Titre : Bulletin économique de l'Afrique équatoriale française : l'Afrique équatoriale française en... : production, commerce, trafic maritime / Gouvernement général de l'Afrique équatoriale française
Auteur : Afrique équatoriale française. Auteur du texte
Éditeur : Agence économique de l'Afrique équatoriale française (Paris)
Date d'édition : 1934-10-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32728641f
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 octobre 1934 01 octobre 1934
Description : 1934/10/01 (A10,N37)-1934/12/31. 1934/10/01 (A10,N37)-1934/12/31.
Description : Collection numérique : La Grande Collecte Collection numérique : La Grande Collecte
Description : Collection numérique : L'Afrique et la France aux... Collection numérique : L'Afrique et la France aux XIXe et XXe siècles
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k9734616h
Source : CIRAD, 2016-124071
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/07/2016
A. E. F. 1 9 3 4 5
Guiseppe avant le départ, avait procédé à la dis-
tribution de l'eau qui restait. Chacun eut pour sa
part, de six à huit onces du précieux liquide. Ce fut
Kolokomi qui but le dernier. Il rabattit sur son
menton le voile qui lui enveloppait le nez et la bouche,
et après s'être rincé la muqueuse, il recracha d'un
jet la gorgée par les interstices de ses dents comme
si ç'eut été tout simplement un peu de jus de tabac
verdâtre que chiquent éternellement les Toubous ;
après quoi, il me tendit le verre avec le reste de son
contenu en me disant « qu'il n'avait pas encore soif,
mais qu'il comprenait parfaitement que nous autres,
gens de l'eau, ce petit commencement de privation
pouvait être dur. » C'est une idée répandue dans ces
pays, que les Chrétiens, qui habitent en tas pressés
des îles bourbeuses au milieu de la mer, mènent une
vie à moitié amphibie. J'admirai, je l'avoue, l'éner-
gie résistante de cet homme aussi sec que la région
qui l'avait vu naître, aussi âpre et aussi dur que
les rochers de son Tibesti. Bou Zeid, Birsa et mon
vieux Gatrounois avaient aussi, en eux, quelque
chose de cette nature du désert et l'on s'expliquait
fort bien l'espèce de pitié méprisante que des êtres
de ma catégorie devaient inspirer à des gens de
cette sorte.
Grâce à la vélocité de leurs chameaux toubous,
nous eûmes bientôt perdu de vue Kolokomi et Bou
Zeid. Tout d'abord, les rochers dont nous étions
entourés nous cachaient l'horizon ; ce ne fut qu'une
heure après le lever du soleil que s'ouvrit subitement
à nos regards un large lit fluvial dont l'aspect nous
rendit le courage. C'était au point initial de cette
dépression que devait se trouver la fontaine tant
souhaitée. Des traces de pieds de chameaux, d'ânes,
d'antilopes, d'autruches, sur le sable fin de la vallée,
semblaient indiquer la proximité de l'eau. Ramas-
sant toutes nos forces et aiguillonnant nos montures,
nous nous mîmes à suivre les sinuosités du torrent
à sec. Peu à peu le soleil s'éleva au-dessus de l'horizon
et grâce aux effets de réverbération entre le sable
luisant et les blocs de roche sombres, nous nageâmes
bientôt dans une mer de feu. Notre reprise d'élan
n'y put tenir. La lueur d'espérance qui avait miroite
à nos yeux menaçait de s'éteindre presque aussitôt.
Une soif effroyable s'empara de nous ; nos mu-
queuses achevèrent de se dessécher et nous sentions
autour de nos tempes un cercle de fer qui allait de
plus en plus en se resserrant.
