Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1931-01-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 janvier 1931 01 janvier 1931
Description : 1931/01/01 (A32,N1)-1931/01/31. 1931/01/01 (A32,N1)-1931/01/31.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9742760x
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Page 6
Les Annales Coloniales
Qu'on imagine un merveilleux jardin avec
une vasque de marbre transparent dont l'eau se
déverse dans un bassin en forme d'étoile décorée
de zelliges, et une fontaine ornée de mosaïques
qui rutilent au soleil.
De hautes portes, tout autour du jardin, s'ou-
vrent sur la galerie. Elles donnent accès aux
appartements des épouses du Caïd. Car le Caïd
a quatre épouses légitimes et soixante concu-
bines.
Elles lui ont donné plus de cent enfants.
Là-bas, au fond du jardin, est un groupe de
femmes qui se reposent ; assises sur des matelas
ou des coussins, elles respirent les parfums du
ri ad.
Mon petit compagnon me fait entrer dans une
vaste pièce. Je n'ai jamais vu un salon aussi doré:
il est vêtu de soie cramoisie, c'est du Louis XIV
le plus flamboyant. Quelques canapés, fauteuils,
chaises, sont collés contre le mur, avec d'autres
meubles européens, pseudo-anciens, parmi les-
quels une pendule muette et un piano... silen-
cieux, sans doute depuis qu'il habite ici.
Des étoffes à grands ramages pendent, en
stalactites, du haut de l'ouverture qui sépare cette
pièce de celle du fond.
Tout cela n'est autre qu'un amoncellement de
cadeaux du Caïd dans le but de plaire à ses
épouses.
J'entré dans la dernière pièce. Celle-ci, plus
étroite, est garnie de divans qui occupent tout
un des grands côtés de la chambre. A chacune
des extrémités sur un grand lit à colonnes, et
en cuivre sont empilés, bien régulièrement, un
nombre incalculable de coussins. Cela monte
haut ! haut ! Certainement, c'est ici une chambre
d'apparat; on ne doit pas s'amuser tous les soirs
à sortir tous ces coussins pour les replacer le len-
demain.
Je demande à l'enfant :
« Où sommes-nous, ici? '
— C'est ma chambre. Je dors là, avec ma-
man. »
Jamais je n'aurais imaginé cela.
Dans l'encadrement d'une porte donnant accès
dans une autre pièce paraît une dame, ornée
comme une idole. Sa tunique de mousseline trans-
parente (foukia) est serrée dans une ceinture
(hindamma) brodée d'or. Ses doigts sont cerclés
de nombreuses et larges bagues, des bracelets, à
ses poignets, tintent. Sur sa poitiine, brille une
agrafe énorme où scintillent des pierreiies.
Elle marche lentement vers moi, en souriant,
et son sourire est un peu étonné.
« Voilà maman, me dit l'enfant. »
La maman me tend la main, à la française.
Cette femme étrange est jolie, et son fils lui
ressemble. Je le lui dis, ce qui la ravit. Avec quel
amour elle le regarde ! Elle passe sa main brune
dans les boucles de l'enfant; le petit lève les
yeux vers elle, et les voilà qui s'embrassent, tous
deux.
Une autre lalla (dame) arrive. Elle est monu-
mentale. Jeune, cependant; je n'ai jamais vu une
femme si large ni si haute. Je suis obligée de
lever la tête pour regarder son visage.
Elle ressemble à la dame de pique. Ses joues
sont fardées au carmin, et sa peau est blanche.
Elle est encore plus parée que la maman du
petit garçon. Son regard est autoritaire et l'on
ne voit nulle douceur ni dans ses yeux, ni dans
ses gestes. -
Elle me sourit cependant, et elle aussi, me serre
la main à la française.
« Quelle est cette lalla? dis-je au petit.
— C'est une femme de papa. »
Les deux lallas s'intéressent à moi, à mes bi-
joux qui sont si peu de chose à côté des leurs.
Mais il est certain que, pour elles, je suis un
phénomène.
