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L'ÉCOLE PROFESSIONNELLE DE TANANARIVE EN 1903
Lorsqu'au mois de juin 1862 le commandant Dupré reçut l'ordre de repré-
senter le gouvernement français au couronnement de Radama II, il comptait,
parmi les personnes qui l'accompagnèrent, M. le docteur Vinçon, qui publia au
retour un récit enthousiaste du voyage. o.
Après avoir décrit successivement les merveilles que sa brillante imagination
lui fit entrevoir tout le long de la route, « les oiseaux aux mille couleurs », « les
caféiers vigoureux », « les orangers magnifiques », les plus beaux qu'il ait jamais
vus», « les papillons invraisemblables », les mystérieuses verdures de a forêt, avec
leurs arbres gigantesques, piqués « d'orchidées délicates et blanches comme des
dentelles découpées », la suite du voyage le fait arriver à Ankeramadinika, d'où
tout à coup la vue s'ouvre pour lui sur des « montagnes nouvelles, sur un vaste
pays aride, nu et mamelonné, sur l'Ankove (Imerina), en un mot, dans toute sa
désolation ».
On sent à ce moment chez l'auteur, malgré le parti pris d'admiration qu'a
fait naître chez lui la surprise de pénétrer l'un des premiers à l'intérieur de cette
île de Madagascar, encore si peu connue, une désillusion ; aussi, lorsque l'une
des étapes suivantes de l'itinéraire qu'on fait suivre à la mission le conduit de-
vant Mantasoa, est-il heureux de pouvoir admirer à nouveau tout à son aise.
« La ville, dit-il, couchée tout au long sur les gradins d'une colline » avec
ses maisons de terre rouge si gaies, si bien faites et si uniformément étagées,
avec « toutes ses villas et ses longs bâtiments hérissés de longues aiguilles de
paratonnerres » réjouit d'avance celui qui l'aperçoit. « On n'a rien encore vu
de si coquet, de si gai, de si élégant, etc. etc. »!
Le docteur Vinçon continue ainsi sur ce ton dithyrambique pendant @ plu-
sieurs paragraphes ; il note « les immenses rizières habilement arrosées »,
«les jardins embellis de pêchers magnifiques », et, après sa visite à la fon-
derie de canons, à la tuilerie, à la verrerie, à la magnanerie, il relate que les
ateliers sont des monuments où s'était fabriqué ce que l'industrie et les arts
mécaniques offrent de plus utile aux peuples ; exaltant alors le génie de M. La-
borde, le fondateur de toutes ces merveilles, qui, dit-il, « les a fait sortir de son
cerveau comme une Minerve armée », il constate, cependant, que tout le mirage
qu'il vient de décrire est trompeur, que « Mantasoa est désert ! » les « fraîches
demeures», les «élégants pavillons» sont sans habitants, les «jolies maisonnettes
sont sans toiture», les « ateliers sont arrêtés». Déjà, à cette date de 1862, la ville
était silencieuse, n'évoquant plus sculement que les travaux et l'énergie du
Français qui l'avait créee.
En résumé, et c'est là où nous voulions en venir, le plus gros effort qui
ait jamais été fait à Madagascar pour y créer le mouvement industriel normal
indispensable au développement de la richesse indigène était demeuré sans len-
demain.
A Mantasoa en effet, tous les efforts faits par Laborde pour assurer aux
ouvriers qu'on lui envoyait un salaire convenable furent inutiles ; le caprice royal
ne lui fournit jamais que des corvées forcées, et, malgré la générosité avec
laquelle il s'imposa en permanence le gros sacrifice de faire distribuer aux indi-
gènes la fortune personnelle que la reine essayait de lui faire, il ne parvint ainsi
qu'à atténuer insuffisamment la misère de ses hommes; ils restèrent impayés,
leurs familles seules pourvoyant à leurs besoins.
Un missionnaire signalait même, récemment, que le souvenir de ces corvées
si pénibles s'est figé en un proverbe, par lequel les travaux difficiles ou dange-
reux sont dits, à l'heure actuelle encore : « mangidy (amers), comme du temps
de Mantasoa » Aussi, lorsqu'à la suite de la conspiration qui faillit mettre sur le
trône celui qui fut Radama II, quelques années avant la mort de sa mère,
M Laborde s'exila le mouvement de Mantasoa s'arrêta de lui-même dans tous
les ateliers et l'effort de la génération qui les avait créés fut à peu près perdu.
