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— 13 -
J'ai dit que le village était essentiellement une organisation paysanne.
Une élite, parfois formée uniquement de cultivateurs, parfois comprenant
quelques retraités et quelques intellectuels, le dirige. Mais ses préoccupa-
tions demeurent paysannes; ses problèmes, d'ordre rural. Quand le retraité
y retourne, il redevient paysan, il n'agit le plus souvent qu'à ce titre.
En fait, le village annamite offre l'aspect d'une petite république où
l'action de la masse contrôle et tempère le pouvoir dirigeant. Le notable
qui rompt avec la tradition, quant aux corvées communales ou à la réparti-
tion de l'impôt ou quant aux pouvoirs disciplinaires qui lui sont reconnus,
se voit immédiatement mis au ban de l'opinion, critiqué et attaqué.
Une telle vie, monotone parce qu'agricole, restreinte par l'organisation
cellulaire communale, a façonné le caractère du paysan annamite. Ce
caractère porte en outre l'empreinte d'un climat à la fois généreux et violent
qui amène libéralement l'eau dans les rizières, mais parfois, par les crues
et les typhons, détruit en quelques heures les résultats du labeur agricole.
Les Annamites sont imprévoyants ou du moins leur prévoyance, saison-
nière, ne s étend qu'à une courte durée. Trop nombreux pour espérer
s enrichir, ce qu'ils espèrent, c'est vivre l'année qui vient et élever leur
famille. Jouissent-ils d'une aisance passagère ? Ils dépensent. Rares sont
ceux qui entreprennent l'œuvre difficile d'arrondir largement leur propriété
dans cette terre morcelée par le nombre. L'acquisition d'une rizière de-
meure bien le but poursuivi par tout Annamite, qu'il reste au village ou
qu'il le quitte ; mais ce but le plus souvent se limite au lopin familial qui
fera de lui sinon un notable, du moins une notabilité villageoise respectée
et pouvant espérer obtenir à la pagode un droit de préséance.
Il en résulte que l'Annamite montre de l'inertie devant toute innovation
qui vient troubler ses habitudes. Peu crédule, son manque de prévoyance
et d esprit d'économie le porte à négliger tout effort nouveau. Mais il a
esprit fin, son incrédulité va rarement jusqu'à l'obstination ; si on lui
prouve qu'une innovation peut entraîner quelque profit, naturellement un
profit immédiat, il se laisse convaincre. Si les prix d'un produit montent
sur le marché indochinois, vite au courant, il développe la culture rému-
nératrice. On trouve des exemples de ce fait surtout en Annam où la nature
ne permettant pas de tout transformer en rizières, oblige le paysan à
s adonner à des cultures variées.
, Un autre caractère découle de l'organisation du village : l'attachement
de l'Annamite à sa commune natale. Il ne la quitte qu'absolument con-
traint, et même à l'heure actuelle, malgré tous les efforts, malgré les voies
de communication ouvertes et le large accroissement de l'activité générale
qui en résulte, le paysan reste attaché à sa vie médiocre, par instinct autant
que par nécessité. Il devient plus facilement un ouvrier saisonnier allant
J'ai dit que le village était essentiellement une organisation paysanne.
Une élite, parfois formée uniquement de cultivateurs, parfois comprenant
quelques retraités et quelques intellectuels, le dirige. Mais ses préoccupa-
tions demeurent paysannes; ses problèmes, d'ordre rural. Quand le retraité
y retourne, il redevient paysan, il n'agit le plus souvent qu'à ce titre.
En fait, le village annamite offre l'aspect d'une petite république où
l'action de la masse contrôle et tempère le pouvoir dirigeant. Le notable
qui rompt avec la tradition, quant aux corvées communales ou à la réparti-
tion de l'impôt ou quant aux pouvoirs disciplinaires qui lui sont reconnus,
se voit immédiatement mis au ban de l'opinion, critiqué et attaqué.
Une telle vie, monotone parce qu'agricole, restreinte par l'organisation
cellulaire communale, a façonné le caractère du paysan annamite. Ce
caractère porte en outre l'empreinte d'un climat à la fois généreux et violent
qui amène libéralement l'eau dans les rizières, mais parfois, par les crues
et les typhons, détruit en quelques heures les résultats du labeur agricole.
Les Annamites sont imprévoyants ou du moins leur prévoyance, saison-
nière, ne s étend qu'à une courte durée. Trop nombreux pour espérer
s enrichir, ce qu'ils espèrent, c'est vivre l'année qui vient et élever leur
famille. Jouissent-ils d'une aisance passagère ? Ils dépensent. Rares sont
ceux qui entreprennent l'œuvre difficile d'arrondir largement leur propriété
dans cette terre morcelée par le nombre. L'acquisition d'une rizière de-
meure bien le but poursuivi par tout Annamite, qu'il reste au village ou
qu'il le quitte ; mais ce but le plus souvent se limite au lopin familial qui
fera de lui sinon un notable, du moins une notabilité villageoise respectée
et pouvant espérer obtenir à la pagode un droit de préséance.
Il en résulte que l'Annamite montre de l'inertie devant toute innovation
qui vient troubler ses habitudes. Peu crédule, son manque de prévoyance
et d esprit d'économie le porte à négliger tout effort nouveau. Mais il a
esprit fin, son incrédulité va rarement jusqu'à l'obstination ; si on lui
prouve qu'une innovation peut entraîner quelque profit, naturellement un
profit immédiat, il se laisse convaincre. Si les prix d'un produit montent
sur le marché indochinois, vite au courant, il développe la culture rému-
nératrice. On trouve des exemples de ce fait surtout en Annam où la nature
ne permettant pas de tout transformer en rizières, oblige le paysan à
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traint, et même à l'heure actuelle, malgré tous les efforts, malgré les voies
de communication ouvertes et le large accroissement de l'activité générale
qui en résulte, le paysan reste attaché à sa vie médiocre, par instinct autant
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