Depuis quelques jours, elles ont des hôtes :
une femme du Sultan et ses enfants. Mon petit
compagnon va chercher les princesses qu'il me
présente et qui s'expriment, comme lui, dans
un français non seulement correct, mais élégant.
Les filles du Sultan sont tout à fait amusantes
dans leurs costumes de teintes vives. On dirait
des joujoux. Ça trotte, ça court, ça monte sur
les divans et les coussins en faisant un bruit de
clochettes, avec tous leurs bracelets; et leurs
mains, qui vont et viennent, avec leurs ongles
rougis de henné, ressemblent à des fleurs.
Nous prenons le thé.
Au Maroc, ce n'est pas un esclave qui doit
préparer la boisson. Ce soin est toujours confié
à un des invités. J'ai oublié le nom de la lalla
qui eut cet honneur ce jour-là.
Devant elle, on a déposé les deux plateaux;
à quelques pas, sur un trépied, où brûle du
charbon de bois, chante l'eau d'une bouilloire.
Une esclave veille. L'invitée ébouillante d'abord
la théière, puis verse quelques cuillerées de thé,
un bouquet de menthe fraîche, et, autant qu'il
reste de place, de gros morceaux de sucre.
L'esclave lui passe la bouilloire, et elle verse
l'eau sur le tout. La lalla attend quelques ins-
tants, puis fait couler dans un verre un peu de
liquide doré qu'elle déguste. L'infusion est
bonne, parfaitement réussie, sans quoi, elle l'eût
recommencée.
Alors, elle verse bien également le thé dans
chaque verre et chaque tasse, que l'esclave pré-
sente, en commençant par moi, à chacune des
invitées.
Cette préparation est un rite. Et la personne à
qui on l'a confiée la recommence trois fois. C'est
la Caïda (coutume, habitude, mode, politesse.)
Tandis que nous dégustons le thé brûlant (la
caïda veut qu'il soit bu brûlant et ce me sera
toujours un supplice) nous causons.
Les lallas à qui je demande ce qui les intéresse
et les occupe dans la journée me répondent en
choeur :
« Tout!
— Et que faites-vous?
— ... Rien! »
Et elles semblent très étonnées de ma ques-
tion. Faire quelque chose? Que peut-on faire,
sinon s'occuper de soi, de ses Kaftans (robes),
de ses Haïks, de ses Hmalta (cordelières de soie),
des Selerica (foulards de soie), des Toukia (ro-
bes de mousseline transparente), des Mouchaïa
(babouches), des Dmalez (bracelets) et des Heneks
(colliers).
Je pourrais m'étonner, mais je n'en fais rien.
N'est-ce pas la seule occupation de bien des
européennes ?, Seulement, les noms de toutes ces
choses changent, et surtout leur forme. La mode
a sans nul doute été inventée pour que les fem-
mes n'aient pas l'air de s'occuper toujours des
mêmes objets. La femme marocaine n'a pas cette
malice.
Je demande cependant :
« Et l'étude?
— L'étude? Quelle étude?
— Le Prophète n'a-t-il pas dit : « La recher-
che du savoir est une obligation pour tout musul-
man et toute musulmane? »
— Yeh, yeh! »
Ainsi, j'apprends que ce que ces femmes appel-
lént le Savoir est, pour beaucoup d'européennes,
pour presque toutes les européennes, de l'enfan-
tillage. La Science qui occupe, qui préoccupe la
femme marocaine, et à laquelle elle s'adonne
depuis sa plus tendre enfance est celle qui
consiste à fabriquer des pommades, des onguents
pour sa beauté, des philtres d'amour et des breu-
vages qui portent en eux des sorts bons ou mau-
vais.
Je suis revenue plusieurs fois dans cette maison
et j'ai vu vivre ces femmes riches.
Comme celles qui ont chez nous, une situation
analogue, elles ne font rien que commander à
leurs esclaves et demander à leur mari ce qu'elles
désirent. Celui-ci qui ne veut voir, chez lui, que
des sourires, la plupart du temps, satisfait ses
épouses en leur faisant des cadeaux.
Mais... il n'a pas le droit de donner à l'une
plus qu'à l'autre sans s'attirer mille reproches,
mérités d'ailleurs.
