Titre : L'Afrique française : bulletin mensuel du Comité de l'Afrique française et du Comité du Maroc
Auteur : Comité de l'Afrique française. Auteur du texte
Auteur : Comité du Maroc (Paris). Auteur du texte
Éditeur : Comité de l'Afrique française (Paris)
Date d'édition : 1909-01-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32683501s
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 janvier 1909 01 janvier 1909
Description : 1909/01/01 (N1,A19)-1909/12/31 (N12,A19). 1909/01/01 (N1,A19)-1909/12/31 (N12,A19).
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9787844t
Source : CIRAD, 2017-132476
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/07/2017
DE L'AFRIQUE FRANÇAISE 63
retraite ni aux avantages spéciaux de telle ou telle
carrière; il ignore si les indemnités de cherté de
vivres subsistent au Soudan, si elles ont été sup-
primées au Congo, et, à vrai dire, il ne sait pas ce
que c'est et s'en préoccupe médiocrement. Ce
qui remplit actuellement son esprit, c'est qu'il
est devenu un colonial et qu'il va partir pour
l'Afrique, non pas pour l'Algérie, — cette Afrique
trop proche qui n'est qu'une Provence prolongée,
une chaîne des Maures avec de vrais Maures, —
mais pour la véritable Afrique, celle d'au delà du
désert, celle des Nègres, celle de Caillié, de
Mungo-Park, de Bartlt, de Nachtigal, de Stanley,
de Brazza, de Monter, de Binger; il va réaliser
les rêves ébauchés durant son enfance, alors qu'il
aimait jouer au Robinson Suisse derrière les
buissons de. houx du jardin paternel, qui lui
représentaient la forêt dense ; caressés pendant
son adolescence, alors qu'il dévorait avec passion
les œuvres variées de Mavne-Reid, de Jules Verne
et de Boussenard; entrevus enfin avec plus de
précision lorsque, récemment encore, étudiant
passionné pour les luttes coloniales et la course
aux zones d'influence, il allait applaudir frénéti-
quement les explorateurs aux conférences solen-
nelles de la Sorbonne ou du boulevard Saint-
Germain et ressentait une inexplicable émotion à
voir défiler, sous la vive lumière du projecteur,
des paysages de brousse soudanaise ou de forêt
équatoriale, des pirogues fendant l'écume des
rapides, des danses bizarres de féticheurs, des
cavalcades de sofas. La perspective — que dis-je?
la certitude —de pouvoir bientôt vivre cette vie
aventureuse, qui le fascine depuis si longtemps,
enchante notre Broussard, le ravit... et lui
suffit.
Cependant il lui faut faire ses préparatifs de
départ et se documenter sur la vie que l'on mène
là-bas. Il sent avec intensité — avec trop d'inten-
sité— qu'on ne s'embarque pas pour le Dahomey
ou le Congo comme pour Suresnes; et, comme
les renseignements puisés dans ses lectures sont
après tout insuffisants et trop vagues, il a recours
aux conseils de ses ainés, de ceux qui sont allés
déjà là-bas et qui prennent à ses yeux, de par le
seul fait qu'ils y sont allés et que lui va y aller
aussi, une importance jusqu'alors insoupçonnée.
