Titre : Les Annales coloniales : revue mensuelle illustrée / directeur-fondateur Marcel Ruedel
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1931-02-01
Contributeur : Ruedel, Marcel. Directeur de publication
Contributeur : Monmarson, Raoul (1895-1976). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326934111
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 février 1931 01 février 1931
Description : 1931/02/01 (A32,N2)-1931/02/28. 1931/02/01 (A32,N2)-1931/02/28.
Description : Collection numérique : Numba, la bibliothèque... Collection numérique : Numba, la bibliothèque numérique du Cirad
Description : Collection numérique : Protectorats et mandat... Collection numérique : Protectorats et mandat français
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique... Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k97427598
Source : CIRAD, 2016-191112
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/09/2016
Page 4
Les Annales Coloniales
« laissez-passer » accordé par Lord Salisbury à
Berlin, il se fit un devoir, dont il se vanta, de le
cacher si bien que personne ne le connut, que
l'idée ne vint à personne d'en tirer parti, et que
les sphères gouvernementales, — les élèves de
Guizot, — qui nous gouvernaient, aient renfermé
le précieux document sous triple serrure jusqu'au
jour où un ministre plus énergique, mis au pied
du mur par l'insolence des Khasnadax et des Ka-
mel, par le déni de justice des tribunaux locaux,
par l'intrigue de certains agents consulaires éle-
vant contre nous un rempart de concussions et de
concessions, par l'anarchie dans laquelle s'effon-
drait le pouvoir du bey aux dernières limites de
la décrépitude, il a fallu, enfin, l'insécurité
démontrée de la frontière algérienne poujr que ce
ministre réclamât le papier si bien caché, prit
connaissance de nos droits et notre devoir, et
Tunis-la-Blanche. — Les terrasses (d'après une aquarelle de Ch. Lallemand).
que sa forte poigne de Vosgien soulevât le far-
deau d'iniquité et d'insolence sous lequel l'hon-
neur de la France menaçait de s'effondrer.
On se décida à agir : mais comment s'y prit-on ?
Jules jerryt homme colonial
Jules Ferry était un homme de vigueur, non
un homme de violence; il savait regarder les dif-
ficultés en face, mais il en mesurait toutes les
faces ; il était brave, or, la bravoure cause le
sang-froid. Il prit l'affaire au sérieux, non au
tragique : avant d'agir, il délibéra.
L'histoire connaîtra un jour les dossiers de ces
sages délibérations où les conseillers étaient les
Courcel, les Roustan, les Noailles, le général
Farre, où furent calculés et pesés les possibili-
tés et les moyens diplomatiques, politiques, éco-
nomiques, militaires, financiers ; elle s'instruira
des longues hésitations décrites, depuis, par
l'homme qui tenait la glume, le baron de Cour-
cel, et elle se rendra compte des motifs qui, évo-
quant les vieilles méthodes de l'ancien Régime,
ont donné une valeur nouvelle à ce terme de pro-
tectorat, emprunté à notre propre histoire (i) et
ont su ménager les transitions qui devaient ren-
dre-facile une entreprise paraissant si difficile à
tous, si imprudente à quelques-uns.
Au ministère des Affaires Etrangères, il y avait
un homme, célèbre par sa traduction d'Aristote,
M. Barthélemy Saint-Hilaire, et qùi avait reçu
de sa connaissance de l'histoire hellénique et
de l'amitié de M. Thiers, la tradition de la
grande politique méditerranéenne. A la prési-
dence du Conseil, il y avait Jules Ferrv : ce nom
dit tout.
Il faut avoir approché Jules Ferry et avoir
vécu dans son intimité pour pouvoir témoi-
gner, en toute vérité historique, sur sa nature,
si mal1 connue de ses contemporains et si insuffi-
samment réhabilitée depuis. Ferry était un pa-
triote ardent, un idéaliste, un homme de labeur,
d'initiative et d'allant; mais, par une longue habi-
tude de tractation avec soi-même, il subordonnait
toujours — ce fils de l'Est — ses dons naturels à
la mesure et à la raison. III a dit lui-même de lui-
même: « Quant à moi, je suis modéré de tempéra-
ment et par tradition; mais je suis résolu. » So-
lide, sérieux, penché sur les dossiers, les ongles
aux lèvres, le regard parfois errant, comme s'il
sondait sa propre conscience, parfois pénétrant
(i) Les évêchés de Metz, Toul et Verdun
avaient déjà été placés, au XVIe siècle, sous « la
protection » de la France.
comme s'il sondait celle des autres, il hésitait
longtemps. On l'a remarqué, les hommes d'éner-
gie sont souvent les plus circonspects ; ils atten.
dent d'avoir pris parti pour laisser le champ li-
bre à leur ardeur et le temps à leur ténacité.
