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La forêt de Manjakandriana
(Suite)
VI.—Apect général de la forêt. — Végétation.—Croissance.—La forêt
de Manjakandriana laisse celui a qui en a exploré les profondeurs une impression
vive et durable que ne pourra partager le voyageur en ayant simplement par-
couru la lisière.
C'est en son centre, sur les flancs des ravins profonds, sur les bords de
quelques marais encaissés, qu'elle cache les formes végétales les plus curieuses
et affecte un caractère sauvage que les exploitations des indigènes lui ont fait
perdre dans les parties facilement accessibles.
Vue à distance et d'un point culminant, elle prend l'aspect d'une masse
compacte, sans trouée aucune et d'un vert sombre, brillant, réfléchissant de
grandes quantités de lumière. Les accidents du sol dont la forêt épouse le relief
rompent seuls la monotonie de cette large masse de verdure, qui reste néan-
moins sans originalité, sans fantaisie, sans coquetterie. L'œil voudrait y trouver
et y cherche vainement quelque palmier profilant sur le ciel son gracieux pana-
che, quelque filao poussant hors de l'épais massif sa cime flexueuse, quelque
cica ou quelque pandanus ou quelqu'autre végétal aux formes peu communes
sortant le paysage de sa banalité et lui imprimant le cachet souhaité à une forêt
en pleine zone tropicale.
La première impression ressentie n'a donc rien d'enchanteur; c'est bien plu-
tôt une déception, mais qui ne tiendra pas et ira se dissipant, à mesure que le
voyageur fera connaissance plus intime de la forêt.
A faible distance, certaines cimes apparaissent, marquant leurs places par
des teintes sombres et pourprées, comme si un glacis de carmin les avait fait
passer dans l'ombre : cet effet est particulier au feuillage du rotra, du sari-
malama, du sarimavoravina, du harongana. Les autres essences ont, à de très
rares exceptions près, une frondaison brillante et sombre, variant du vert très
vigoureux du ficus-caoutchouc au vert foncé du buis des jardins. La gamme si
étendue des verts est donc loin de se trouver complètement représentée dans
l'étage supérieur du boisement, les nuances tendres et les tonalités mattes, cel-
les que l'esprit associe à une idée de faiblesse, y font défaut, c'est, par consé-
quent, et par contre une idée de force et de vigueur que donnera la masse folia-
cée du peuplement, idée provenant d'une éducation spéciale de l'esprit, mais que
rien ne justifie en ce qui concerne les végétaux, idée fausse portant à conclure
à une puissance de végétation qui n'est pas.
Sur les pentes abruptes parcourues par les exploitations malgaches, telles
qu'on les rencontre dans la pittoresque vallée de la Mandraka, le massif a perdu
quelque peu de sa cohésion ; l'étage supérieur laisse par endroits entrevoir un
épais sous-bois auquel il semble lié par de nombreuses vénules se détachant eu
blanc éclatant sur un fond toujours sombre ; ce sont les troncs et les branches
des arbres de futaie épargnés par la hache ; des lichens les tapissent, s'accolant à
l'écorce, qui prend le reflet argenté de celle du bouleau mais, souvent, chez ces
lichens, curieux thallophytes, les caractères de Talgue l'emportent sur ceux dii
champignon ; ils pavoisent alors la ramure d'élégantes oriflammes de dentelles
glauques, longues parfois de plus d'un mètre, et gracieusement ondulées sous
l'action du vent ; d'autre fois, agrafl'és par les ronces du sous-étage, ils simulent
d'inébranlables stalactites sorties de l'épaisse voûte de verdure.
Non moins étonnant est l'effet produit par les lianes, mais il importe, pour
goûter toute la fantaisie de leurs ébats à travers branches et cimes, d'atteindre
les parties non seulement vierges d'exploitation, mais même de sentiers.