Il éprouve bientôt que ses aînés sont d'un abord
facile et ne se montrent pas chiches de conseils —
loin de là ! —mais que leurs avis sont tellement
contradictoires qu'il est aussi difficile de les tota-
liser que d'additionner des lanternes avec des
bœufs. Il s'aperçoit aussi combien ces vieux colo-
niaux semblent spécialiser leurs idées vers de
petits — de fort petits côtés — de la question
coloniale. Pour les uns, les préparatifs de départ
résident essentiellement dans le choix d'un mo-
dèle de cantine, pour les autres dans celui d'une
marque de conserves, pour certains dans l'adop-
tion d'un calibre de fusil. « Vous partez pour
l'Afrique, mon jeune ami ?—dit à Broussard un
vieux colonial, - faites provision de flanelle : si
vous ne voulez pas attraper la fièvre, il faut tou-
jours porter de la flanelle, à même la peau, sur-
tout quand il fait très chaud, et aussi quand il
fait froid, et puis le reste du temps également
d'ailleurs. Autrement, vous savez, c'est la bi-
lieuse ! — Surtout, conseille un autre, ne portez
jamais de flanelle, au moins jamais à même la
peau : ça occasionne des démangeaisons, de la
bourbouille, des crocos; il ne faut porter que du
coton : croyez-en ma vieille expérience !— L'im-
portant, voyez-vous, mon jeune camarade, dit
un troisième, c'est de bien manger et de bien
boire : emportez des provisions et du bon vin;
autrement, gare la fièvre ! —Vous pouvez, insi-
nue un quatrième, vous porter très bien aux
colonies, à condition d'être très sobre, de ne pas
manger de conserves, et de ne jamais boire de vin ;
autrement, gare à la fièvre ! — Moi qui vous
parle, enseigne obligeamment un cinquième
vieux colonial, je me suis toujours très bien porté :
mais aussi je n'ai jamais bu que de l'eau bouillie
et filtrée et je prends régulièrement de la quinine
préventive; faites comme moi, et vous éviterez le
paludisme et tout ce qui en dérive. — Entre nous,
professe doucement un sceptique, l'eau bouiliie et
filtrée, c'est de la blague : d'abord elle n'est
jamais bouillie, parce que c'est trop long ; ensuite
le filtre sent trop mauvais, on ne s'en sert pas, et
c'est heureux, car un filtre est un réservoir à
microbes; buvez del'eau demarigot, jeune homme,
et vous vous en trouverez bien. Ne prenez pas de
quinine ou n'en prenez que rarement : ça détra-
que l'estomac. C'est moi qui vous le dis. »
Au bout de huit jours de cette documentation
sur le vif, Broussard e't fortement ahuri mais peu
fixé. Alors il prend un parti qui lui semble être
le comble de la sagesse : il achète des gilets de
flanelle pour faire plaisir au premier conseilleur,
des chemises de coton pour obéir au second, des
conserves et du vin pour se conformer aux avis
du troisième, un filtre et de la quinine pour ne
pas désobliger le cinquième, et rien du tout pour
suivre les recommandations du quatrième et du
sixième, qui ont certainement sur les autres un
avantage, celui de ne pas pousser à la dépense.
Mais il achète bien d'autres choses ! des choses
qu'aucun vieux colonial ne lui a conseillées, mais
qui, habilement présentées par un catalogue-album
ou par le vendeur d'un magasin d'équipements,
apparaissent si pratiques, si merveilleusement
appropriées aux besoins multiples et spéciaux de
l'e,vploi-ateiii- ! Par exemple, des gilets fendus
dans le dos pour permettre à l'air de circuler
librement; des couteaux renfermant tant de lames
retraite ni aux avantages spéciaux de telle ou telle
carrière; il ignore si les indemnités de cherté de
vivres subsistent au Soudan, si elles ont été sup-
primées au Congo, et, à vrai dire, il ne sait pas ce
que c'est et s'en préoccupe médiocrement. Ce
qui remplit actuellement son esprit, c'est qu'il
est devenu un colonial et qu'il va partir pour
l'Afrique, non pas pour l'Algérie, — cette Afrique
trop proche qui n'est qu'une Provence prolongée,
une chaîne des Maures avec de vrais Maures, —
mais pour la véritable Afrique, celle d'au delà du
désert, celle des Nègres, celle de Caillié, de
Mungo-Park, de Bartlt, de Nachtigal, de Stanley,
de Brazza, de Monter, de Binger; il va réaliser
les rêves ébauchés durant son enfance, alors qu'il
aimait jouer au Robinson Suisse derrière les
buissons de. houx du jardin paternel, qui lui
représentaient la forêt dense ; caressés pendant
son adolescence, alors qu'il dévorait avec passion
les œuvres variées de Mavne-Reid, de Jules Verne
et de Boussenard; entrevus enfin avec plus de
précision lorsque, récemment encore, étudiant
passionné pour les luttes coloniales et la course
aux zones d'influence, il allait applaudir frénéti-
quement les explorateurs aux conférences solen-
nelles de la Sorbonne ou du boulevard Saint-
Germain et ressentait une inexplicable émotion à
voir défiler, sous la vive lumière du projecteur,
des paysages de brousse soudanaise ou de forêt
équatoriale, des pirogues fendant l'écume des
rapides, des danses bizarres de féticheurs, des
cavalcades de sofas. La perspective — que dis-je?
la certitude —de pouvoir bientôt vivre cette vie
aventureuse, qui le fascine depuis si longtemps,
enchante notre Broussard, le ravit... et lui
suffit.