Un époux juste, chaque fois qu'il prend une
femme nouvelle est obligé de lui donner le même
nombre d'esclaves qu'aux précédentes, des bijoux
de même valeur; un appartement ou une maison
semblable, et même, il n'est pas tenu, si cela
déplaît à l'une d'elles, de les faire habiter sous
le même toit.
Il ne doit pas non plus faire à celle-ci une
visite de plus qu'à celle-là. La fraude est diffi-
cile; tout se sait au harem où les esclaves se
surveillent entre eux, trahissent leurs maîtres,
espionnent les autres. C'est à cela que tient la
bonne entente entre les épouses.
Qu'on ne me parle pas de jalousie au harem :
Jalousie d'amour. Cela n'existe pas. Le senti-
ment n'a rien à voir ; la sensualité seule pour-
rait compter. Les Marocaines savent, en se ma-
riant, que leur époux a ou aura plusieurs épouses
et que, s'il le désire, il pourra aussi avoir des
enfants de ses esclaves. Parfois l'époux est un
vieillard et celle qu'il prend pour femme presque
une petite fille.
C'est donc, le plus souvent, l'honneur qui est
en jeu,... Quand ce n'est pas l'intérêt.
Quelques femmes connaissent l'amour véritable
dans son sens noble, mais elles sont rares.
Le grand désir de toute épouse marocaine est
d'avoir des fils ; sa grande crainte est qu'une
autre épouse en ait un.
De là viennent les haines, les bassesses, les
lâchetés, je dirais même les crimes au harem.
Une épouse qui n'a pas d'enfant peut être
répudiée, c'est-à-dire que son mari a le droit,
par sa seule volonté de dissoudre le mariage.
En dehors de ce cas, le divorce est blâmé par
la religion.
a Mariez-vous et ne divorcez pas, dit le Pro-
phète, car Dieu n'aime pas les hommes incons-
tants... »
Mahomet fit bien tout ce qu'il put pour sup-
primer le divorce mais il ne put y parvenir com-
plètement, celui-ci étant passé dans les mœurs.
Néanmoins il voulut que la répudiation n'eût
lieu que dans des cas très graves.
« La répudiation, dit-il est, parmi les choses
permises, celle que Dieu a le plus en horreur. »
Quelques hommes hésitent à déplaire à Allah.
Cependant, il en est d'autres qui n'ont pas cette
crainte. Je me souviens d'une conversation que
j'eus un jour avec Kacem, un jeune Arabe très
érudit qui m'a appris beaucoup de choses sur le
vieux Moghreb.
Nous étions dans le jardin public de Meknès.
Non loin de nous, sous les palmiers, quelques
jeunes gens venaient d'aborder des femmes enve-
loppées dam leurs haïks. Je fis part à Kacem
de mon étonnement.
« Comment se fait-il, lui dis-je que des mu-
sulmanes entrent ainsi, dans la rue, en conversa-
tion avec des hommes?... A moins ajoutai-je,
dans la crainte de l'avoir froissé, que ce soient
leurs maris... ou leurs frères...
— Non, me répondit Kacem ce sont de vilai-
nes femmes. Celle-ci, la petite... est vieille.
L'autre est sûrement jolie. Elle a de beaux
yeux... C'est très mal ce qu'elle fait, mais ce
n'est pas de sa faute. C'est une divorcée... Tu
comprends? Il arrive quelquefois qu'un homme
revienne de la montagne, très riche, avec beau-
coup de « flous » qu'il a gagné. Il se marie. Il
prend une femme deux femmes, trois et quatre.
Un jour, il perd tout son argent. Il n'a plus
de quoi les nourrir. Alors... il s'en va. Forcé-
ment, elles divorcent. Il y en a bien quelques-
unes qui retournent dans leur famille. Mais quel-
quefois, celle-ci est pauvre, ou bien, elles n'en
ont pas. Alors il faut bien qu'elles gagnent leur
vie ! Mais c'est leur mari qui porte le péché de-
vant Allah !
Revenons au harem.
Une épouse qui n'a pas d'enfant est très
malheureuse ; non seulement parce qu'elle est
méprisée par les autres, mais dans son intérêt
propre.