Infiniment humain, tendre même à ses heures, il
a prononcé, sur ses sentiments intimes, ce mot
charmant : « Mes roses poussent en dedans ».
Tout à la lutte qu'il soutenait alors contre ses
adversaires de droite et ses adversaires de gau-
che, il était conscient de l'arme que l'affaire tu-
nisienne allait fournir à cette forme de la polé-
mique qu'on appelle l'opinion, lui reprochant,
selon la façon dont il la traiterait, sa lâcheté
s'il n'agissait pas et sa témérité s'il agissait.
De toutes façons, ce qu'on appelle donc, dans
les couloirs de la Chambre, l'oPinion, allait
s'ameuter contre lui. Il n'en eut cure: parlemen-
taire ne visant que le Parlement, dédaigneux des
couloirs, des coulisses et des coulissiers. Les hom-
mes d'argent, les journaux subventionnés, — et
par qui ? — les instruments de l'étranger allaient
grouper contre lui leurs forces, il le savait. Mais
la France et la République ne pouvaient plus
se laisser bafouer, fût-ce par Rochefort : il fal-
lait en finir.
Salicnce cxlrêmc Je la fronce
La situation de la Régence ne permettait plus,
d'ailleurs, aucun délai ; la scandaleuse conduite
des favoris qui se succédaient auprès du vieux
bey Mohammed Saddock l'avait mise à plat ;
ni ordre ni argent ; ni responsabilité, ni sécurité;
pour seules ressources, l'emprunt usuraire et le
pillage ; l'anarchie autorisait toutes les violen-
ces particulières. Sur les frontières algériennes
mal délimitées, les incursions de pirates, l'inso-
lence des fameux Kroumirs nous bravaient sur
notre territoire. Une telle situation, s'aggravant
de jour en jour, laissait la porte ouverte à toutes
les ambitions, à toutes les compétitions. On se
réveillerait avec une très grosse affaire sur les
bras. Des trafiquants suspects dépeçaient la Ré-
gence peu à peu : concessions territoriales, che-
mins de fer, ports, tout était à vendre et déjà
la souveraineté elle-même était au plus offrant
et dernier enchérisseur. Il v avait des années
que le consul de France, M. Botmiliau, avait
écrit à Paris : « Nous sommes dans la nécessité
d'occuper la Régence dans un avenir peu éloigné.
Je ne crois pas que cette occupation puisse dé-
sormais être évitée. »
M. Roustan, méridional froid, et qui avait été
envoyé à Tunis comme un agent d'Orient très
expérimenté, comme un diplomate prudent et
pondéré, avait appliqué, aussi longtemps que
possible, avec un tact parfait, les instructions
les plus sages : gagner la confiance du Bey, user
de patience et éviter à tout prix toute complica-
tion décisive. M. Barthélémy Saint-Hilaire en-
tendait, selon sa propre formule, « épuiser les
moyens diplomatiques ». Avec un homme du ca-
ractère de M. Roustan, cette position prise par
la France permettait, tout en surveillant de près
les événements, de préparer, en cas de crise,
une solution de conciliation et d'apaisement. Il
y avait, en somme, dans cette période transi-
toire et anxieuse, comme une première esquisse
du « protectorat ».
