Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, FOL-O3-1424
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/07/2016
LA rivière s'est égarée parce qu'elle voulait marcher toute seule » : Ce dicton Bamoun s'énonce clairement, mais il se conçoit mal. Jamais une rivière n'est livrée à elle-même : toujours un Génie la guide, lui faisant con- tourner les obstacles et, dans les plaines éperdues et les vallées sans horizon, lui traçant la route opportune. Donc, assurent les fétichistes, Dieu a créé toute chose. Puis, satisfait, s'en remettant aux Génies pour les parachèvements, il ne s'est plus soucié de rien. En pays Bamiléké, parmi tant et tant de potentiels, Dieu a institué le potentiel eau qui, selon l'impulsion de ses Génies donnera ou un lac, ou un fleuve, ou une rivière, voire un humble ruisseau. Le G énie a qui échut le potentiel aquestre Nkal1l aurait pu assurément immobiliser les eaux de son bénéfice en quelque immense cuvette, pittores- ment creusée aux flancs intérieurs d'une mon- tagne pointue, acérée par la divine main. Là, paisible et sans souci, il serait demeuré mys- térieux et inquiétant, parmi la nappe profonde et glauque, redouté des hommes ses sujets tremblants. Le génie Nkam s'est montré tout autre : agissant et non vain. Hardiment il a lancé ses eaux en direction de l'Ouest, là-bas vers le grand collègue marin. Il n'a pas été vertiginé par l'escalier géant, sinueux et tour- menté, aux marches mal taillées suivant lequel décroît hativement la hauteur du Bamiléké, pays à peine herbeux, hérissé de mamelons tour à tour arrondis ou pointus, tel une mer figée en son vif clapotis. Il n'a pas craint les culbutes inattendues dans le vide, ni les déboulés étour- dissants parmi les rapides rocheux où, comme pour encourager la ruée de ses eaux, il est venu se manifester à elles, coloré au soleil parmi la poussière des écumes, faisant, en soudain s'évanouissant, crisser les galets mal arrondis. Habitué aux grands espaces largement ouverts sous le ciel lumineusement libre, il n'a pas redouté la mystérieuse pénétration de la sylve, femelle opaque et puissante, emprisonnante génératrice. Sans freiner son élan, il a abordé des pays nouveaux... Puis, parvenu au bas de la falaise ardue, il a fait frère de sang avec le génie Alakembe ; ensemble ils ont cheminé, allègres, ne marquant un temps d'arrêt qu'au lieu devenu Yabassi d'où, ils ont aperçu, tout là-bas, le collègue océan, aveuglant de soleil.
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