Celle qui n'a que des filles est évidemment
Les Annales Coloniales
Qu'on imagine un merveilleux jardin avec
une vasque de marbre transparent dont l'eau se
déverse dans un bassin en forme d'étoile décorée
de zelliges, et une fontaine ornée de mosaïques
qui rutilent au soleil.
De hautes portes, tout autour du jardin, s'ou-
vrent sur la galerie. Elles donnent accès aux
appartements des épouses du Caïd. Car le Caïd
a quatre épouses légitimes et soixante concu-
bines.
Elles lui ont donné plus de cent enfants.
Là-bas, au fond du jardin, est un groupe de
femmes qui se reposent ; assises sur des matelas
ou des coussins, elles respirent les parfums du
ri ad.
Mon petit compagnon me fait entrer dans une
vaste pièce. Je n'ai jamais vu un salon aussi doré:
il est vêtu de soie cramoisie, c'est du Louis XIV
le plus flamboyant. Quelques canapés, fauteuils,
chaises, sont collés contre le mur, avec d'autres
meubles européens, pseudo-anciens, parmi les-
quels une pendule muette et un piano... silen-
cieux, sans doute depuis qu'il habite ici.
Des étoffes à grands ramages pendent, en
stalactites, du haut de l'ouverture qui sépare cette
pièce de celle du fond.
Tout cela n'est autre qu'un amoncellement de
cadeaux du Caïd dans le but de plaire à ses
épouses.
J'entré dans la dernière pièce. Celle-ci, plus
étroite, est garnie de divans qui occupent tout
un des grands côtés de la chambre. A chacune
des extrémités sur un grand lit à colonnes, et
en cuivre sont empilés, bien régulièrement, un
nombre incalculable de coussins. Cela monte
haut ! haut ! Certainement, c'est ici une chambre
d'apparat; on ne doit pas s'amuser tous les soirs
à sortir tous ces coussins pour les replacer le len-
demain.
Je demande à l'enfant :
« Où sommes-nous, ici? '
— C'est ma chambre. Je dors là, avec ma-
man. »
Jamais je n'aurais imaginé cela.
Dans l'encadrement d'une porte donnant accès
dans une autre pièce paraît une dame, ornée
comme une idole. Sa tunique de mousseline trans-
parente (foukia) est serrée dans une ceinture
(hindamma) brodée d'or. Ses doigts sont cerclés
de nombreuses et larges bagues, des bracelets, à
ses poignets, tintent. Sur sa poitiine, brille une
agrafe énorme où scintillent des pierreiies.
Elle marche lentement vers moi, en souriant,
et son sourire est un peu étonné.
« Voilà maman, me dit l'enfant. »
La maman me tend la main, à la française.
Cette femme étrange est jolie, et son fils lui
ressemble. Je le lui dis, ce qui la ravit. Avec quel
amour elle le regarde ! Elle passe sa main brune
dans les boucles de l'enfant; le petit lève les
yeux vers elle, et les voilà qui s'embrassent, tous
deux.
Une autre lalla (dame) arrive. Elle est monu-
mentale. Jeune, cependant; je n'ai jamais vu une
femme si large ni si haute. Je suis obligée de
lever la tête pour regarder son visage.
Elle ressemble à la dame de pique. Ses joues
sont fardées au carmin, et sa peau est blanche.
Elle est encore plus parée que la maman du
petit garçon. Son regard est autoritaire et l'on
ne voit nulle douceur ni dans ses yeux, ni dans
ses gestes. -
Elle me sourit cependant, et elle aussi, me serre
la main à la française.
« Quelle est cette lalla? dis-je au petit.
— C'est une femme de papa. »
Les deux lallas s'intéressent à moi, à mes bi-
joux qui sont si peu de chose à côté des leurs.
Mais il est certain que, pour elles, je suis un
phénomène.
Depuis quelques jours, elles ont des hôtes :
une femme du Sultan et ses enfants. Mon petit
compagnon va chercher les princesses qu'il me
présente et qui s'expriment, comme lui, dans
un français non seulement correct, mais élégant.