Pas un souffle rafraîchissant dans ce val étroite-
ment encaissé. Pour surcroît, nos chameaux, qui
n'avaient pas l'air de compter sur l'éventualité de
salut qui nous attendait au bout de la vallée, com-
mençaient à décocher des œillades inquiétantes aux
quelques acacias sajal qui se montraient sur la
berge aride et dont l'ombrage si maigre qu'il fut,
les invitait à se reposer. Deux fois déjà, en dépit
des coups que je lui donnais, ma monture harassée
s'était étalée sous une de ces frondaisons alléchantes :
à force d'excitation, j'étais parvenu à lui faire
reprendre sa marche chancelante ; mais, vers le
milieu de la matinée, ayant donné une troisième
fois dans le branchage épineux d'un de ces arbres,
elle s'étendit avec un si ferme propos d'entêtement
que toute protestation devenait inutile. N'en pouvant
plus moi-même, je ne laissai pas de ressentir uu
secret contentement de la résolution que montrait
l'animal, et oubliant la fâcheuse perspective dont
j'étais menacé, je ne songeai qu'à jouir des douceurs
de l'instant présent.
Les chameaux de mes compagnons, au fur et à
mesure qu'ils me rejoignirent, ne manquèrent pas
de suivre l'exemple de leur chef de file et de s'étaler
avec leur fardeau humain, de sorte que toute la cara-
vane se trouva bientôt couchée côte à côte et bien décidée
a se reposer jusqu'au soir, quitte à user, ensuite, de ses
dernières forces pour atteindre la fontaine en ques-
tion, à moins que, dans l'intervalle, Kolomi et Bou
Zeid n'eussent pris soin de nous envoyer de l'eau.
C'était à cette dernière éventualité que je me rac-
crochais de tout mon cœur et j'essayai de faire par-
tager le même espoir à toutes les personnes présentes.
Mais ce genre de réconfort échoua auprès d'Ali et
de Sa'ad. Le premier ne tarda pas à tomber dans
une sorte de prostration inquiétante ; l'autre, les
traits décomposés, ne parlait plus que de sa mort
prochaine. Il me pria, au cas où j'en réchapperais,
de ne pas oublier sa femme et ses enfants ; après
quoi, il s'emporta en reproches contre moi, qui, contre
l'avis des gens raisonnables, m'étais obstiné à péné-
trer dans cet horrible pays ; et, finalement, il se
mit à se préparer, en priant tout haut et avec ferveur,
à faire son entrée dans le paradis. Mohammed, lui,
avec son calme fataliste, s'efforçait de démontrer
à Sa'ad comme quoi il ne nous arrivait rien qui
n'eut été décidé à l'avance par le Tout-Puissant, et
que, s'il y avait un décret préalable dudit Tout-
Puissant, rien ne pouvait m'empêcher, moi aussi,
de trépasser avec eux. Quant à Giuseppe après avoir
ruminé en silence, il se leva brusquement, mit son
revolver à la ceinture, et me déclara d une voix
Guiseppe avant le départ, avait procédé à la dis-
tribution de l'eau qui restait. Chacun eut pour sa
part, de six à huit onces du précieux liquide. Ce fut
Kolokomi qui but le dernier. Il rabattit sur son
menton le voile qui lui enveloppait le nez et la bouche,
et après s'être rincé la muqueuse, il recracha d'un
jet la gorgée par les interstices de ses dents comme
si ç'eut été tout simplement un peu de jus de tabac
verdâtre que chiquent éternellement les Toubous ;
après quoi, il me tendit le verre avec le reste de son
contenu en me disant « qu'il n'avait pas encore soif,
mais qu'il comprenait parfaitement que nous autres,
gens de l'eau, ce petit commencement de privation
pouvait être dur. » C'est une idée répandue dans ces
pays, que les Chrétiens, qui habitent en tas pressés
des îles bourbeuses au milieu de la mer, mènent une
vie à moitié amphibie. J'admirai, je l'avoue, l'éner-
gie résistante de cet homme aussi sec que la région
qui l'avait vu naître, aussi âpre et aussi dur que
les rochers de son Tibesti. Bou Zeid, Birsa et mon
vieux Gatrounois avaient aussi, en eux, quelque
chose de cette nature du désert et l'on s'expliquait
fort bien l'espèce de pitié méprisante que des êtres
de ma catégorie devaient inspirer à des gens de
cette sorte.