C'est que, pour ouvrir la moindre piste, il a fallu abattre bon nombre d'ar-
bres qui, dans leur chute, ont brisé et détruit les gracieuses guirlandes ornant les
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La forêt de Manjakandriana
(Suite)
VI.—Apect général de la forêt. — Végétation.—Croissance.—La forêt
de Manjakandriana laisse celui a qui en a exploré les profondeurs une impression
vive et durable que ne pourra partager le voyageur en ayant simplement par-
couru la lisière.
C'est en son centre, sur les flancs des ravins profonds, sur les bords de
quelques marais encaissés, qu'elle cache les formes végétales les plus curieuses
et affecte un caractère sauvage que les exploitations des indigènes lui ont fait
perdre dans les parties facilement accessibles.
Vue à distance et d'un point culminant, elle prend l'aspect d'une masse
compacte, sans trouée aucune et d'un vert sombre, brillant, réfléchissant de
grandes quantités de lumière. Les accidents du sol dont la forêt épouse le relief
rompent seuls la monotonie de cette large masse de verdure, qui reste néan-
moins sans originalité, sans fantaisie, sans coquetterie. L'œil voudrait y trouver
et y cherche vainement quelque palmier profilant sur le ciel son gracieux pana-
che, quelque filao poussant hors de l'épais massif sa cime flexueuse, quelque
cica ou quelque pandanus ou quelqu'autre végétal aux formes peu communes
sortant le paysage de sa banalité et lui imprimant le cachet souhaité à une forêt
en pleine zone tropicale.
La première impression ressentie n'a donc rien d'enchanteur; c'est bien plu-
tôt une déception, mais qui ne tiendra pas et ira se dissipant, à mesure que le
voyageur fera connaissance plus intime de la forêt.
A faible distance, certaines cimes apparaissent, marquant leurs places par
des teintes sombres et pourprées, comme si un glacis de carmin les avait fait
passer dans l'ombre : cet effet est particulier au feuillage du rotra, du sari-
malama, du sarimavoravina, du harongana. Les autres essences ont, à de très
rares exceptions près, une frondaison brillante et sombre, variant du vert très
vigoureux du ficus-caoutchouc au vert foncé du buis des jardins. La gamme si
étendue des verts est donc loin de se trouver complètement représentée dans
l'étage supérieur du boisement, les nuances tendres et les tonalités mattes, cel-
les que l'esprit associe à une idée de faiblesse, y font défaut, c'est, par consé-
quent, et par contre une idée de force et de vigueur que donnera la masse folia-
cée du peuplement, idée provenant d'une éducation spéciale de l'esprit, mais que
rien ne justifie en ce qui concerne les végétaux, idée fausse portant à conclure
à une puissance de végétation qui n'est pas.
Sur les pentes abruptes parcourues par les exploitations malgaches, telles
qu'on les rencontre dans la pittoresque vallée de la Mandraka, le massif a perdu
quelque peu de sa cohésion ; l'étage supérieur laisse par endroits entrevoir un
épais sous-bois auquel il semble lié par de nombreuses vénules se détachant eu
blanc éclatant sur un fond toujours sombre ; ce sont les troncs et les branches
des arbres de futaie épargnés par la hache ; des lichens les tapissent, s'accolant à
l'écorce, qui prend le reflet argenté de celle du bouleau mais, souvent, chez ces
lichens, curieux thallophytes, les caractères de Talgue l'emportent sur ceux dii
champignon ; ils pavoisent alors la ramure d'élégantes oriflammes de dentelles
glauques, longues parfois de plus d'un mètre, et gracieusement ondulées sous
l'action du vent ; d'autre fois, agrafl'és par les ronces du sous-étage, ils simulent
d'inébranlables stalactites sorties de l'épaisse voûte de verdure.
Non moins étonnant est l'effet produit par les lianes, mais il importe, pour
goûter toute la fantaisie de leurs ébats à travers branches et cimes, d'atteindre
les parties non seulement vierges d'exploitation, mais même de sentiers.
C'est que, pour ouvrir la moindre piste, il a fallu abattre bon nombre d'ar-
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