Les filles du Sultan sont tout à fait amusantes
dans leurs costumes de teintes vives. On dirait
des joujoux. Ça trotte, ça court, ça monte sur
les divans et les coussins en faisant un bruit de
clochettes, avec tous leurs bracelets; et leurs
mains, qui vont et viennent, avec leurs ongles
rougis de henné, ressemblent à des fleurs.
Nous prenons le thé.
Au Maroc, ce n'est pas un esclave qui doit
préparer la boisson. Ce soin est toujours confié
à un des invités. J'ai oublié le nom de la lalla
qui eut cet honneur ce jour-là.
Devant elle, on a déposé les deux plateaux;
à quelques pas, sur un trépied, où brûle du
charbon de bois, chante l'eau d'une bouilloire.
Une esclave veille. L'invitée ébouillante d'abord
la théière, puis verse quelques cuillerées de thé,
un bouquet de menthe fraîche, et, autant qu'il
reste de place, de gros morceaux de sucre.
L'esclave lui passe la bouilloire, et elle verse
l'eau sur le tout. La lalla attend quelques ins-
tants, puis fait couler dans un verre un peu de
liquide doré qu'elle déguste. L'infusion est
bonne, parfaitement réussie, sans quoi, elle l'eût
recommencée.
Alors, elle verse bien également le thé dans
chaque verre et chaque tasse, que l'esclave pré-
sente, en commençant par moi, à chacune des
invitées.
Cette préparation est un rite. Et la personne à
qui on l'a confiée la recommence trois fois. C'est
la Caïda (coutume, habitude, mode, politesse.)
Tandis que nous dégustons le thé brûlant (la
caïda veut qu'il soit bu brûlant et ce me sera
toujours un supplice) nous causons.
Les lallas à qui je demande ce qui les intéresse
et les occupe dans la journée me répondent en
choeur :
« Tout!
— Et que faites-vous?
— ... Rien! »
Et elles semblent très étonnées de ma ques-
tion. Faire quelque chose? Que peut-on faire,
sinon s'occuper de soi, de ses Kaftans (robes),
de ses Haïks, de ses Hmalta (cordelières de soie),
des Selerica (foulards de soie), des Toukia (ro-
bes de mousseline transparente), des Mouchaïa
(babouches), des Dmalez (bracelets) et des Heneks
(colliers).
Je pourrais m'étonner, mais je n'en fais rien.
N'est-ce pas la seule occupation de bien des
européennes ?, Seulement, les noms de toutes ces
choses changent, et surtout leur forme. La mode
a sans nul doute été inventée pour que les fem-
mes n'aient pas l'air de s'occuper toujours des
mêmes objets. La femme marocaine n'a pas cette
malice.
Je demande cependant :
« Et l'étude?
— L'étude? Quelle étude?
— Le Prophète n'a-t-il pas dit : « La recher-
che du savoir est une obligation pour tout musul-
man et toute musulmane? »
— Yeh, yeh! »
Ainsi, j'apprends que ce que ces femmes appel-
lént le Savoir est, pour beaucoup d'européennes,
pour presque toutes les européennes, de l'enfan-
tillage. La Science qui occupe, qui préoccupe la
femme marocaine, et à laquelle elle s'adonne
depuis sa plus tendre enfance est celle qui
consiste à fabriquer des pommades, des onguents
pour sa beauté, des philtres d'amour et des breu-
vages qui portent en eux des sorts bons ou mau-
vais.
Je suis revenue plusieurs fois dans cette maison
et j'ai vu vivre ces femmes riches.
Comme celles qui ont chez nous, une situation
analogue, elles ne font rien que commander à
leurs esclaves et demander à leur mari ce qu'elles
désirent. Celui-ci qui ne veut voir, chez lui, que
des sourires, la plupart du temps, satisfait ses
épouses en leur faisant des cadeaux.
Mais... il n'a pas le droit de donner à l'une
plus qu'à l'autre sans s'attirer mille reproches,
mérités d'ailleurs.
