ni le griffer.
A côté de ces anecdotes tout simplement
curieuses, il en est d'autres plus touchantes. Je
n'en veux pour exemple que ces deux petits
chimpanzés qui viennent à nous. marchant en
se tenant par la taille. Ils gémissent tristement
et paraissent de pauvres malheureux implorant
11 pitié. Leurs beaux yeux, si expressifs, re-
flètent la douleur. Hélas ! Ce sont deux jeu-
nes orphelins capturés il y a trois mois. Privés
de l eur mère que l'en a dû tuer pour s'em-
parer d'eux, ils errent maintenant comme Jeux
abandonnés, ne se quittent jamais et poussent
des cris déchirants dès que l'on tente de les
séparer. Ils semblent porter en eux un im-
mense chagrin et je ne suis pas éloigné de
croire que leur pensée affectueuse se reporte
au loin dans la brousse à l'heure où leur ma-
man est tombée victime de la civilisation.
Pendant que je me livre à ces réflexions, un
autre petit chimpanzé vient s'accrocher à ma
cuisse pour se faire caresser. En passant la
main sur son crlne, mes doigts perçoivent trois
petites agrafes destinées à maintenir accolés les
bords d'une plaie chirurgicale, témoin d'une
trépanation expérimentale dont l'infortuné ani-
mal a été l'objet. Il paraît m'adresser une
plainte muette contre mes confrères qui l'ont
meurtri. Peut-être pense-t-il que tous les hom-
mes ne sont pas méchants !... Je déplore sin-
cèrement que la science ait parfois d'aussi
cruelles exigences ! Sur des lapins, des co-
bayes, je pourrais me livrer à certaines expé-
riences de laboratoire, mais j'avoue humble-
ment que je n'aurais pas le courage de pren-
dre comme sujet d'étude ni un chien, ni un
singe.
Sans être un adepte de la théorie de Dar-
win, je suis tout de même obligé de recon-
naître que, vraiment, le singe est. de tous les
animaux, celui qui se rapproche le plus de
l'être humain. J'ajoute que les quelques heures
que j'ai passées au milieu d'eux m'ont forte-
ment impressionné et je ne crois pas trop
m avancer en disant que mon excellent ami et
collègue Antonelli partage en tous points mon
opinion.
Pour étayer les notes qui précèdent, j'em.
prunterai à M. Camille Flammarion deux ré-
cits particulièrement significatifs parus dans son
ouvrage « Le Monde avant la création de
1 Homme ». Les lignes qui vont suivre cor-
roborent les observations que j'ai consignées
plus haut et renforcent la documentation que
j ai le plaisir de livrer à la réflexion de mes
lecteurs.
« Le capitaine Grandpret cite ! histoire
d'un chimpanzé femelle qui donnait les preu-
ves les plus remarquables d'une intelligence
développée :
« Elle; se trouvait sur un vaisseau qui devait
la conduire en Amérique. On lui avait appris
à chauffer le four, et elle s'acquittait de cet
emploi à la satisfaction générale ; elle prenait
un soin particulier pour empêcher les charbons
ardents de tomber sur le sol et reconnaissait
très bien quand le four avait atteint le degre
de chaleur voulu. Elle allait ensuite avertir le
boulanger par des signes très expressifs ; aussi
celui-ci se fiait-il entièrement sur son aide et
ne surveillait-il jamais le feu. Elle savait rem-
plir toutes les fonctions d'un matelot avec
autant d'adresse que d'intelligence, hissait le
câble de l'ancre, serrait les voiles, les liait so-
lidement et travaillait de manière à contenter
tous les matelots, qui finirent par la considérer
comme un compagnon.
...............
« Le chimpanzé qui fut élevé par Buffon
marchait presque toujours debout, même lors-
qu'il portait des objets très lourds. Il avait
1 air triste et sérieux, tous ses mouvements
étaient posés et raisonnables. Il n'avait aucun
des hideux défauts des cynocéphales, et n'était
pas aussi espiègle que le sont en général les
cercopithèques. Une parole ou un signe de son
maître suffisait pour le faire obéir. Il offrait le
bras aux personnes qui venaient visiter Buffon
et se promenait avec elles ; il se mettait à ta
be, connaissait l'usage de la serviette, s'es-
suyait la bouche chaque fois qu'il avait bu, se
versait lui-même du vin et trinquait avec se&
voisins. Il se cherchait une tasse avec sa sou.
coupe, y mettait du sucre, versait du thé et
le laissait refroidir avant de boire. Jamais il
ne faisait de mal à personne ; au contraire, il
s'approchait avec beaucoup de convenance des
visiteurs et témoignait tout le plaisir qu'il
éprouvait à être caressé. Tous les amis de
Buffon aimaient scn domestique et lui appor.
taient des biscuits et des fruits. Malheureuse-
ment, la phtisie l'enleva en moins d'un an. )1
Et maintenant, après m'être étendu, peut-
être trop longuement, sur cette question zoolo-
gique, je vais aborder le côté scientifique
Pourquoi l'Institut Pasteur a-t-il installé un
laboratoire en Guinée ? Voici. Pendant très
longtemps, nous avons commis la lourde erreur
d'expérimenter la tuberculose sur les singes en
France. Vains efforts ! En effet, il est aujour-
d'hui avéré qu'au bout de quelques mois de
séjour sous notre climat, presque tous ces ani-
maux meurent de phtisie à laquelle ils sont
extrêmement sensibles, alors que dans leur pays
d origine, sous les tropiques, ils y sont réfrac-
taires. D'autres avant nous, d'ailleurs, avaient
constaté que t élevage du singe dans nos pays
était une utopie. Je n'en veux citer pour exem-
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