Cependant, la crise, qu'il était si facile de
prévoir, se produit. Des « affaires », du cenre
de celles qui se multiplient dans les pays aux
abois, vont compromettre à jamais, si on les
laisse aboutir, l'avenir de la Régence et ses rela-
tions avec l'Algérie : une immense emprise terri-
toriale, l'Enfida, est réclamée par un protégé
anglais que soutient le consul notoirement anti-
français. M. Wood; la ligne de la Goul'ette à
Tunis, qui décide des communications aux abords
de la Capitale, est concédée à la Société Rubat-
tino, subventionnée par le gouvernement italien;
le consul italien Maccio réclame la concession
d'un câble sous-marin entre la Sicile et la Tuni-
sie; il s'efforce d'écarter la Société française
Bône-Guelma de l'a concession de la voie ferrée
qui doit réunir l'Algérie à la Tunisie et qui est
appelée à devenir, pour l'ensemble de la situa-
Les Annales Coloniales
« laissez-passer » accordé par Lord Salisbury à
Berlin, il se fit un devoir, dont il se vanta, de le
cacher si bien que personne ne le connut, que
l'idée ne vint à personne d'en tirer parti, et que
les sphères gouvernementales, — les élèves de
Guizot, — qui nous gouvernaient, aient renfermé
le précieux document sous triple serrure jusqu'au
jour où un ministre plus énergique, mis au pied
du mur par l'insolence des Khasnadax et des Ka-
mel, par le déni de justice des tribunaux locaux,
par l'intrigue de certains agents consulaires éle-
vant contre nous un rempart de concussions et de
concessions, par l'anarchie dans laquelle s'effon-
drait le pouvoir du bey aux dernières limites de
la décrépitude, il a fallu, enfin, l'insécurité
démontrée de la frontière algérienne poujr que ce
ministre réclamât le papier si bien caché, prit
connaissance de nos droits et notre devoir, et
Tunis-la-Blanche. — Les terrasses (d'après une aquarelle de Ch. Lallemand).
que sa forte poigne de Vosgien soulevât le far-
deau d'iniquité et d'insolence sous lequel l'hon-
neur de la France menaçait de s'effondrer.
On se décida à agir : mais comment s'y prit-on ?
Jules jerryt homme colonial
Jules Ferry était un homme de vigueur, non
un homme de violence; il savait regarder les dif-
ficultés en face, mais il en mesurait toutes les
faces ; il était brave, or, la bravoure cause le
sang-froid. Il prit l'affaire au sérieux, non au
tragique : avant d'agir, il délibéra.
L'histoire connaîtra un jour les dossiers de ces
sages délibérations où les conseillers étaient les
Courcel, les Roustan, les Noailles, le général
Farre, où furent calculés et pesés les possibili-
tés et les moyens diplomatiques, politiques, éco-
nomiques, militaires, financiers ; elle s'instruira
des longues hésitations décrites, depuis, par
l'homme qui tenait la glume, le baron de Cour-
cel, et elle se rendra compte des motifs qui, évo-
quant les vieilles méthodes de l'ancien Régime,
ont donné une valeur nouvelle à ce terme de pro-
tectorat, emprunté à notre propre histoire (i) et
ont su ménager les transitions qui devaient ren-
dre-facile une entreprise paraissant si difficile à
tous, si imprudente à quelques-uns.
Au ministère des Affaires Etrangères, il y avait
un homme, célèbre par sa traduction d'Aristote,
M. Barthélemy Saint-Hilaire, et qùi avait reçu
de sa connaissance de l'histoire hellénique et
de l'amitié de M. Thiers, la tradition de la
grande politique méditerranéenne. A la prési-
dence du Conseil, il y avait Jules Ferrv : ce nom
dit tout.
Il faut avoir approché Jules Ferry et avoir
vécu dans son intimité pour pouvoir témoi-
gner, en toute vérité historique, sur sa nature,
si mal1 connue de ses contemporains et si insuffi-
samment réhabilitée depuis. Ferry était un pa-
triote ardent, un idéaliste, un homme de labeur,
d'initiative et d'allant; mais, par une longue habi-
tude de tractation avec soi-même, il subordonnait
toujours — ce fils de l'Est — ses dons naturels à
la mesure et à la raison. III a dit lui-même de lui-
même: « Quant à moi, je suis modéré de tempéra-
ment et par tradition; mais je suis résolu. » So-
lide, sérieux, penché sur les dossiers, les ongles
aux lèvres, le regard parfois errant, comme s'il
sondait sa propre conscience, parfois pénétrant
(i) Les évêchés de Metz, Toul et Verdun
avaient déjà été placés, au XVIe siècle, sous « la
protection » de la France.
comme s'il sondait celle des autres, il hésitait
longtemps. On l'a remarqué, les hommes d'éner-
gie sont souvent les plus circonspects ; ils atten.
dent d'avoir pris parti pour laisser le champ li-
bre à leur ardeur et le temps à leur ténacité.