L'ÉCOLE PROFESSIONNELLE DE TANANARIVE EN 1903
Lorsqu'au mois de juin 1862 le commandant Dupré reçut l'ordre de repré-
senter le gouvernement français au couronnement de Radama II, il comptait,
parmi les personnes qui l'accompagnèrent, M. le docteur Vinçon, qui publia au
retour un récit enthousiaste du voyage. o.
Après avoir décrit successivement les merveilles que sa brillante imagination
lui fit entrevoir tout le long de la route, « les oiseaux aux mille couleurs », « les
caféiers vigoureux », « les orangers magnifiques », les plus beaux qu'il ait jamais
vus», « les papillons invraisemblables », les mystérieuses verdures de a forêt, avec
leurs arbres gigantesques, piqués « d'orchidées délicates et blanches comme des
dentelles découpées », la suite du voyage le fait arriver à Ankeramadinika, d'où
tout à coup la vue s'ouvre pour lui sur des « montagnes nouvelles, sur un vaste
pays aride, nu et mamelonné, sur l'Ankove (Imerina), en un mot, dans toute sa
désolation ».
On sent à ce moment chez l'auteur, malgré le parti pris d'admiration qu'a
fait naître chez lui la surprise de pénétrer l'un des premiers à l'intérieur de cette
île de Madagascar, encore si peu connue, une désillusion ; aussi, lorsque l'une
des étapes suivantes de l'itinéraire qu'on fait suivre à la mission le conduit de-
vant Mantasoa, est-il heureux de pouvoir admirer à nouveau tout à son aise.
« La ville, dit-il, couchée tout au long sur les gradins d'une colline » avec
ses maisons de terre rouge si gaies, si bien faites et si uniformément étagées,
avec « toutes ses villas et ses longs bâtiments hérissés de longues aiguilles de
paratonnerres » réjouit d'avance celui qui l'aperçoit. « On n'a rien encore vu
de si coquet, de si gai, de si élégant, etc. etc. »!
Le docteur Vinçon continue ainsi sur ce ton dithyrambique pendant @ plu-
sieurs paragraphes ; il note « les immenses rizières habilement arrosées »,
«les jardins embellis de pêchers magnifiques », et, après sa visite à la fon-
derie de canons, à la tuilerie, à la verrerie, à la magnanerie, il relate que les
ateliers sont des monuments où s'était fabriqué ce que l'industrie et les arts
mécaniques offrent de plus utile aux peuples ; exaltant alors le génie de M. La-
borde, le fondateur de toutes ces merveilles, qui, dit-il, « les a fait sortir de son
cerveau comme une Minerve armée », il constate, cependant, que tout le mirage
qu'il vient de décrire est trompeur, que « Mantasoa est désert ! » les « fraîches
demeures», les «élégants pavillons» sont sans habitants, les «jolies maisonnettes
sont sans toiture», les « ateliers sont arrêtés». Déjà, à cette date de 1862, la ville
était silencieuse, n'évoquant plus sculement que les travaux et l'énergie du
Français qui l'avait créee.
En résumé, et c'est là où nous voulions en venir, le plus gros effort qui
ait jamais été fait à Madagascar pour y créer le mouvement industriel normal
indispensable au développement de la richesse indigène était demeuré sans len-
demain.
A Mantasoa en effet, tous les efforts faits par Laborde pour assurer aux
ouvriers qu'on lui envoyait un salaire convenable furent inutiles ; le caprice royal
ne lui fournit jamais que des corvées forcées, et, malgré la générosité avec
laquelle il s'imposa en permanence le gros sacrifice de faire distribuer aux indi-
gènes la fortune personnelle que la reine essayait de lui faire, il ne parvint ainsi
qu'à atténuer insuffisamment la misère de ses hommes; ils restèrent impayés,
leurs familles seules pourvoyant à leurs besoins.
Un missionnaire signalait même, récemment, que le souvenir de ces corvées
si pénibles s'est figé en un proverbe, par lequel les travaux difficiles ou dange-
reux sont dits, à l'heure actuelle encore : « mangidy (amers), comme du temps
de Mantasoa » Aussi, lorsqu'à la suite de la conspiration qui faillit mettre sur le
trône celui qui fut Radama II, quelques années avant la mort de sa mère,
M Laborde s'exila le mouvement de Mantasoa s'arrêta de lui-même dans tous
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