Un époux juste, chaque fois qu'il prend une
femme nouvelle est obligé de lui donner le même
nombre d'esclaves qu'aux précédentes, des bijoux
de même valeur; un appartement ou une maison
semblable, et même, il n'est pas tenu, si cela
déplaît à l'une d'elles, de les faire habiter sous
le même toit.
Il ne doit pas non plus faire à celle-ci une
visite de plus qu'à celle-là. La fraude est diffi-
cile; tout se sait au harem où les esclaves se
surveillent entre eux, trahissent leurs maîtres,
espionnent les autres. C'est à cela que tient la
bonne entente entre les épouses.
Qu'on ne me parle pas de jalousie au harem :
Jalousie d'amour. Cela n'existe pas. Le senti-
ment n'a rien à voir ; la sensualité seule pour-
rait compter. Les Marocaines savent, en se ma-
riant, que leur époux a ou aura plusieurs épouses
et que, s'il le désire, il pourra aussi avoir des
enfants de ses esclaves. Parfois l'époux est un
vieillard et celle qu'il prend pour femme presque
une petite fille.
C'est donc, le plus souvent, l'honneur qui est
en jeu,... Quand ce n'est pas l'intérêt.
Quelques femmes connaissent l'amour véritable
dans son sens noble, mais elles sont rares.
Le grand désir de toute épouse marocaine est
d'avoir des fils ; sa grande crainte est qu'une
autre épouse en ait un.
De là viennent les haines, les bassesses, les
lâchetés, je dirais même les crimes au harem.
Une épouse qui n'a pas d'enfant peut être
répudiée, c'est-à-dire que son mari a le droit,
par sa seule volonté de dissoudre le mariage.
En dehors de ce cas, le divorce est blâmé par
la religion.
a Mariez-vous et ne divorcez pas, dit le Pro-
phète, car Dieu n'aime pas les hommes incons-
tants... »
Mahomet fit bien tout ce qu'il put pour sup-
primer le divorce mais il ne put y parvenir com-
plètement, celui-ci étant passé dans les mœurs.
Néanmoins il voulut que la répudiation n'eût
lieu que dans des cas très graves.
« La répudiation, dit-il est, parmi les choses
permises, celle que Dieu a le plus en horreur. »
Quelques hommes hésitent à déplaire à Allah.
Cependant, il en est d'autres qui n'ont pas cette
crainte. Je me souviens d'une conversation que
j'eus un jour avec Kacem, un jeune Arabe très
érudit qui m'a appris beaucoup de choses sur le
vieux Moghreb.
Nous étions dans le jardin public de Meknès.
Non loin de nous, sous les palmiers, quelques
jeunes gens venaient d'aborder des femmes enve-
loppées dam leurs haïks. Je fis part à Kacem
de mon étonnement.
« Comment se fait-il, lui dis-je que des mu-
sulmanes entrent ainsi, dans la rue, en conversa-
tion avec des hommes?... A moins ajoutai-je,
dans la crainte de l'avoir froissé, que ce soient
leurs maris... ou leurs frères...
— Non, me répondit Kacem ce sont de vilai-
nes femmes. Celle-ci, la petite... est vieille.
L'autre est sûrement jolie. Elle a de beaux
yeux... C'est très mal ce qu'elle fait, mais ce
n'est pas de sa faute. C'est une divorcée... Tu
comprends? Il arrive quelquefois qu'un homme
revienne de la montagne, très riche, avec beau-
coup de « flous » qu'il a gagné. Il se marie. Il
prend une femme deux femmes, trois et quatre.
Un jour, il perd tout son argent. Il n'a plus
de quoi les nourrir. Alors... il s'en va. Forcé-
ment, elles divorcent. Il y en a bien quelques-
unes qui retournent dans leur famille. Mais quel-
quefois, celle-ci est pauvre, ou bien, elles n'en
ont pas. Alors il faut bien qu'elles gagnent leur
vie ! Mais c'est leur mari qui porte le péché de-
vant Allah !
Revenons au harem.
Une épouse qui n'a pas d'enfant est très
malheureuse ; non seulement parce qu'elle est
méprisée par les autres, mais dans son intérêt
propre.
Celle qui n'a que des filles est évidemment
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