Infiniment humain, tendre même à ses heures, il
a prononcé, sur ses sentiments intimes, ce mot
charmant : « Mes roses poussent en dedans ».
Tout à la lutte qu'il soutenait alors contre ses
adversaires de droite et ses adversaires de gau-
che, il était conscient de l'arme que l'affaire tu-
nisienne allait fournir à cette forme de la polé-
mique qu'on appelle l'opinion, lui reprochant,
selon la façon dont il la traiterait, sa lâcheté
s'il n'agissait pas et sa témérité s'il agissait.
De toutes façons, ce qu'on appelle donc, dans
les couloirs de la Chambre, l'oPinion, allait
s'ameuter contre lui. Il n'en eut cure: parlemen-
taire ne visant que le Parlement, dédaigneux des
couloirs, des coulisses et des coulissiers. Les hom-
mes d'argent, les journaux subventionnés, — et
par qui ? — les instruments de l'étranger allaient
grouper contre lui leurs forces, il le savait. Mais
la France et la République ne pouvaient plus
se laisser bafouer, fût-ce par Rochefort : il fal-
lait en finir.
Salicnce cxlrêmc Je la fronce
La situation de la Régence ne permettait plus,
d'ailleurs, aucun délai ; la scandaleuse conduite
des favoris qui se succédaient auprès du vieux
bey Mohammed Saddock l'avait mise à plat ;
ni ordre ni argent ; ni responsabilité, ni sécurité;
pour seules ressources, l'emprunt usuraire et le
pillage ; l'anarchie autorisait toutes les violen-
ces particulières. Sur les frontières algériennes
mal délimitées, les incursions de pirates, l'inso-
lence des fameux Kroumirs nous bravaient sur
notre territoire. Une telle situation, s'aggravant
de jour en jour, laissait la porte ouverte à toutes
les ambitions, à toutes les compétitions. On se
réveillerait avec une très grosse affaire sur les
bras. Des trafiquants suspects dépeçaient la Ré-
gence peu à peu : concessions territoriales, che-
mins de fer, ports, tout était à vendre et déjà
la souveraineté elle-même était au plus offrant
et dernier enchérisseur. Il v avait des années
que le consul de France, M. Botmiliau, avait
écrit à Paris : « Nous sommes dans la nécessité
d'occuper la Régence dans un avenir peu éloigné.
Je ne crois pas que cette occupation puisse dé-
sormais être évitée. »
M. Roustan, méridional froid, et qui avait été
envoyé à Tunis comme un agent d'Orient très
expérimenté, comme un diplomate prudent et
pondéré, avait appliqué, aussi longtemps que
possible, avec un tact parfait, les instructions
les plus sages : gagner la confiance du Bey, user
de patience et éviter à tout prix toute complica-
tion décisive. M. Barthélémy Saint-Hilaire en-
tendait, selon sa propre formule, « épuiser les
moyens diplomatiques ». Avec un homme du ca-
ractère de M. Roustan, cette position prise par
la France permettait, tout en surveillant de près
les événements, de préparer, en cas de crise,
une solution de conciliation et d'apaisement. Il
y avait, en somme, dans cette période transi-
toire et anxieuse, comme une première esquisse
du « protectorat ».
Cependant, la crise, qu'il était si facile de
prévoir, se produit. Des « affaires », du cenre
de celles qui se multiplient dans les pays aux
abois, vont compromettre à jamais, si on les
laisse aboutir, l'avenir de la Régence et ses rela-
tions avec l'Algérie : une immense emprise terri-
toriale, l'Enfida, est réclamée par un protégé
anglais que soutient le consul notoirement anti-
français. M. Wood; la ligne de la Goul'ette à
Tunis, qui décide des communications aux abords
de la Capitale, est concédée à la Société Rubat-
tino, subventionnée par le gouvernement italien;
le consul italien Maccio réclame la concession
d'un câble sous-marin entre la Sicile et la Tuni-
sie; il s'efforce d'écarter la Société française
Bône-Guelma de l'a concession de la voie ferrée
qui doit réunir l'Algérie à la Tunisie et qui est
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