Cependant il lui faut faire ses préparatifs de
départ et se documenter sur la vie que l'on mène
là-bas. Il sent avec intensité — avec trop d'inten-
sité— qu'on ne s'embarque pas pour le Dahomey
ou le Congo comme pour Suresnes; et, comme
les renseignements puisés dans ses lectures sont
après tout insuffisants et trop vagues, il a recours
aux conseils de ses ainés, de ceux qui sont allés
déjà là-bas et qui prennent à ses yeux, de par le
seul fait qu'ils y sont allés et que lui va y aller
aussi, une importance jusqu'alors insoupçonnée.
Il éprouve bientôt que ses aînés sont d'un abord
facile et ne se montrent pas chiches de conseils —
loin de là ! —mais que leurs avis sont tellement
contradictoires qu'il est aussi difficile de les tota-
liser que d'additionner des lanternes avec des
bœufs. Il s'aperçoit aussi combien ces vieux colo-
niaux semblent spécialiser leurs idées vers de
petits — de fort petits côtés — de la question
coloniale. Pour les uns, les préparatifs de départ
résident essentiellement dans le choix d'un mo-
dèle de cantine, pour les autres dans celui d'une
marque de conserves, pour certains dans l'adop-
tion d'un calibre de fusil. « Vous partez pour
l'Afrique, mon jeune ami ?—dit à Broussard un
vieux colonial, - faites provision de flanelle : si
vous ne voulez pas attraper la fièvre, il faut tou-
jours porter de la flanelle, à même la peau, sur-
tout quand il fait très chaud, et aussi quand il
fait froid, et puis le reste du temps également
d'ailleurs. Autrement, vous savez, c'est la bi-
lieuse ! — Surtout, conseille un autre, ne portez
jamais de flanelle, au moins jamais à même la
peau : ça occasionne des démangeaisons, de la
bourbouille, des crocos; il ne faut porter que du
coton : croyez-en ma vieille expérience !— L'im-
portant, voyez-vous, mon jeune camarade, dit
un troisième, c'est de bien manger et de bien
boire : emportez des provisions et du bon vin;
autrement, gare la fièvre ! —Vous pouvez, insi-
nue un quatrième, vous porter très bien aux
colonies, à condition d'être très sobre, de ne pas
manger de conserves, et de ne jamais boire de vin ;
autrement, gare à la fièvre ! — Moi qui vous
parle, enseigne obligeamment un cinquième
vieux colonial, je me suis toujours très bien porté :
mais aussi je n'ai jamais bu que de l'eau bouillie
et filtrée et je prends régulièrement de la quinine
préventive; faites comme moi, et vous éviterez le
paludisme et tout ce qui en dérive. — Entre nous,
professe doucement un sceptique, l'eau bouiliie et
filtrée, c'est de la blague : d'abord elle n'est
jamais bouillie, parce que c'est trop long ; ensuite
le filtre sent trop mauvais, on ne s'en sert pas, et
c'est heureux, car un filtre est un réservoir à
microbes; buvez del'eau demarigot, jeune homme,
et vous vous en trouverez bien. Ne prenez pas de
quinine ou n'en prenez que rarement : ça détra-
que l'estomac. C'est moi qui vous le dis. »
Au bout de huit jours de cette documentation
sur le vif, Broussard e't fortement ahuri mais peu
fixé. Alors il prend un parti qui lui semble être
le comble de la sagesse : il achète des gilets de
flanelle pour faire plaisir au premier conseilleur,
des chemises de coton pour obéir au second, des
conserves et du vin pour se conformer aux avis
du troisième, un filtre et de la quinine pour ne
pas désobliger le cinquième, et rien du tout pour
suivre les recommandations du quatrième et du
sixième, qui ont certainement sur les autres un
avantage, celui de ne pas pousser à la dépense.
Mais il achète bien d'autres choses ! des choses
qu'aucun vieux colonial ne lui a conseillées, mais
qui, habilement présentées par un catalogue-album
ou par le vendeur d'un magasin d'équipements,
apparaissent si pratiques, si merveilleusement
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