Grâce à la vélocité de leurs chameaux toubous,
nous eûmes bientôt perdu de vue Kolokomi et Bou
Zeid. Tout d'abord, les rochers dont nous étions
entourés nous cachaient l'horizon ; ce ne fut qu'une
heure après le lever du soleil que s'ouvrit subitement
à nos regards un large lit fluvial dont l'aspect nous
rendit le courage. C'était au point initial de cette
dépression que devait se trouver la fontaine tant
souhaitée. Des traces de pieds de chameaux, d'ânes,
d'antilopes, d'autruches, sur le sable fin de la vallée,
semblaient indiquer la proximité de l'eau. Ramas-
sant toutes nos forces et aiguillonnant nos montures,
nous nous mîmes à suivre les sinuosités du torrent
à sec. Peu à peu le soleil s'éleva au-dessus de l'horizon
et grâce aux effets de réverbération entre le sable
luisant et les blocs de roche sombres, nous nageâmes
bientôt dans une mer de feu. Notre reprise d'élan
n'y put tenir. La lueur d'espérance qui avait miroite
à nos yeux menaçait de s'éteindre presque aussitôt.
Une soif effroyable s'empara de nous ; nos mu-
queuses achevèrent de se dessécher et nous sentions
autour de nos tempes un cercle de fer qui allait de
plus en plus en se resserrant.
Pas un souffle rafraîchissant dans ce val étroite-
ment encaissé. Pour surcroît, nos chameaux, qui
n'avaient pas l'air de compter sur l'éventualité de
salut qui nous attendait au bout de la vallée, com-
mençaient à décocher des œillades inquiétantes aux
quelques acacias sajal qui se montraient sur la
berge aride et dont l'ombrage si maigre qu'il fut,
les invitait à se reposer. Deux fois déjà, en dépit
des coups que je lui donnais, ma monture harassée
s'était étalée sous une de ces frondaisons alléchantes :
à force d'excitation, j'étais parvenu à lui faire
reprendre sa marche chancelante ; mais, vers le
milieu de la matinée, ayant donné une troisième
fois dans le branchage épineux d'un de ces arbres,
elle s'étendit avec un si ferme propos d'entêtement
que toute protestation devenait inutile. N'en pouvant
plus moi-même, je ne laissai pas de ressentir uu
secret contentement de la résolution que montrait
l'animal, et oubliant la fâcheuse perspective dont
j'étais menacé, je ne songeai qu'à jouir des douceurs
de l'instant présent.
Les chameaux de mes compagnons, au fur et à
mesure qu'ils me rejoignirent, ne manquèrent pas
de suivre l'exemple de leur chef de file et de s'étaler
avec leur fardeau humain, de sorte que toute la cara-
vane se trouva bientôt couchée côte à côte et bien décidée
a se reposer jusqu'au soir, quitte à user, ensuite, de ses
dernières forces pour atteindre la fontaine en ques-
tion, à moins que, dans l'intervalle, Kolomi et Bou
Zeid n'eussent pris soin de nous envoyer de l'eau.
C'était à cette dernière éventualité que je me rac-
crochais de tout mon cœur et j'essayai de faire par-
tager le même espoir à toutes les personnes présentes.
Mais ce genre de réconfort échoua auprès d'Ali et
de Sa'ad. Le premier ne tarda pas à tomber dans
une sorte de prostration inquiétante ; l'autre, les
traits décomposés, ne parlait plus que de sa mort
prochaine. Il me pria, au cas où j'en réchapperais,
de ne pas oublier sa femme et ses enfants ; après
quoi, il s'emporta en reproches contre moi, qui, contre
l'avis des gens raisonnables, m'étais obstiné à péné-
trer dans cet horrible pays ; et, finalement, il se
mit à se préparer, en priant tout haut et avec ferveur,
à faire son entrée dans le paradis. Mohammed, lui,
avec son calme fataliste, s'efforçait de démontrer
à Sa'ad comme quoi il ne nous arrivait rien qui
n'eut été décidé à l'avance par le Tout-Puissant, et
que, s'il y avait un décret préalable dudit Tout-
Puissant, rien ne pouvait m'empêcher, moi aussi,
de trépasser avec eux. Quant à Giuseppe après avoir
ruminé en silence, il se leva brusquement, mit son
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